Roqya, film de Saïd Belkhtibia, avec Golshifteh Farahani et Jeremy Ferrari
Par Djalila Dechache
Roqya, film de Saïd Belkhtibia, avec Golshifteh Farahani Jeremy Ferrari, Amine Zariouhi, Denis Lavant, sortie en salles en France 15 mai 2024.1H35.
Film est dédié à la maman du réalisateur.
Ce film au titre qui interpelle est le premier long-métrage35du cinéaste marocain Saïd Belkhtibia qui démarre avec un extrait de documentaire français en noir et blanc des années 60, évoquant le sujet de la sorcellerie et ses rituels.
Puis la couleur reprend ses droits, le film nous fait découvrir une jeune femme et son fils rentrant vacances à Marrakech, au moment de la fouille des bagages à l’aéroport.
Une première scène inattendue s’en suit lorsque la douanière demande à la femme de retirer sa djellaba.
Puis le spectateur suit l’héroïne principale Nour (signifie lumière) incarnée par une Golshifteh Farahani des plus convaincante et des plus remarquable. Elle porte le film à bout de bras pour notre plus grand bonheur et force l’admiration.
On découvre alors une animalerie constituée de bestioles vénéneuses plus qu‘un appartement devenu capharnaüm.
Nour décide de créer une application pour se faire connaitre dans une de ces cités construites en tours faites d’appartements-cages pour enfermer les étrangers, arabes et africains. D’ailleurs le réalisateur insiste suffisamment en montrant pendant de longues secondes des plans en plongée de ces tours infernales de nature à faire imploser le cœur des jeunes et des autres habitants. C’est là où Nour officie pour constituer talismans, breuvages, et rituels à accomplir pour sortir d’un mauvais sort, de malchance, de maladies.…Elle est une guérisseuse ou une sorcière cela dépend si cela fonctionne ou pas.
Elle gagne sa vie comme elle peut, elle intervient même lors de décès, en coupant les ongles des défunts aux côtés du thanatopracteur .
Nour a aussi des problèmes, elle est mère divorcée ou sur le point de l’être , son mari, violent n‘accepte pas ce divorce, veut la reconquérir mais elle refuse. Comme dans tous les divorces oû il y a des enfants, ceux-ci servent de monnaie d‘échange et de chantage entre les adultes, c’est le cas ici pour Nour. L’enfant prénommé Amine, âgé de 13 ans dans le rôle est tiraillé entre sa mère et son père, son esprit se brouille , il ne sait plus qui croire.
Une chasse aux sorcières
C’est alors que Nour décide de créer une application Baraka (la chance) pour se créer une clientèle dans la cité au moins pour commencer. Et cela marche bien.
Elle entre en contact avec un de ses voisins qui habite en haut de la tour, Jules père de Kevinn fils adulte aux tendances suicidaires. Son père lui arrange une scène d’exorcisme avec un prêtre chrétien, et un iman musulman, mais cela se termine dramatiquement, Kevin attrape le tisonnier autour des flammes du feu et se brûle volontairement la langue.
La deuxième partie du films comporte deux événements dramatiques : Nour voulant aider Kevin se rend chez lui pour lui administrer des soins plus doux.Kevin entre encore en crise, manque de tuer Nour par étranglement et finit par se jeter de l’immeuble.
A partir de ce moment-là, c’est Jules, le père de Kevin un alcoolique notoire qui lance depuis son balcon une cabale contre Nour, auxquels se joignent les voisins qui n’ont vraiment rien d’autre à faire que de le croire et de rejoindre une meute de voisins prêts à en découdre, à faire justice eux-mêmes. La presse s’empare du sujet, elle interviewe le père de Kevin qui ment, charge Nour, rajoute de faux détails, c’est un homme répugnant, sans morale.
Nour est encerclée de toutes parts, elle est seule face à un groupe d’hommes féroces, animés d’une haine irrépressible, elle est dotée d’une force incroyable, fait des acrobaties à la Lara Croft, évite de justesse de mourir calcinée dans son appartement, côtoie des SdF dans les caves et se mêle à eux pour se cacher…elle vit une course contre la montre pour déjouer cette mise à mort. Seule avec ses bras et sa perspicacité, elle réussit à déjouer tous les pièges mortifères.
Une Roqya sauvage et brutale
Le deuxième événement se situe lorsque son fils a été rapté par son ex-mari, ce dernier contacte un imam du Centre de Roqya de France pour purifier l’enfant de l’influence négative de sa mère.
Nour arrive à retrouver son fils, elle l’entend hurler « maman » derrière une porte semblable à d’autres, le long d’un couloir bleu, lumière blafarde et musique inquiétante propre aux films de science-fiction. Nour est prête à tout pour sauver son fils des griffes de charlatans.
Elle débarque comme une furie, voit son fils en pleine séance de Roqua sauvage où l’iman le gave violemment d’une eau salée, le diable n’aime le sel dit-il, il est sur l’enfant le forçant à ingurgiter cette eau très salée, l’enfant se débat, se débat encore jusqu’à l’évanouissement, le père comprend un peu tard il est vrai, les abus d’une telle pratique.
Nour prend son fils sous ses bras, il ne peut marcher correctement, ils s’enfuient encore une fois. Enfin, tous les deux libérés, embarquent sur un bateau : on les voit, sur le pont, dans les bras l’un de l’autre, face à un nouvel horizon qui leur tend les promesses d’une nouvelle vie.
Deux visions genrées du monde
Pour conclure, je dirais que dans ce film, il y a deux tendances de croyances limitantes qui s ‘affrontent : celle des femmes qui consultent soit un marabout, soit un ou une guérisseuse, il y a une discrétion sur cette pratique réservée pour elles. L’autre pratique, telle la Roqya pratiquée pour exorciser le mal quel qu’il soit en lisant des sourates du Coran. Celle-ci est acceptée, elle est faite sous couvert de la lecture du livre saint. Pourtant, sa pratique par des charlatans est hautement dangereuse comme dans le film.
Nour est une victime toute trouvée dans la mesure où elle devient une femme seule, belle, libre, indépendante, sans homme pour la protéger, face à aux autres hommes que ce soit en pays arabe ou en Europe, de plus comme nous l’avons signalé précédemment, son statut varie de guérisseuse à sorcière selon ses résultats.
Il y a une autre femme dans le film, Rabéa, bien plus âgée, une grand-mère, elle vient chez Nour acheter les animaux utilisées dans les breuvages et séances d ‘exorcisme, on la voit passer un iguane sur le corps voilé d’une femme venue demander que son mariage se réalise. Rabéa, passe comme une lettre à la poste si je puis dire, parce qu’elle est âgée, cette femme est appelée Hadja, ce qui lui donne un statut de respectabilité, soit celle qui a accompli le pèlerinage à La Mecque ou qui va le faire, donc exempte de tous soupçons quels qu‘ils soient. Elle devient inoffensive.
Mise à part la première scène à l‘aéroport qui relève d’une sorte d’exotisme, peut être réel, sur le Maroc et les marocaines, ce film est une réussite, riche et dense par les thèmes abordés. Il donne à réfléchir sur la société arabe et musulmane en France, avec la reproduction de ses schémas patriarcaux hors de son sol d’origine.
Sans aucun doute, les tours des cités y jouent un rôle non négligeable de paupérisation, ces ghettos créés de toutes pièces aboutissent à coup sûr au repli sur soi.