Derrière son sourire éclatant et son charisme maîtrisé, Dua Lipa incarne l’archétype d’une pop star du XXIe siècle : mondialisée, polyglotte, ancrée dans les codes du marché mais résolument attachée à ses racines.
Dua Lipa : entre héritage albanais et culture britannique
Par Monia Boulila
Née le 22 août 1995 à Londres de parents kosovars albanais, l’artiste britanno-albanaise a su faire de sa double identité une force, cultivant une esthétique musicale et visuelle qui transcende les frontières. Retour critique sur un parcours fulgurant, entre tubes calibrés, engagements culturels et quête d’authenticité.
Fille de Dukagjin Lipa, chanteur et organisateur d’événements, et d’Anesa Rexha, Dua Lipa grandit dans un environnement familial où la musique occupe une place centrale. Installés à Londres après avoir fui la guerre au Kosovo, ses parents lui transmettent un attachement viscéral à leur culture d’origine, sans l’éloigner pour autant de l’effervescence artistique de la capitale britannique. Adolescente, elle écoute aussi bien Jamiroquai que Missy Elliott ou Pink, nourrissant un goût éclectique qui se retrouvera plus tard dans ses albums.
En 2008, sa famille retourne vivre à Pristina, au Kosovo. À 15 ans, Dua Lipa revient seule à Londres pour poursuivre sa formation artistique.
Déterminée, elle publie ses premières reprises sur YouTube, mise sur une esthétique pop-indé, et décroche en 2015 un contrat avec Warner Bros Records. La machine est lancée.
L’ascension fulgurante d’une voix pop
Le premier album Dua Lipa, sorti en 2017, est un succès critique et commercial. Porté par les tubes New Rules et IDGAF, il impose une artiste à la voix grave et au style affirmé, loin des clichés lisses de la pop sucrée. Sa musique s’inscrit dans une tradition britannique de la pop autoritaire, quelque part entre Charli XCX et Amy Winehouse, avec une forte empreinte féministe.
Mais c’est avec Future Nostalgia (2020) que Dua Lipa s’impose comme une figure incontournable de la scène internationale. En pleine pandémie, l’album fait l’effet d’un antidote joyeux : rythmes disco, lignes de basse funky, clins d’œil assumés aux années 80. Le succès est tel qu’il propulse la chanteuse au rang d’icône planétaire, récompensée aux BRIT Awards et aux Grammy Awards. Elle devient la nouvelle voix de la génération Z, capable de conjuguer nostalgie et modernité.
Une artiste en perpétuelle évolution
Dua Lipa ne se contente pas de recycler des formules gagnantes. Avec Radical Optimism, son troisième album sorti en 2024, elle prend un virage plus introspectif. La production, plus sobre et psychédélique, s’inspire du rock britannique et évoque parfois des sonorités à la Tame Impala. Le titre même de l’album semble annoncer une posture nouvelle : croire en la beauté du chaos, affronter les incertitudes avec élégance.
L’artiste a également multiplié les collaborations marquantes, de Calvin Harris à Elton John, en passant par Angèle avec Fever, succès européen qui mêle anglais et français. Son timbre de voix singulier, reconnaissable entre mille, et son sens de la mélodie efficace font d’elle une partenaire de choix dans l’industrie musicale.
Une égérie culturelle engagée
Au-delà de la musique, Dua Lipa incarne un style. Égérie de maisons comme Versace, elle impose une silhouette sculpturale et un goût sûr pour le vintage revisité. Mais son image ne se limite pas à l’esthétique : elle s’engage pour le Kosovo, son pays d’origine, qu’elle défend ardemment sur la scène internationale, allant jusqu’à créer le Sunny Hill Festival à Pristina.
Plus encore, Dua Lipa œuvre à faire dialoguer les cultures. En 2023, elle lance Service95, une plateforme éditoriale et un podcast qui donnent la parole à des voix du monde entier. Passionnée par le patrimoine, elle s’intéresse à la mémoire des cultures européennes et promeut une vision plurielle, inclusive et réinventée de l’identité continentale. À l’heure des replis nationalistes, elle incarne une Europe cosmopolite, jeune et curieuse.
Regards critiques : Dua Lipa, produit marketing ou artiste visionnaire ?
Son parcours soulève toutefois des interrogations. Le succès millimétré, les visuels léchés, la stratégie de diffusion savamment orchestrée : tout chez Dua Lipa semble parfaitement contrôlé. Certains y verront une fabrication industrielle, d’autres un modèle d’adaptation aux codes d’une industrie impitoyable. Son esthétique vintage est-elle hommage sincère ou recyclage habile ?
Pourtant, derrière cette mécanique bien huilée, se cache une artiste en quête de cohérence, attentive à sa narration personnelle et culturelle. Elle ne se contente pas de performer, elle façonne une vision. Là où d’autres surfent sur les tendances, elle tente de les devancer, en cultivant une forme d’élégance intellectuelle rare dans la pop contemporaine.
Dua Lipa est sans doute l’une des rares artistes à concilier l’efficacité de la pop mainstream avec une réelle curiosité culturelle. À seulement 30 ans, elle occupe une place unique : celle d’une voix qui chante, danse et pense. Ni tout à fait produit marketing, ni tout à fait dissidente, elle est peut-être tout simplement le reflet d’une époque en quête d’identité, où le divertissement peut aussi être une forme d’engagement.