Actrice reconnue du monde arabe, Dorra Zarrouk explore aujourd’hui de nouveaux horizons artistiques en réalisant son premier documentaire engagé, La vie qui reste – Win Sirna ? (Où sommes-nous). Entre scène et caméra, elle partage son parcours, ses engagements et sa vision d’une carrière guidée par le sens et l’ouverture à l’autre.
Dorra Zarrouk : Entre lumière et engagement, le regard d’une artiste plurielle
Entretien conduit par Monia Boulila
Dorra Zarrouk est une figure incontournable du cinéma et de la télévision en Tunisie et dans le monde arabe. Après des débuts dans le mannequinat, elle embrasse la scène théâtrale sous la direction du célèbre metteur en scène Taoufik Jebali. Grâce à une formation rigoureuse auprès de figures comme Fadhel Jaïbi et Sihem Belkhodja, elle enrichit son art à travers des collaborations théâtrales et chorégraphiques. En travaillant avec Fadhel Jaïbi et Sihem Belkhodja, elle affine sa sensibilité artistique et multiplie les expériences scéniques.
Son talent ne tarde pas à séduire le grand écran : elle brille dans des films tunisiens comme Khorma (2002) avant de se tourner vers des productions internationales. Désormais installée en Égypte, elle devient une étoile du petit écran, notamment grâce à des séries populaires telles que Zay El Ward et Sejn El Nissa.
En 2024, Dorra Zarrouk surprend ses admirateurs en réalisant et produisant son premier documentaire, intitulé La vie qui reste, centré sur une famille de Gaza. Ce projet marque une nouvelle étape dans sa carrière artistique et met en lumière son engagement envers des thématiques humaines et universelles.
Dorra Zarrouk derrière la caméra et à la production
M.B : Qu’est-ce qui vous a poussée à réaliser La vie qui reste. Ce passage derrière la caméra est-il une nouvelle étape dans votre parcours artistique ?
Dorra Zarrouk : C’est un rêve de longue date. J’ai toujours voulu réaliser, mais à l’époque, mes parents n’étaient pas très favorables à ce choix. J’ai donc suivi des études en sciences politiques, avec un mémoire de master consacré au droit au retour des réfugiés palestiniens. La réalisation est restée en moi comme un désir profond.
Lorsque la guerre sur Gaza a éclaté, j’ai ressenti une impuissance immense. Je publiais sur les réseaux sociaux, je recevais énormément de messages, mais je n’arrivais pas à faire plus. Un jour, un message m’a profondément bouleversée : celui de Nadine, une Gazaouie réfugiée au Caire. En échangeant avec elle, l’idée du documentaire s’est imposée. C’était une réponse nécessaire. Un besoin de dire, de témoigner autrement.
M.B : Pourquoi avoir centré le documentaire sur cette famille en particulier ? Et quel message souhaitiez-vous transmettre ?
Dorra Zarrouk : Le film raconte l’histoire vraie de Nadine, une mère palestinienne ayant fui Gaza avec ses deux bébés après le 7 octobre 2023. Son mari n’a pu les rejoindre qu’après plusieurs mois. Cette famille, composée essentiellement de femmes et d’enfants, a dû quitter une vie stable pour se reconstruire en Égypte.
J’ai voulu parler de leur quotidien, de leurs gestes simples, de ce que la guerre emporte, mais aussi de ce qui reste. Car dans de telles circonstances, la vie elle-même devient un acte de résistance. Win Sirna ? ne prend aucune position politique. Il ne parle pas du 7 octobre, mais de ce que la guerre laisse derrière elle : l’errance, l’attente, le courage.
M.B : Que signifie ce titre, Win Sirna ? Et comment avez-vous concrétisé ce projet, à la fois sur le plan artistique et logistique ?
Dorra Zarrouk : Win Sirna ? (Où sommes-nous) est une expression qui revenait souvent pendant le tournage. Elle a été dite spontanément par plusieurs personnes filmées. Il y avait dans ces mots une force, une poésie, une forme d’égarement aussi. Ce titre s’est imposé naturellement. En français, j’ai choisi La vie qui reste, et en anglais The Life That Remains.
Pour concrétiser ce projet, j’ai suivi quelques formations en ligne sur la réalisation de documentaires, mais j’ai surtout échangé avec des réalisateurs et des producteurs de mon entourage, dont je respecte profondément le travail. Leurs conseils m’ont été précieux pour structurer ma démarche. J’ai ensuite fondé ma propre société de production afin de porter ce film jusqu’au bout, en toute liberté.
C’est un documentaire réalisé avec le cœur. Quand un sujet vous touche aussi profondément, vous dépassez tous les obstacles.
M.B : Revenons à votre carrière d’actrice. Quels sont les rôles qui vous ont le plus marquée dans votre parcours ?
Dorra Zarrouk : Au fil de ma carrière, j’ai eu la chance d’incarner des personnages très différents les uns des autres. Certains rôles partageaient des traits communs avec ma personnalité, d’autres m’étaient complètement étrangers — et c’est justement ce qui m’attire dans le métier d’actrice.
Parmi tous ces rôles, deux m’ont profondément marquée. Celui de Dalel dans le feuilleton Sejn El Nissa (La prison des femmes), un personnage intense, complexe, ancré dans une réalité sociale forte. Et celui de Nadia dans Echare’ Elly Wara’na (L’avenue derrière chez nous), un rôle plus intimiste, mais tout aussi chargé émotionnellement. Ces deux expériences ont laissé une empreinte particulière en moi, tant sur le plan humain qu’artistique.
M.B : Quels sont vos projets futurs, que ce soit dans la réalisation, la production ou en tant qu’actrice?
Dorra Zarrouk : En tant qu’actrice, je viens de rejoindre le casting du film Essit Lama (Quand la femme), aux côtés de Yousra et Yasmine Rais. C’est un projet engagé, qui aborde les problématiques liées aux femmes, dans lequel je suis pleinement investie.
Et en exclusivité pour Souffle inédit, je vous confie que je prépare aussi un court métrage tunisien, cette fois en tant que réalisatrice. L’idée est claire, le projet me touche profondément, il reste maintenant à le structurer et le développer concrètement.
M.B : En Égypte comme en Tunisie, vous avez interprété des rôles très variés. Où avez-vous trouvé le plus de liberté artistique, et qu’est-ce que cela a changé dans votre façon de jouer ?
C’est en Égypte que j’ai eu l’opportunité d’explorer une grande diversité de rôles : comédie, action, drame, horreur et d’autres. Ces expériences m’ont permis de puiser dans des zones plus profondes de moi-même, de me dépasser, de me renouveler.
En Tunisie, mon image d’actrice était souvent associée à un type de personnage bien précis, ce qui limitait parfois ma liberté d’exploration. Cela dit, je garde un souvenir très fort de mon rôle dans le feuilleton Mastro, réalisé par Lassaad Oueslati, car c’était justement un rôle différent, plus nuancé, qui m’a permis de sortir de ce cadre habituel.
M.B : Si vous deviez choisir entre la caméra et la scène, ou entre le rôle d’actrice et celui de réalisatrice, que privilégieriez-vous aujourd’hui ?
Dorra Zarrouk : J’aime profondément mon métier d’actrice. Ces dernières années, j’ai eu la chance d’interpréter des rôles de plus en plus riches, variés et complexes, cela continue à m’épanouir. Mais en parallèle, la réalisation est un projet intérieur qui me suit depuis longtemps.
Réaliser, c’est autre chose. C’est porter une vision globale, un regard sur le monde, c’est orchestrer l’émotion, le rythme, la lumière, les silences. Le réalisateur, à mes yeux, est le véritable auteur d’un film — tout passe par son point de vue, sa sensibilité. L’acteur évolue dans un cadre qu’il dessine.
Alors oui, si je devais choisir aujourd’hui, je dirais la réalisation. Non pas en opposition à mon métier d’actrice, mais comme une étape naturelle, complémentaire, vers une expression plus vaste, plus libre.
M.B : En dehors des plateaux, comment trouvez-vous l’équilibre entre votre vie personnelle et votre carrière ? Avez-vous des projets plus discrets, familiaux ou personnels, qui vous tiennent à cœur aujourd’hui ?
Dorra Zarrouk : J’ai appris à bien gérer mon temps et à trouver un équilibre qui me permet de rester connectée à moi-même. En dehors du travail, je mène une vie simple, libre et apaisée. J’aime marcher, faire du yoga, voyager, découvrir d’autres cultures et respirer loin des caméras. Ce sont ces moments de calme et de découverte qui nourrissent aussi mon énergie artistique.
Je reste également très liée au monde de la création. J’ai lancé une marque de vêtements baptisée Maison Dorra Zarrouk, une ligne d’élégance contemporaine, inspirée par une grâce intemporelle. C’est un projet que je considère encore comme un hobby, mais il reflète une autre facette de ma sensibilité. Un prolongement de moi, dans un autre langage que celui du cinéma, mais toujours dans l’univers de l’art.