Interzone : le salut par la musique
Interzone : le salut par la musique
Les jeudis d’Hyacinthe
Depuis leur rencontre à Damas au printemps 2002, Serge Teyssot-Gay, alors guitariste du groupe légendaire Noir Désir, et Khaled Aljaramani ont opté pour un dialogue supérieur. Ainsi, un guitariste et un joueur d’oud se sont donné le mot pour une collaboration inattendue afin de mettre au monde quelque chose qui s’est avéré être beaucoup plus que de la musique : une «rencontre».
Quatre albums ont déjà vu le jour : Interzone, en 2005 ; Interzone. Deuxième jour, en 2007 ; Waiting for spring, en 2013 et Interzone 4ème jour avec un sous-titre «Kan Ya Ma Kan», soit «Il était une fois» en arabe.
Deux hommes sur scène
Les titres sont aussi simples que significatifs, disant fidèlement l’authenticité de cette «rencontre», immortalisée par le duo dans un morceau du même nom. Les quatre albums expriment cette volonté de dialoguer, tandis que l’oud oriental et sa petite-fille occidentale, la guitare électrique, n’en sont que la métaphore ou les outils : une histoire faite de malentendus, de cacophonies, de ruptures et de violences. De fait, la relation entre les deux hommes, pareille à celle des deux instruments, semble s’affirmer d’un titre à l’autre et d’un album à l’autre, l’oud gagnant plus de terrain notamment à partir du deuxième opus.
Il faut voir les deux hommes sur scène pour s’en rendre compte : Serge Teyssot-Gay est toujours debout pieds nus, alors que Khaled Aljaramani est assis sur une chaise dans une posture compacte digne d’un soufi en méditation. Le premier danse, avance, recule, trace des cercles avec le corps, la musique et des vocalises occidentales qui semblent bien trouver leur place dans le creux de la musique orientale distillée par le joueur d’oud qui désormais, dans Interzone4e jour , chante en arabe des paroles écrites par lui-même, d’autres du grand poète mystique Ibn al-Faredh, ainsi que des chants de caravanier. Le résultat est d’autant plus concluant qu’il donne au nom du groupe, Interzone, toute sa force, sa poésie et son horizon de musique et de vie.
Duo de rêve
À ce titre, je me souviens d’un concert d’Interzone en avril 2007 au Ninkasi à Lyon. J’y étais avec l’ami Florian Berthé, qui était comme moi féru du groupe de rock Noir Désir et des albums en solo de Serge Teyssot-Gay. Une première partie, assurée par un groupe dont j’ai oublié le nom, a été très réussie et mon compère de me dire qu’il craignait pour la suite… Un pari a été lancé et, grâce au duo de rêve, j’ai gagné plus d’un verre… En effet, la bonne musique est facile à vérifier en concert : en dehors de la danse et d’une ambiance de fête chère aux Tunisiens par exemple, c’est une sorte de transe qui se met en place et qui est la vraie pierre de touche des grands musiciens. Rien à dire, Interzone est de la trempe des grands et ce dialogue, voire cette fusion entre l’oud et la guitare, en est la preuve par la musique.
Le mystérieux chiffre
Or cette musique ne passe pas sous silence les angoisses des deux hommes, et le troisième album, placé sous le signe des printemps arabes, de la guerre civile en Syrie et de la situation chaotique du peuple syrien, semble être l’expression de la détresse du digne Syrien qu’est Khaled Aljaramani. Oui, comme beaucoup, l’artiste attend le printemps et cette attente est d’autant plus douloureuse que celui-ci s’est transformé en un hiver sans nom. Les titres le révèlent, «Sur la route de Homs», le mystérieux chiffre «12644» qui peut-être renvoie à des victimes ou au numéro de prisonnier de quelqu’un, peut-être de l’artiste lui-même…
Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses et songer, rêveurs, à une possible «Évasion» d’après le nom du dernier morceau de Waiting for spring. Ce qui est en revanche sûr, c’est que cette musique, entre jubilation, extase, douleur, détresse et poésie, reflète la vie et montre que la musique est, du moins peut-être source de salut.
Crédit photo @Interzone : Serge Teyssot-Gay et Khaled Aljaramani