Yassine Bouzelfa : le courage de dire et de faire
Yassine Bouzelfa : le courage de dire et de faire
Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen
Contexte
« Ghannouchi assassin, le sang ne coulera pas pour rien ! » ― Tel a été l’un des slogans criés par les Tunisiennes et les Tunisiens au matin du mercredi 6 février 2013, suite à l’assassinat du martyr Chokri Belaïd. Spontané, ce cri du cœur a résonné ce jour-là dans l’avenue Habib Bourguiba et plus tard à l’occasion des funérailles du martyr Chokri Belaïd, inhumé le vendredi 8 février 2013, dans le carré des martyrs au cimetière Al-Jallaz à Tunis.
Les funérailles du martyr étaient une épopée nationale en soi, car les Tunisiennes et les Tunisiens ayant pris part aux funérailles du martyr ont été attaqués par un groupe de criminels à gages. Sans la présence de l’Armée nationale tunisienne, de nombreuses victimes seraient tombées. Pour la grande foule présente sur place, le slogan « Ghannouchi assassin, le sang ne coulera pas pour rien ! » représente la vérité et peut-être le verdict naturel prononcé par un tribunal populaire national contre ce que défendent cet homme, son parti et ses affiliations politiques, idéologiques et même religieuses.
Le livre de Yassine Bouzelfa, récemment publié aux éditions Abjadyat à Sousse, intitulé Rached Ghannouchi, le caméléon de la politique tunisienne, appartient à ces œuvres nées de ce que l’auteur appelle lui-même « la révolution du peuple tunisien ». Celle-ci n’a-t-elle pas libéré les bouches, les plumes, les esprits et les consciences ? En effet, depuis que les Tunisiennes et les Tunisiens ont prononcé des mots tels que « Dégage ! », « L’emploi est un droit, protégé par la loi », ou encore « Pas de pain ni d’eau, Ben Ali à vau-l’eau », il semble que le chemin du retour vers la dictature semble tout à fait impossible.
Cependant, avec la personne et le parti de Rached Ghannouchi, la Tunisie vivait non seulement le danger de la dictature, mais aussi le danger du fanatisme religieux et du terrorisme qui en a résulté, ravageant le pays, brutalisant le peuple, corrompant filles et garçons. Ces derniers ont été embrigadés et se sont vus embarquer dans des razzias et autres croisades sans nom, allant de l’attaque de l’horloge de l’avenue Habib Bourguiba, la profanation du drapeau national à la Faculté des lettres, des arts et des humanités de la Manouba, en passant par le Mont Chambi, et jusqu’à l’exportation de centaines voire de milliers de jeunes personnes qui ont été à l’origine de la création de Daech, l’État islamique en Irak et au Levant.
Texte
Peut-être que Yassine Bouzelfa n’aborde-t-il pas ce sujet littéralement dans son livre Rached Ghannouchi, le caméléon de la politique tunisienne, mais le lecteur chevronné peut se permettre d’extrapoler certaines de ces significations que nous formulons de manière claire et peut-être choquante par désir de pousser les lecteurs à marquer un temps d’arrêt et de plonger dans les pages de cet ouvrage de marque.
Composé de cinq chapitres : premièrement, les caractéristiques personnelles de Ghannouchi ; deuxièmement, les méthodes de Ghannouchi ; troisièmement, bas les masques ; quatrièmement, l’hypocrisie des positions et les fluctuations des intérêts ; cinquièmement et enfin, les fondations de Ghannouchi.
À travers ces cinq moments forts, se manifeste la passion de Yassin Bouzelfa pour la comparaison, la déconstruction et l’interprétation. À cela s’ajoute un travail de fond, qui s’appuie sur une bibliographie complète et réfléchie, à commencer par les écrits de Rached Ghannouchi lui-même, ainsi que sur l’ensemble de la littérature des Frères musulmans.
Ce qui a retenu notre attention et suscité notre admiration dans la méthode de travail de Yacine Bouzelfa, c’est entre autres l’usage qu’il fait de sa connaissance du savant tunisien Abd al-Rahman Ibn Khaldoun (1332-1406). Prenant appui sur ces lignes extraites du tome deux du livre des Prolégomènes ― « Et sachez que la faculté de bienveillance se trouve rarement chez quelqu’un qui est attentif et très intelligent, la bienveillance se trouve le plus chez la personne négligente et insoucieuse, et moins chez l’alerte… Il en résulte qu’être sage et intelligent est un défaut chez le politique parce que c’est un excès de pensée, tout comme le désœuvrement est un excès dans les efforts et les deux phénomènes sont répréhensibles de toute caractéristique humaine et ce qui est louable est la juste mesure » ―, Yassine Bouzelfa construit son propos en penseur objectif et indépendant, qualités que les inféodés à Rached Ghannouchi et à son parti fonctionnant en secte ne peuvent en aucun comprendre.
Texte et contexte
C’est en effet ce que nous avons constaté samedi 18 mai 2024, lorsque nous avons eu l’immense plaisir de présenter l’auteur et son œuvre au Salon international du livre de Sousse. Outre les accusations et autres insultes sur les réseaux sociaux, il faut croire qu’il existe encore des esprits tordus qui se permettent encore de défendre l’indéfendable. L’auteur de Rached Ghannouchi, le caméléon de la politique tunisienne est quant à lui aussi sincère que courageux. Non seulement il a répondu à toutes nos questions au sujet de la relation entre Ibn Khaldoun et son propos actuel, mais aussi il a fait montre de mesure, voire de sagesse.
Ainsi, à la question : « Pourquoi ce livre aujourd’hui en 2024, pourquoi n’a-t-il pas été publié en 2019, ou avant ou après, par exemple ? Rached Ghannouchi est en prison depuis le soir du lundi 17 avril 2023, qui coïncide avec la nuit du Destin du mois de ramadan 1444, considérez-vous le choix de cette date par les autorités compétentes comme un symbole à la fois religieux, judiciaire et politique ? », Yassine Bouzelfa s’est exprimé en des termes clairs, puisés dans sa formation de juriste, à la lumière de laquelle il ne cesse d’affiner son propos, ses analyses et ses interprétations.
Rached Ghannouchi, le caméléon de la politique tunisienne, de Yassine Bouzelfa, est un ouvrage qui fera date. C’est certes déjà le cas, mais avec le temps et en suivant le cours des événements et de l’Histoire, il sera lu et étudié à l’instar du Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas, car à chaque période de l’histoire ses ténèbres et ses Lumières, ses inquisiteurs, ses assassins et ses philosophes. Nous avons depuis longtemps fait notre choix, n’en déplaise à ceux qui n’y croient pas.
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