Essai

Les perles douteuses d’Alain Finkielkraut

Les perles douteuses d’Alain Finkielkraut Ou la nouvelle défaite de l’intelligence

Les lundis d’Hyacinthe

Des offrandes

Alain Finkielkraut, de l’Académie française, publie un nouvel ouvrage dans la collection « Blanche » chez Gallimard, intitulé Pêcheur de perles.

Les perles douteuses d’Alain Finkielkraut

Le titre est beau et l’immortel de s’en expliquer dans ce « prologue » : « Walter Benjamin collectionnait amoureusement les citations. Dans la magnifique étude qu’elle lui a consacrée, Hannah Arendt compare ce penseur inclassable à un pêcheur de perles qui va au fond des mers “pour en arracher le riche et l’étrange”. Subjugué par cette image, je me suis plongé dans les carnets de citations que j’accumule pieusement depuis plusieurs décennies. J’ai tiré de ce vagabondage les phrases qui me font signe, qui m’ouvrent la voie, qui désentravent mon intelligence de la vie et du monde. Et plutôt que de les mettre au service d’une thèse ou d’une démonstration, je me suis laissé guider par elles, sans idée préconçue. Ces phrases n’étaient pas pour moi des ornements, mais des offrandes. Elles ne décoraient pas la pensée, elles la déclenchaient ; elles ne l’illustraient pas, elles la tiraient du sommeil. Avant le grand saut dans l’éternel nulle part, j’ai ainsi dressé, sans chercher à être exhaustif ni à faire système, le bilan contrasté de mon séjour sur la Terre. »

Nous ne pouvons pas ne pas abonder dans le sens d’Alain Finkielkraut, avec qui nous partageons l’amour des mots, de la langue française et certaines références littéraires et philosophiques. Ce sont en effet des offrandes que nous accueillons comme le peuple en exode la manne de la part du Dieu éternel (Ex. 16, 23-35).

De même, l’écriture de l’immortel est des plus agréables : il y a toujours chez Alain Finkielkraut ce plus, cette chose en plus qui n’a jamais cessé de nous retenir. Sans doute est-ce une forme d’intelligence, supérieure, qui allie profondeur de la pensée, réflexion assidue et grande maîtrise des choses, à l’image, par exemple, de cette note finale qui fait office de dédicace : « Habitant de l’ancien monde, j’écris avec un stylo. J’ai donc dicté ce texte à Adèle Deuez, que je remercie de tout cœur pour sa disponibilité, sa dextérité, sa patience et sa gentillesse. » C’est en effet généreux et cela témoigne d’une humanité indéniable.

 

Alain Finkielkraut

Dis-moi ce que tu lis…

L’expression est devenue proverbiale, mais nous lui préférons celle-ci de François Mauriac qui écrit dans ses Mémoires intérieurs (1959) : « Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es », il est vrai, mais je te connaîtrai mieux si tu me dis ce que tu relis. »

Or, Alain Finkielkraut nous offre en fin de volume une liste des « ouvrages consultés » dans les quinze chapitres de ce singulier écrit dont le genre pose problème à bien des égards. S’agit-il d’un récit « à la première personne », comme l’un des précédents titres de l’Académicien (2019, réédition en 2021 dans la collection « Folio »), ou bien pouvons-nous envisager un nouveau genre littéraire, une sorte d’autobiographie intellectuelle, dans laquelle le « philosophe-écrivain », à la manière d’un Montaigne du XXIe siècle, dit également son amour de « l’allure poétique, à sauts et à gambades » (Les Essais, Livre III, « De la vanité »), puisqu’il cite, dès les premières pages de Pêcheur de perles, le grand poète britannico-américain Auden dans le texte. C’est d’autant plus étonnant que l’immortel n’est pas coutumier de ce que les linguistes appellent le « code switching » ou l’alternance codique : « Je regardais avec envie mon meilleur ami partir tranquillement faire du jogging au jardin du Luxembourg avec sa compagne, tandis que je rongeais mon frein. Je pouvais bien me répéter ces vers magnifiques d’Auden : « If equal affection cannot be / Let the more loving one be me », ils ne me consolaient pas, je ne réussissais pas à me trouver chanceux ou bien loti. Avec sa triste figure et ses reproches plus ou moins silencieux, le more loving one que j’étais ou que je croyais être était de moins en moins lovable. Et ce qui devait arriver arriva. » (pp. 14-15)

Mais ceci n’est qu’un choix stylistique qui ne prête pas à conséquence, contrairement au neuvième chapitre dédié au sulfureux Renaud Camus, ou à son précédent dans lequel Alain Finkielkraut s’attarde sur l’un de ces dadas idéologiques, l’antisémitisme du XXIe siècle, qu’il enfourche avec joie chaque fois que le besoin de s’affirmer relève de la nécessité.

Deux poids, deux mesures : autopsie du « Taisez-vous ! »

Lisons la fin du chapitre dédié au théoricien du « grand remplacement » : « Si donc, en dépit des infractions au code de la route idéologique que j’ai accumulées depuis le début de ma carrière, la vigilance ne me retire pas mon permis, je continuerai à écrire ce que je vois. Et je ne me cacherai pas de lire, pour penser avec et contre lui, Renaud Camus. » (p. 146)

Ceci peut-il être mis en regard de cela, une douzaine de pages plus haut : « Tel est l’antisémitisme du XXIe siècle : éveillé, immaculé, bien-pensant, humanitaire, à la fois idéaliste et opportuniste, antiraciste et clientéliste, compatissant et calculateur ― rien ne l’arrête, car rien ne le culpabilise. Tout en gardant les yeux grands ouverts sur la situation au Moyen-Orient, je réponds donc “un sioniste” à la question “qui êtes-vous ?”. Seule cette réponse prend en compte la réalité non certes de la persécution, mais de la haine vertueuse. » (p. 134)

Voilà qui est inadmissible, Monsieur Finkielkraut ! Le sionisme dont vous vous targuez peut aisément s’apparenter à ce que le philosophe israélien Yeshayahou Leibowitz (1903-1994) a analysé sous l’étiquette significative et malheureusement actuelle de « judéo-nazisme »

Ce judéo-nazisme-là est de fait coupable de cette tragédie qui a nom génocide : « Dans la bande de Gaza, 27019 personnes, dont plus de 5350 enfants et au moins 3 250 femmes, seraient décédées. Près de 66139 personnes auraient été blessées dont 10787 enfants. Plus de 17000 enfants sont séparés de leurs parents. Des milliers d’autres sont portés disparus. Les femmes et les enfants représentent 70 % des victimes. Le bilan s’alourdit chaque jour de façon stupéfiante. La bande de Gaza est aujourd’hui l’endroit le plus dangereux au monde pour un enfant. La Cisjordanie est également le théâtre de violences. Au moins 98 enfants auraient été tués et des centaines d’autres, obligés de fuir. 2023 aura été l’année la plus meurtrière jamais enregistrée pour les enfants de Cisjordanie. » (Article publié le 2 février 2024 sur le site officiel de l’UNICEF)

Ces lignes, que nous lisons à la suite de la prose virevoltante de l’immortel, s’avèrent encore plus pertinentes car elles décrivent une réalité des plus terrifiantes. Quoi de plus inexcusable que ce deux poids, deux mesures qui scelle une fois pour toutes l’aveuglement de ce type de consciences ? Ici, Alain Finkielkraut devient le porte-voix de toute une partie des intellectuels français, européens et occidentaux pour qui l’humanité n’est pas une et indivisible, mais lâchement sectaire, clanique et raciste. D’ailleurs, il y a de quoi s’étonner de l’absence d’un Richard Millet, sans doute cela aurait-il parfait le caractère ronce et nauséabond qui caractérise certaines pages de Pêcheur de perles. Détester des esprits éclairés comme Vincent Monteil (1913-2005) ou Edgar Morin, parce qu’ils se sont permis de critiquer Israël, et admirer en revanche un raciste notoire comme Renaud Camus, cela ne relève-t-il pas de la psychiatrie ? Sans doute, M. Finkielkraut. Heureusement que nous savons lire et surtout séparer le bon grain de l’ivraie. À bon entendeur, salut…

Hyacinthe

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