Recit

Pierre Bergounioux invité de Souffle inédit

Rencontre avec Pierre Bergounioux

A propos d’Une chambre en Hollande

Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen

Pierre Bergounioux invité de Souffle inédit

Au moment où la traduction d’Une chambre en Hollande paraît en arabe aux éditions Khotot wa dhilal, nous souhaitons partager ici en français l’entretien que nous avons réalisé avec Pierre Bergounioux. Cet entretien sert en effet de seuil à l’édition arabe de cette œuvre autant plurielle qu’universelle.

Pierre Bergounioux invité de Souffle inédit

Né en 1949, Pierre Bergounioux est enseignant, écrivain, militant de gauche et sculpteur. Considéré comme l’un des plus grands écrivains de sa génération, il est l’auteur d’une œuvre féconde qui compte une soixantaine de titres. Fervent diariste, il a publié, chez Verdier, cinq grands volumes intitulés Carnets de notes (1980-1990 ; 1991-2000 ; 2001-2010 ; 2011-2015 ; 2016-2020).

Pierre Bergounioux a reçu le prix Alain-Fournier en 1986, le prix France Culture en 1995 pour Miette, le Prix Virgile et le Grand Prix de littérature de la SGDL pour l’ensemble de son œuvre en 2002, le prix Roger-Caillois pour l’ensemble de son œuvre en 2009, ainsi que le prix de la langue française (ville de Brive), pour l’ensemble de son œuvre en 2021.

 

Entretien conduit par Aymen Hacen

Rencontre

Pierre Bergounioux invité de Souffle inédit

Quelle place Une chambre en Hollande, d’abord publiée en 2009, puis rééditée en 2012, occupe-t-elle dans la totalité de votre œuvre ?

Pierre Bergounioux. Ce petit récit devait prendre place dans un ensemble auquel auraient conjointement contribué des écrivains néerlandais et français. Ça ne s’est pas fait. Il a été édité séparément.

Je suis tributaire, par la force des choses, d’une manière d’agir, de voir, de sentir, d’un « conformisme logique et moral », en l’occurrence cartésien. L’occasion se présentait d’en examiner la genèse, laquelle, par ses attendus et ses effets, n’allait pas sans complications ni périls. L’axiome du cartésianisme est qu’on peut douter de tout mais non pas de notre pensée. Or, c’est aux Pays-Bas et nulle part ailleurs que Descartes a trouvé le climat de tolérance, de libre-examen où il pourrait développer et publier sa philosophie. « La France, aurait-il dit, est un état de trop lourde police ».

J’ai tenté de restituer l’éveil de l’attitude existentielle qu’on qualifie de rationnelle. Elle ne va à rien de moins qu’à « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ». Nous y sommes si bien parvenus que celle-ci est menacée de destruction.

À quel genre attribuez-vous cette œuvre ? Non seulement aucune indication générique n’est proposée, mais encore Une chambre en Hollande semble être différente de textes de votre cru qui certes lui ressemblent, mais pas trop. Nous pensons notamment à La Fin du monde en avançant et à L’invention du présent, parus tous deux chez Fata Morgana en 2006, soit trois ans avant cette œuvre. N’est-il pas possible de se demander si les trois textes ont été écrits en parallèle ou simultanément ?

Pierre Bergounioux. Notre aventure individuelle est prise dans un contexte dont on ne peut pas ne pas chercher à relever les contours, à saisir les lignes de force. Ils lui impriment sa teneur et son cours. J’ai besoin, j’essaie, à l’occasion, d’entrevoir le plan de généralité où s’inscrit et se perd mon infime destinée. Nous sommes du social individué, de l’histoire incarnée. Le monde est vécu, sa réalité, en partie, au moins, « une prestation subjective », « un problème égologique de caractère universel ». L’Invention du présent, La Fin du monde en avançant participent de cette préoccupation.

 

Vous écrivez dans une langue rare. Nous relevons beaucoup d’exemples d’expressions aussi rares que recherchées à l’instar de « lumineuse parthénogenèse » (p. 16), « après avoir été convaincu de concussion » (p. 20), ou cet emploi du verbe « être » dans « L’Allemagne sera deux siècles à s’en remettre. » (p. 16) Qu’en est-il vraiment ? Écrivez-vous naturellement, c’est-à-dire au fil de la plume, ou bien d’une manière méditée, savante et recherchée ?

Je ne vise à rien d’autre qu’à dire exactement le fait. En quoi je sacrifie à l’idéal cartésien de la vérité, qui consiste à marier la chose et la pensée dans la clarté nuptiale de l’évidence – « Adequatio intellectus rei[1] ».

Pourquoi ce titre ? À vrai dire, si le lecteur ne s’enfonce pas dans le texte, aucun véritable indice, pas même la quatrième de couverture qui est assez énigmatique, ne peut lui annoncer le sujet et la problématique de l’œuvre. Pourquoi ce choix ?

Pierre Bergounioux. La pensée a besoin d’un abri. Elle n’est, selon le physiologiste écossais Alexander Bain, qu’ « un geste retenu, une parole ravalée ». Celui qui pense, c’est-à-dire qui hésite sur la conduite à tenir, est vulnérable. Descartes, qui avait l’expérience de la guerre, l’a senti, nettement dit dans ses Méditations métaphysiques : « Car il n’est pas question ici d’agir mais de méditer et de connaître ». C’est dans une chambre, l’hiver, la nuit, en Allemagne, en 1619, qu’il a eu la révélation d’ « une science merveilleuse », dans d’autres chambres, en Hollande, surtout, inconnu, seul, caché – « larvatus prodeo » – qu’il composera l’essentiel de son œuvre. Et comment ne pas se rappeler le mot de son cadet, Pascal : « Tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ».

Une amie universitaire arabisante tunisienne, Myriam Dziri, à la lecture du texte en arabe et en français s’est exclamée de la sorte : « Mais qui est Pierre Bergounioux ? Est-il un encyclopédiste issu de la lignée des grands savants arabes et orientaux de l’Âge d’or ? »

Ce cri du cœur doit être considéré comme un signe d’admiration. Or, justement, Une chambre en Hollande est un texte savant, complexe, écrit sur et à partir de nombreux autres textes. Pouvez-vous nous en décrire le fonctionnement, l’écriture, la genèse ?

Pierre Bergounioux. C’est la magie de l’écrit que de rester. Notre société se compose d’autant et plus de morts que de vivants. J’aurai passé bien plus de temps dans les livres de ceux-là qu’à converser avec ceux-ci. Quoi de moins surprenant que la grande rumeur du passé derrière ce que je peux bien raconter, à mon tour, « dans la lumière tiède » (Michelet) de la vie, du présent.

Pierre Bergounioux invité de Souffle inédit

Khotot wa dhilal

Le livre

Jeudi littéraire

[1] « La vérité est l’adéquation de la pensée et des choses » : est une formule philosophique qui exprime la conception de la vérité comme accord ou correspondance entre le langage et la réalité. [Note du traducteur]

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Souffle inédit

Magazine d'art et de culture. Une invitation à vivre l'art. Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.

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