Marc-Antoine Novel invité de Souffle inédit

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@ MARC ANTOINE NOVEL

Violoncelliste, compositeur, chef d’orchestre et pédagogue, Marc-Antoine Novel appartient à une génération d’artistes pour qui la frontière entre interprétation et création s’efface au profit d’un dialogue vivant entre technique, écoute et liberté.

Marc-Antoine Novel : la rigueur et l’élan

Entretien conduit par Monia Boulila

Formé à la Schola Cantorum, puis aux Conservatoires nationaux supérieurs de Paris et de Lyon, Marc-Antoine Novel incarne une génération de musiciens pour qui interprétation et écriture ne s’opposent pas, mais dialoguent. Violoncelliste, compositeur et pédagogue, il cherche un équilibre constant entre rigueur technique, écoute et liberté créatrice.

Initié très jeune au violoncelle, il montre très tôt des dispositions remarquables qui le mènent à travailler avec de grands maîtres tels que Philippe Muller, Raphaël Pidoux ou Marc Coppey. Lauréat du concours Maurice Gendron à neuf ans, il se produit dès l’enfance sur des scènes prestigieuses, du théâtre du Châtelet à la salle Gaveau. Son parcours s’enrichit d’une passion pour la musique de chambre, qu’il explore au sein du duo Parnasse ou de formations plus larges, notamment à la Salle Pleyel et au festival de Cimiez à Nice.

Aujourd’hui, il poursuit un chemin où la création, la transmission et le plaisir du jeu collectif se répondent comme les voix d’un même dialogue musical.

MARC ANTOINE NOVEL
@ MARC ANTOINE NOVEL

M.B : Vous avez commencé le violoncelle à cinq ans. Quel souvenir gardez-vous de cette rencontre précoce avec l’instrument ?

Marc-Antoine Novel : J’avais environ quatre ans et demi quand j’ai commencé la musique, avec des cours de violoncelle dans une école privée à Paris. Ma mère, qui était une excellente pianiste amateur, m’a transmis son goût pour la musique. (Vers douze ans), il a fallu choisir un instrument : piano, flûte à bec, violon ou violoncelle. J’ai simplement demandé si l’on jouait du violoncelle assis ; on m’a répondu oui, et c’est comme ça que je l’ai choisi ! J’ai commencé avec un petit instrument, d’abord un huitième, puis un quart, puis un demi, avant de passer au violoncelle entier.

M.B : Quels ont été les maîtres qui ont façonné votre regard sur la musique ?

Marc-Antoine Novel : Plusieurs professeurs ont profondément marqué ma formation et mon rapport à la musique. Martine Bailly, violoncelliste solo à l’Opéra de Paris, m’a transmis le goût du travail précis et rigoureux, une exigence technique qui m’accompagne encore aujourd’hui.
Avec Marc Coppey, j’ai découvert une autre dimension du son : une approche plus libre, plus ouverte. Il me répétait souvent : « Ouvre la porte du son », une phrase simple mais essentielle qui m’a aidé à trouver ma propre voix.
Enfin, auprès de Xavier Gagnepain à Boulogne-Billancourt, j’ai pu approfondir la théorie, l’écriture et la pédagogie. C’est avec lui que j’ai compris combien la réflexion musicale nourrit le jeu instrumental.

M.B : Vous êtes titulaire de deux masters, en violoncelle et en écriture. Comment ces deux univers — interprétation et composition — dialoguent-ils aujourd’hui dans votre pratique ?

Marc-Antoine Novel : J’ai toujours eu besoin de relier la pratique instrumentale et l’écriture. Jusqu’à présent, j’ai composé six ou sept pièces, tout en poursuivant mon activité de violoncelliste. Ces deux aspects ne s’opposent pas, ils se complètent.
La direction d’orchestre me semble être le lien naturel entre eux : elle exige à la fois une compréhension profonde de la théorie musicale et une expression corporelle du son. Diriger, c’est traduire la musique en geste pour guider les musiciens. Cela me permet de ressentir physiquement ce que j’écris et de penser plus consciemment ce que je joue.

M.B : Vous avez joué au sein de grandes formations comme l’Orchestre de Paris ou l’Orchestre national de Lyon. Que vous a apporté cette expérience du jeu collectif ?

Marc-Antoine Novel : Jouer au sein de grands orchestres m’a beaucoup appris sur l’écoute et la cohésion. Le jeu collectif demande de trouver sa place dans le groupe tout en restant attentif à son pupitre. Cela développe la précision rythmique, l’expression, mais aussi des qualités moins visibles comme l’organisation, la discipline et la connaissance du répertoire.
C’est aussi une expérience humaine forte : il faut comprendre la vision musicale du chef, écouter les autres et coordonner son jeu pour que l’ensemble respire d’un seul mouvement.

M.B : La scène est-elle pour vous un espace d’intimité ou de partage ?

Marc-Antoine Novel : Pendant longtemps, la scène a été pour moi un espace plutôt intime, presque intellectuel. J’abordais la musique comme un problème à résoudre, avec une certaine rigueur — sans doute parce que j’ai un esprit un peu mathématicien. Si je n’avais pas choisi la musique, je me serais sûrement tourné vers les mathématiques.
Mais vers dix-huit ans, quelque chose a changé. J’ai commencé à percevoir la scène comme un lieu de partage avant tout. Ce moment où l’on joue n’appartient plus seulement à soi : il devient une expérience collective, une circulation d’émotions entre les musiciens et le public. Ce partage crée un lien humain très fort, une forme de lien social même, capable de transmettre de la joie, de l’espoir ou du réconfort à ceux qui écoutent.

M.B : Vous avez composé une suite pour violoncelle seul, Les Intervalles. Comment est née cette œuvre ?

Marc-Antoine Novel : J’ai composé Les Intervalles en 2010, j’avais alors quinze ans. Une professeure de violoncelle du conservatoire où j’étudiais, Valérie Aimard, m’avait proposé, un peu pour créer un lien, d’écrire une pièce pour violoncelle seul. C’est ainsi qu’est née cette suite, presque par jeu au départ.
Peu à peu, le projet a pris de l’ampleur. J’y ai exploré les contrastes entre les sons, les silences et les tensions harmoniques — d’où le titre Les Intervalles. Le Prélude et l’Interlude de la suite ont ensuite été créés à Paris, et c’est à ce moment-là que j’ai compris que la composition pouvait devenir un prolongement naturel de mon jeu d’interprète.

M.B : Votre écriture semble à la fois structurée et ouverte à l’improvisation. Pouvez-vous nous expliquer comment se construit votre écriture et comment vous combinez ces deux dimensions ?

Marc-Antoine Novel : Mon écriture se construit d’abord dans l’écoute. J’accorde beaucoup d’importance à la structure, à la manière dont les voix se répondent, un peu à la manière de Jean-Sébastien Bach. Cette rigueur et ce goût pour le contrepoint viennent sans doute de mon intérêt pour l’aspect plus « scientifique » de la musique — une logique interne, une architecture du son.
Mais à côté de cela, j’aime laisser une place à l’imprévu. J’introduis dans mes pièces une dimension plus libre, inspirée de différentes influences contemporaines, comme un patchwork. Cette part d’improvisation ouvre l’espace, donne du mouvement et permet à la musique de respirer autrement. Pour moi, la structure et la liberté ne s’opposent pas : elles coexistent, comme deux forces complémentaires qui donnent à la musique son équilibre.

M.B : Vous enseignez aujourd’hui le violoncelle au Conservatoire de Bagnolet. Qu’a changé pour vous cette expérience de la transmission ?

Marc-Antoine Novel : Enseigner au Conservatoire de Bagnolet, ainsi qu’au Conservatoire de Saint-Germain-en-Laye, m’a beaucoup ouvert. Cette expérience m’a appris à m’adapter aux élèves, à leurs capacités d’écoute, de compréhension et de progression. Chaque élève avance à son rythme, et c’est à moi de trouver la manière juste de l’accompagner.
J’ai aussi eu l’occasion de diriger des orchestres d’élèves. C’est un exercice formateur, qui m’a permis de gagner en assurance, de mieux communiquer et de partager ma propre musique d’une façon plus directe. Transmettre, c’est aussi apprendre à se connaître : à travers l’enseignement, je me sens plus solide et plus à l’aise, y compris lorsque je travaille avec des musiciens professionnels.

M.B : Comment a évolué votre regard sur les jeunes musiciens que vous formez ? L’enseignement nourrit-il votre propre jeu ?

Marc-Antoine Novel : J’ai une élève de 11 ans, d’origine chinoise, qui possède un talent exceptionnel. Elle aborde déjà de grands répertoires et a toutes les capacités pour faire une belle carrière. Mais elle se passionne aussi pour la natation et rêve de devenir championne dans cette discipline. Avec elle, comme avec tous mes élèves, je transmets tout ce que je peux, sans retenue.

Le choix du répertoire est essentiel : j’aime mêler le classique, la musique de film et la création contemporaine. Cette diversité nourrit notre jeu, développe la réflexion, la coordination, et affine la sensibilité. En cherchant les bonnes explications pour mes élèves, je me nourris moi-même : leur apprentissage inspire aussi ma propre pratique.

M.B : Vous explorez différents styles et répertoires dans votre pratique. Comment définissez-vous votre approche musicale au XXIᵉ siècle ?

Marc-Antoine Novel : Oui, c’est vrai, je suis quelqu’un de très ouvert et curieux. J’aime explorer différents styles, passer du classique au contemporain, du romantique à des œuvres plus récentes. Les pièces contemporaines m’attirent parce qu’elles ouvrent d’autres espaces sonores, d’autres façons de penser le violoncelle. Et en même temps, je reste très attaché au répertoire classique et romantique, qui me nourrit toujours autant.

J’aime aussi aller chercher des œuvres moins connues, parfois oubliées, du XIXᵉ ou du XXᵉ siècle. C’est un vrai plaisir de les redécouvrir et de leur donner une nouvelle vie. (Et puis, je trouve intéressant de revisiter certaines pièces anciennes, comme les suites de Bach, sous des instruments différents ou avec d’autres approches.)

Pour moi, jouer au XXIᵉ siècle, c’est ça : garder la curiosité vivante, ne pas rester enfermé dans un seul style, et toujours chercher à relier le passé au présent.

M.B : La musique de chambre, c’est-à-dire des œuvres pour un petit ensemble de musiciens, occupe une place importante dans votre parcours. Que représente pour vous cette forme d’intimité musicale?

Marc-Antoine Novel : La musique de chambre, c’est vraiment un choix personnel. J’aime cette forme, parce qu’elle crée une proximité à la fois entre les musiciens et avec le public. À l’orchestre, on fait partie d’un grand ensemble, c’est une énergie collective, une puissance partagée. Mais dans la musique de chambre, tout devient plus intime, plus direct.

On joue comme un soliste, tout en restant à l’écoute des autres. Chaque respiration, chaque nuance compte, il faut trouver un équilibre entre soi et l’ensemble. C’est une forme d’échange très sincère, presque confidentielle, où la communication passe par le regard, le geste, la tension du son.

Et puis, il y a cette impression d’être plus proche du spectateur. La musique de chambre crée une sorte de cercle restreint où tout le monde partage la même émotion, dans un moment suspendu. C’est sans doute ce qui me touche le plus dans cette pratique.

M.B : Quels sont vos projets actuels ou à venir ?

Marc-Antoine Novel : En ce moment, je travaille sur plusieurs projets liés au festival Musique aux Mines dont ma mère assure la partie administrative. J’assure aussi la trésorerie de l’association Pierre Wissmer, structure qui s’attache à faire connaître et redécouvrir la musique du compositeur franco-suisse Pierre Wissmer, tout en soutenant la création contemporaine.

Pour cette édition, je présenterai un programme consacré à la musique française contemporaine et au violoncelle, un répertoire que j’aime explorer pour sa richesse et sa modernité. Avec Valérie Aimard et Philippe Hattat, nous donnerons un concert pour deux violoncelles et piano, autour notamment de Pierre Wissmer. Ce format permet un dialogue intime entre les instruments, une circulation vivante de l’énergie musicale. Jouer avec ces artistes d’une grande sensibilité est toujours une expérience stimulante, marquée par une réelle complicité.

La seconde création, prévue fin novembre, proposera une expérience plus expérimentale, à la croisée de la musique contemporaine, électronique et visuelle. Nous y explorerons la relation entre le son et l’image, avec des visuels générés par intelligence artificielle, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives sur la manière de percevoir la musique aujourd’hui.

Parallèlement, je poursuis le développement de mes compétences en direction d’orchestre, une discipline qui unit mes deux univers : l’interprétation et l’écriture. Enfin, avec Philippe Hattat, nous souhaitons faire voyager notre duo à l’étranger, afin de partager notre travail avec de nouveaux publics et d’élargir notre horizon musical.

M.B : Merci Marc-Antoine Novel pour ce moment d’échange où la musique s’est faite parole et partage.

Monia Boulila
Poète tunisienne
Déléguée de la Société des Poètes Français
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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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