Hamishi Farah devant la douleur des autres

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Hamishi FarahUntitled (Portrait of Jürgen Habermas), 2025 Photo Stefan Korte

Au 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine, trois expositions s’entrelacent du 17 octobre 2025 au 1er février 2026. Hamishi Farah, Takako Saito et Elise Grenois y interrogent le regard et la mémoire des formes, entre peinture, jeu et sculpture. Une traversée sensible où la représentation devient question, trace et expérience.

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Hamishi Farah, Takako Saito et Elise Grenois face au regard au 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine

Devant la douleur des autres

Du 17 octobre 2025 au 1er février 2026, le 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine, à Metz, présente trois expositions qui dialoguent subtilement autour de la question du regard : celui que nous posons sur l’autre, sur le monde, sur les formes. Trois artistes – Hamishi Farah, Takako Saito et Elise Grenois – y explorent à leur manière les images, les gestes et les matières qui façonnent notre perception du réel.

Hamishi Farah : peindre l’invisible du regard

Pour la première fois en France, le Frac Lorraine accueille le peintre australien Hamishi Farah (né en 1991 à Melbourne, vivant à Berlin). Son exposition, Devant la douleur des autres, emprunte son titre à l’essai de Susan Sontag (2003) qui interroge la réception des images de guerre et la part d’empathie – ou d’indifférence – qu’elles suscitent.

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Farah interroge la représentation de l’humain dans l’histoire de l’art et ses répercussions sur nos manières contemporaines de voir. Par le biais du portrait et du paysage, il met à nu les structures visuelles et morales qui déterminent ce qui est jugé « digne d’être regardé ». Ses toiles, d’une grande intensité picturale, convoquent des figures à la fois familières et déstabilisantes : visages, corps, témoins, martyrs.

Hamishi Farah devant la douleur des autres

Présentées en dialogue avec des sculptures chrétiennes issues des collections du Musée de La Cour d’Or – Eurométropole de Metz, ses œuvres réactivent les codes du sacré et du supplice. Farah met en tension la beauté et la violence, la compassion et la domination, le témoignage et la punition. Sa peinture, héritière critique de la tradition religieuse, expose les contradictions du regard : comment représenter la souffrance sans la trahir ni la consommer ?

Hamishi Farah devant la douleur des autres

 

Lot’s Wife : l’écho d’un paysage blessé

Au cœur de l’exposition, la série Lot’s Wife (2025) offre un saisissant point de bascule. L’artiste y peint les deux piliers de sel situés sur les rives de la mer Morte, en Jordanie et en Israël, associés à la femme de Loth, transformée en statue pour s’être retournée vers la ville de Sodome. Entre paysage et portrait, ces tableaux mettent en lumière notre rapport ambivalent au territoire : désir de possession, sentiment d’appartenance, miroir de nos violences.

Farah y relie, sans les montrer, l’horreur et le sublime. Le paysage devient ici un témoin muet, révélant nos propres contradictions. En peignant ces masses salines, l’artiste fait du sel – matière de mémoire et de cicatrice – la métaphore d’un regard figé sur l’histoire.

Takako Saito : tout se joue

Dans une autre salle, le Frac présente Tout se joue, une exposition consacrée à Takako Saito (née en 1929 au Japon, vivant à Düsseldorf), figure singulière du mouvement Fluxus. Formée à Tokyo à la fin des années 1940, passée par New York aux côtés de George Maciunas, George Brecht ou Robert Filliou, Saito n’a cessé de mêler art et vie quotidienne.

Ses œuvres – jeux d’échecs revisités, livres d’artistes, objets ludiques – témoignent d’une pratique joyeuse où le public devient partie prenante. L’exposition, constituée de pièces récemment acquises et de prêts privés, restitue cette énergie expérimentale : celle d’un art qui s’invente dans le jeu, le geste et le partage.

Chez Saito, rien n’est séparé : l’art s’éprouve dans la manipulation des objets, l’attention au matériau, la jubilation du faire. Son œuvre rappelle, avec douceur et malice, que toute création est un acte de liberté.

Elise Grenois : les formes en devenir

L’espace Degrés Est, dédié aux artistes du Grand Est, accueille Elise Grenois (née en 1992, à Strasbourg). Diplômée de la Haute École des Arts du Rhin, elle s’intéresse à ce qu’elle appelle les « formes intermédiaires » : celles qui naissent entre l’atelier et l’exposition, entre la matière et l’idée.

Hamishi Farah devant la douleur des autres

Ses sculptures, réalisées en paraffine, bronze ou cristal, explorent la fragilité et le temps. Pour le Frac Lorraine, elle a conçu des tuiles en paraffine, réinventant une technique ancienne dans une matière éphémère, presque transparente. Ce travail sur la trace et la transformation inscrit sa démarche dans une réflexion poétique sur la mémoire du geste.

Autour des expositions

Tout au long de la saison, plusieurs rencontres et performances accompagnent ces expositions : une discussion au Centre Pompidou-Metz sur « le témoignage par l’image » avec Nadia Yala Kisukidi et Sihame Assbague, une performance intitulée Leaving Vegas de Nadjim Bigou-Fathi & Soto Labor inspirée d’un film de Pasolini, ainsi que des visites subjectives conduites par des voix extérieures au monde de l’art, dont celle d’un prêtre messin.

Ces propositions prolongent la réflexion d’Hamishi Farah : que signifie aujourd’hui regarder, témoigner, croire ?

Agenda

49 Nord 6 Est – Frac Lorraine
Du 17 octobre 2025 au 1er février 2026 – 1 bis rue des Trinitaires, Metz
Entrée libre

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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