Essai

Claude Arnaud, Picasso tout contre Cocteau

Claude Arnaud, Picasso tout contre Cocteau

Par Djalila Dechache

 

Picasso tout contre Cocteau, Claude Arnaud, Editions Grasset 2023.

Claude Arnaud, Picasso tout contre Cocteau
Couverture J.H.Lartigue ministère de la Culture

Le titre tout comme la photo de couverture en disent long sur ce que l‘on découvre par la plume élégante et très cultivée de Claude Arnaud. L’histoire a retenu les relations de Picasso et les femmes, ses nombreux enfants et les questions de la succession de son œuvre immense par le génie et par le nombre qui en ont découlé.

Ici, il s’agit d’autre chose, Picasso (1881-1973) dès son arrivée à Paris en 1900 à Montmartre, menait sa vie d’artiste qui le consacre très vite en prophète du modernisme, entouré de femmes et d’hommes dont Jean Cocteau (1889-1963) et d’autres intellectuels parisiens. Leur histoire a duré plusieurs décennies, de 1915, elle durera jusqu‘en 1963 ». Entourés du gratin intellectuel et artistique parisien dont Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Braque… celui qui a dit qu‘il « peignait comme Raphaël à 6 ans », quitte son Espagne natale, gonflé à bloc, c’est un ogre qui avale tout ce qui lui plait : objets, sculptures, statuettes à telle enseigne que les Montparnos cachaient leurs œuvres lorsqu‘il apparaissait. « Les bons artistes copient, les grands volent », dit tranquillement celui qui a la stature « d’un diamant ».

Cocteau fils unique, enfant a baigné dans l’art en y touchant par-ci par-là, dessine, peint à l‘aquarelle, vit de manière frileuse avec sa mère, il est si frêle, on craint qu‘il se brise « il est de verre ».

Cependant il « souffre d’un besoin maladif de reconnaissance », se jette dans la gueule du loup !

Comment cela va-t-il se passer ? L’un avance, apprend, évolue lorsque l‘autre reste en retrait, est lent, encaisse les méchancetés sans rien dire.

L’un qui a « plus d’idées que tout le monde, préfère avancer en artisan supérieur » traverse le siècle avec des périodes artistiques, bleue, cubisme, abstraction, l’autre reste dans l’ombre, attend un signe, un regard : ce n’est ni plus ni moins qu’une relation déséquilibrée où l’un aura l’ascendant sur l‘autre tel un maitre et son …esclave. C’est que Cocteau fait partie des trois besoins de Picasso : « un atelier pour bien travailler qui l’isole du monde, d’une femme qui conforte son être (pour ne pas dire son ego démesuré, c’est moi qui souligne) et d’un écrivain apte à vanter ses exploits » : c’est exactement la case que Picasso a prévu pour Cocteau qui mettra tout son réseau de connaissances à son service. Quand l‘un a un ascendant sur l‘autre, cela conduit à une relation déséquilibrée et malsaine, ce rapport pernicieux de l’un, le fort, sur l‘autre, le faible. Dès q »ils vivront ensemble, il dira à sa mère : Je l’admire et je me dégoûte ». En d’autres termes, il reconnait que l’un est sadique lorsque l’autre est masochiste, dans une relation marquée par la cruauté.

Ce vécu de Cocteau est assez révélateur :

« Un jour, en 1925, que j’allais voir Picasso, rue La Boétie, je crus, dans l’ascenseur, que je grandissais côte à côte avec je ne sais quoi de terrible et qui serait éternel. Une voix me criait : « Mon nom se trouve sur la plaque ! » Une secousse me réveilla et je lus sur la plaque de cuivre des manettes: Ascenseur HEURTEBISE. Je me rappelle que chez Picasso nous parlâmes de miracles. Picasso dit que tout était miracle et que c’était un miracle de ne pas fondre dans son bain comme un morceau de sucre. Peu après, l’ange Heurtebise me hanta et je commençai le poème. À ma prochaine visite, je regardai la plaque. Elle portait le nom OTIS-PIFRE ». Ainsi parla celui qui deviendra l ‘auteur d’Orphée.

Tout se passait à peu près bien entre eux, jusqu’au moment où le binôme deviendra trio avec la danseuse Olga Khokhlova que Picasso épousera en 1918.D’autres femmes suivront conformément à l’appétit insatiable de Picasso.

Pendant ce temps-là l‘Histoire fait son œuvre : c’est l’année où Apolinaire après avoir été accusé à tort de vol au Louvre, agonise suite à la grippe espagnole, et s’éteint le jour de l‘abdication de Guillaume II qui va sonner l‘heure de la première guerre mondiale et de l‘avant-garde artistique, repérée bien avant les autres, par Gertrude Stein installée à Paris en 1904 où elle tenait salon chez elle.

Cocteau aimait accompagner les artistes, les écrivains naissants jusqu’à leur éclosion comme cela a été le cas en 1921 avec Raymond Radiguet et son « Le diable au corps », sauf qu’avec Picasso c’est autre chose : Cocteau a jeté son dévolu de l’amoureux transi sur un « gros morceau » si l‘on peut dire, bien plus gros que lui. Picasso a vite fait « le tour » de la carrure de Cocteau et décide « de l’utiliser » pour faire avancer son travail artistique dans le monde des puissants.C’est lui qui le fait entrer à l’Opéra afin de signer les décors et costumes du ballet Parade en 1918, puis d’Antigone en 1922, ces réalisations bien que mouvementées à cause des égos des uns et des autres, ouvrira la voie d’une plus grande visibilité de Picasso au-delà des frontières hexagonales.

Claude Arnaud, Picasso tout contre Cocteau

(Texte de Jean Cocteau recopié dans Le Passé Défini, dessin de Picasso). Copyright Boutique Jean Cocteau.« Je suis anticonformiste au point d’être contre le conformisme anti-académique ».(extrait blog).

L’écriture de Claude Armand tient du panache, c’est bien plus qu‘un livre dédié à Picasso et à Cocteau, c’est un pan de l‘histoire artistique dans la France du début du XX e siècle, on visualise tout en couleurs, en mouvements, en émotions et en voix.

Le plus triste dans cette histoire est que Jean Cocteau bien qu‘élu à l‘Académie Française en 1955, a payé cher le fait qu‘il était dominé par l‘affectif, ce qui constitue la meilleure façon de souffrir et de se faire dominer en se montrant sans cesse à nu.

Djalila Dechache : Auteure, chercheure sur l ‘Emir Abdelkader l’Algérien, Kateb Yacine et le théâtre arabe.

Livre 

Souffle inédit

Magazine d'art et de culture. Une invitation à vivre l'art. Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.

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