Pétrole, un voyage théâtral dans les abysses pasoliniens

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@ Thétre de l'Odeon

À l’Odéon – Théâtre de l’Europe, du 25 novembre au 21 décembre 2025, Sylvain Creuzevault présente Pétrole, adaptation libre du dernier chantier littéraire de Pier Paolo Pasolini. Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, ce spectacle labyrinthique réunit un ensemble d’acteurs intenses pour faire résonner la voix brisée d’un poète qui n’a jamais cessé d’interroger son temps.

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Pétrole : Sylvain Creuzevault réveille l’inachevé de Pasolini à l’Odéon

Il y a chez Pier Paolo Pasolini une tension qui ne s’éteint pas. Une flamme d’inquiétude qui parcourt son œuvre, de ses poèmes aux films, des chroniques romaines à ce Pétrole monumental et inachevé, laissé comme une énigme au seuil de sa mort. C’est cette matière brûlante, indocile, que Sylvain Creuzevault décide d’habiter au théâtre. À l’Odéon, Pétrole devient un espace de convulsion et de clairvoyance : une tentative de transcrire la démesure pasolinienne à travers la parole, le corps et la scène.

Centenaire de Pasolini
@ Wikimédia

Publié dix-sept ans après l’assassinat de Pasolini, Pétrole est sans doute son texte le plus vertigineux. Il s’y mêle des fragments de récit, des méditations mystiques, des visions politiques, des fables sexuelles et des notes d’enquête autour de la mort mystérieuse d’Enrico Mattei, président de l’ENI — symbole du pouvoir économique et des compromissions d’une Italie déchirée. Rien ne s’y assemble tout à fait, mais tout y brûle. L’écrivain y place un double, Carlo Valletti, ingénieur clivé en deux figures : Carlo I, ambitieux et soumis au système industriel, et Carlo II, livré à une dérive charnelle et subversive. Deux visages d’un même être, deux pôles d’une humanité disloquée.

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Pour Sylvain Creuzevault, ce chaos devient théâtre. Le metteur en scène, qui aime les zones d’instabilité et les contradictions fécondes, retrouve dans Pétrole une parenté avec son propre art : un théâtre du chantier, du fragment et du refus de la forme close. Son travail, qu’il qualifie de « cabajoutis », ressemble à ces constructions précaires faites d’éléments hétérogènes, où la trace des outils demeure visible. Il y a là une fidélité profonde à Pasolini, pour qui la beauté naissait justement de l’inachevé, du désaccord, du mélange entre l’ombre et la lumière.

Sur le plateau de l’Odéon, une troupe d’interprètes engagés – Sharif Andoura, Boutaïna El Fekkak, Pierre-Félix Gravière, Pauline Bélier, Anne-Lise Heimburger, Arthur Igual, Gabriel Dahmani et Sébastien Lefebvre – donne chair à cette écriture fragmentaire. Leurs voix se croisent, se heurtent, se prolongent. Le texte se fait souffle, matière vivante. La scénographie, volontairement disloquée, évoque les terrains vagues de Rome où Pasolini filmait ses marginaux et ses saints modernes. Là, les doubles s’affrontent, la pensée se fissure, et surgit une Italie mythique, blessée, mais encore palpitante.

Pétrole n’est pas une reconstitution mais une traversée. Creuzevault ne cherche pas à finir l’œuvre de Pasolini ; il en prolonge le geste : celui d’un homme qui a voulu comprendre le monde en le traversant tout entier, jusque dans ses contradictions les plus violentes. Ce spectacle interroge la modernité, la corruption, la sexualité, la foi, la perte du sens — autant de thèmes qui, cinquante ans plus tard, résonnent avec une acuité intacte.

Dans le vacillement des voix, entre le politique et le mystique, Pétrole rappelle que le théâtre peut être un lieu de résistance, un miroir brisé du réel. Pasolini, écrivain maudit et visionnaire, y retrouve sa place : celle d’un poète qui n’a pas cherché à conclure, mais à ouvrir. Creuzevault, lui, nous invite à entrer dans ce vertige, à écouter les failles et les fulgurances d’une œuvre qui continue d’éclairer nos ténèbres.

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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