« La Traviata » au Théâtre de l’Opéra de Tunis – Les prestations majestueuses Hassen Doss et Lilia Ben Chikha.
« La Traviata » au Théâtre de l’Opéra de Tunis : Un opéra porté par l’excellence tunisienne
La Traviata : L’émotion à son comble
Dans le cadre majestueux du Théâtre de l’Opéra à la Cité de la Culture, La Traviata de Giuseppe Verdi a resplendi les 9 et 11 mai 2025, dans une version tuniso-italienne d’une rare intensité. Portée par une distribution exceptionnelle et une direction artistique remarquable, cette production a démontré la vigueur du genre lyrique en Tunisie, captivant un public enthousiaste, touché et conquis.
Une coproduction ambitieuse et raffinée
Cette nouvelle version du chef-d’œuvre verdien est le résultat d’une collaboration solide du ministère tunisien des Affaires culturelles, de l’Institut Culturel Italien de Tunis, du Pôle Musique et Opéra et du Pôle Ballets et Arts Chorégraphiques. Mise en scène avec habileté par Stefano Vizioli, reconnu pour ses productions à la Scala de Milan et au Teatro Colón, l’œuvre retrouve ici un souffle nouveau, ancré dans l’exigence théâtrale et la profondeur émotionnelle.
Sous la direction de la cheffe d’orchestre italienne Nicoletta Conti, l’Orchestre Symphonique Tunisien s’est distingué par la clarté de ses lignes, la subtilité des nuances et la tension dramatique de ses envolées. Chaque crescendo semblait jaillir du cœur du drame, chaque silence était chargé d’une émotion retenue. Aux côtés de l’orchestre, le Chœur de l’Opéra, dirigé par Carlo Argelli, a renforcé la dramaturgie collective de l’œuvre.
Hassen Doss, un Alfredo touchant
La performance du ténor Hassen Doss dans le rôle d’Alfredo Germont lors de la première représentation a été un moment d’une rare intensité. Doté d’une voix chaleureuse, souple et puissante, Doss a su incarner toutes les subtilités du personnage : la passion du jeune amoureux, la douleur de l’amant trahi, puis le remords poignant. Sa sensibilité musicale, alliée à un jeu d’acteur sobre mais intensément ressenti, a déclenché une émotion palpable dans la salle.
Ce rôle marque une étape supplémentaire dans le parcours lyrique d’Hassen Doss, déjà reconnu pour sa capacité à conjuguer présence scénique et maîtrise vocale. Son Alfredo a suscité des larmes et des applaudissements, s’inscrivant comme l’un des moments forts de cette production.
Lilia Ben Chikha, une Violetta incarnée
En face de lui, la soprano tunisienne Lilia Ben Chikha offre une Violetta Valéry saisissante. Dès les premières scènes, elle impose une silhouette élégante, pleine de vie et de légèreté, avant de plonger dans les profondeurs du sacrifice et de la mort. Sa voix, riche en harmoniques et finement nuancée, épouse les méandres de la partition avec une aisance remarquable.
Mais c’est dans l’expression dramatique que Lilia Ben Chikha impressionne le plus. Elle ne joue pas Violetta : elle l’est. Dans son regard, ses gestes, sa fragilité comme sa vaillance, elle donne corps à cette femme qui choisit l’amour puis y renonce au nom de l’honneur. La scène finale, où son souffle s’éteint dans les bras d’Alfredo, touche les cœurs les plus endurcis. Loin des clichés du beau chant désincarné, Ben Chikha propose une incarnation habitée, bouleversante, d’un rôle que toutes les grandes sopranos rêvent d’interpréter.
Une réalisation d’ensemble exemplaire
Le baryton Haythem Lahdhiri, dans le rôle de Giorgio Germont, impose autorité et gravité. Sa présence scénique et sa diction limpide confèrent au père d’Alfredo toute la complexité d’un homme partagé entre ses valeurs et la reconnaissance tardive du mal causé. Maram Bouhbel (Flora), déjà remarquée dans Carmen, confirme quant à elle une belle polyvalence vocale et dramatique.
La réussite visuelle de cette Traviata repose également sur le travail minutieux de Kamel Dkhil pour les décors et les costumes. Entre salons mondains et chambres d’agonie, les tableaux défilent avec élégance, rehaussés par les chorégraphies subtiles de Pigi Vanelli interprétées par le Ballet de l’Opéra, dirigé par Sihem Belkhodja.
Une salle comble, un triomphe mérité
Les deux soirées ont affiché complet, en présence d’ambassadeurs, de personnalités culturelles et d’un public fidèle. Ovations prolongées, visages émus, regards captivés : La Traviata à Tunis a touché juste, prouvant que l’opéra est bien vivant, capable de transcender les barrières culturelles et de faire résonner les passions humaines dans leur vérité nue.
Cette production s’inscrit dans une démarche ambitieuse menée par le Théâtre de l’Opéra de Tunis, qui entend affirmer sa place sur la scène lyrique internationale tout en valorisant les talents nationaux. Elle rappelle que la Tunisie, riche de ses voix et de sa scène, est désormais une terre d’opéra.