Le film Fuori de Mario Martone – En compétition officielle, Festival de Cannes 2025
Durée : 1h55 – Avec Valeria Golino, Matilda De Angelis, Elodie
Fuori de Mario Martone : La prison comme lieu de renaissance féminine
Présenté lors de la compétition officielle à Cannes, le film « Fuori » de Mario Martone a été acclamé par sept minutes d’applaudissements au Grand Théâtre Lumière. La raison en est simple : en adaptant « L’Università di Rebibbia » de Goliarda Sapienza, Martone délivre un film aussi austère que profondément humain, où la prison se transforme en un lieu d’éveil, d’apprentissage et de renversement des idées reçues. C’est également le retour remarquable du cinéaste italien à un cinéma centré sur les femmes, collectif, imprégné de solidarité et de rébellion.

Au centre de « Fuori » se trouve Goliarda Sapienza, une figure littéraire atypique et méconnue de son vivant, incarnée avec intensité et élégance par Valeria Golino. La première image du film, représentant une femme nue lors de son arrivée à la prison de Rebibbia, donne le ton : Martone choisit de présenter une femme dépouillée de tout, prête à renaître dans l’enceinte carcérale.
Accusée de vol – quelques bijoux dérobés à des amis –, Goliarda entre en détention comme on entre en soi-même. Là, dans cette « université » des marges, elle découvre une humanité brute et chaleureuse, dépourvue des hypocrisies du monde intellectuel. Le récit passe habilement du passé en prison au présent post-libération, où Goliarda s’efforce, sans succès, de faire publier « L’Art de la joie » — ce chef-d’œuvre posthume qui hantait déjà ses pensées.

Autour de Goliarda gravitent Roberta (Matilda De Angelis) et Barbara (Elodie). Roberta, militante emprisonnée pour son appartenance à un groupe armé, incarne la colère politique, l’idéal détruit ; Barbara, plus vulnérable, oscille entre suicide et besoin d’amour. Ces trois femmes, que tout semble opposer a priori, forment un ensemble de blessures et d’espoirs. Leurs échanges, à la fois rudes et doux, sont ponctués de silences lourds, de regards chargés de reconnaissance, de colère ou de désir.
La sororité naît ici dans les gestes ordinaires : le partage d’un savon, d’un silence ou d’une chanson. Le film évite habilement le piège du pathos en construisant ses relations sur le long terme, par ellipses, sans forcer l’émotion.
La photographie de Paolo Carnera donne à Rome une beauté brûlante, presque sensuelle, surtout dans les séquences extérieures, où la lumière dorée contraste avec les murs gris de Rebibbia. Le montage fluide de Jacopo Quadri alterne souvenirs et présent avec une douceur élégante. La musique de Valerio Vigliar se glisse discrètement, comme un souffle intérieur.
Mais si Fuori séduit par sa délicatesse, il pèche parfois par excès de pudeur. En cultivant le mystère autour des engagements passés de Roberta ou en évitant de creuser plus frontalement la révolte politique sous-jacente, Martone bride une émotion qui ne demande qu’à éclore. Le récit, par endroits, semble hésiter à embrasser totalement la fièvre de ses personnages.

Malgré cela, Fuori reste un film d’une rare justesse, une œuvre où l’intime devient politique sans discours démonstratif. Martone, accompagné au scénario par Ippolita Di Majo, filme ces femmes avec une tendresse farouche, refusant les caricatures. Il redonne à Goliarda Sapienza, femme libre, déclassée et visionnaire, la place qu’elle mérite : celle d’une héroïne tragique et lumineuse, à rebours de toutes les normes.
En quittant la salle, on ne peut s’empêcher de penser à cette phrase qu’on aurait aimé entendre dans le film : « Ce n’est pas dehors qu’on est libre, c’est quand on décide de l’être. » Fuori ne crie pas, ne choque pas, mais il imprime sa douceur obstinée longtemps après la projection. C’est peut-être là sa plus belle réussite.
C’est un film pudique et puissant sur l’amitié, la marginalité, et la conquête d’une liberté intérieure.