Pionnière trop longtemps reléguée aux marges de l’histoire musicale, Sister Rosetta Tharpe a façonné un langage sonore nouveau en électrifiant le gospel. Guitariste d’exception, chanteuse audacieuse, elle a posé les fondations du rock’n’roll dès la fin des années 1930, influençant des artistes comme Chuck Berry, Elvis Presley et Little Richard.
Sister Rosetta Tharpe, pionnière du rock’n’roll et guitariste de gospel : l’énergie qui a changé la musique
Par la rédaction
Des racines gospel aux scènes de Chicago
Née en 1915 à Cotton Plant, dans l’Arkansas, Rosetta Nubin grandit au rythme des offices de la Church of God in Christ. Sa mère, Katie Bell Nubin, chanteuse et mandoliniste, lui transmet le goût du gospel et l’encourage à monter très tôt sur scène. À quatre ans, l’enfant se révèle prodige du chant et de la guitare ; à six ans, elle parcourt déjà le Sud des États-Unis aux côtés de la troupe évangélique de sa mère.
Lorsque la famille s’installe à Chicago dans les années 1920, Rosetta s’impose rapidement dans les concerts religieux de la COGIC. La guitare, alors rarement confiée à des femmes, devient son instrument d’expression privilégié. Son jeu vif et précis attire l’attention : une singularité dans un milieu dominé par les voix et les chœurs.
La naissance d’un style : Rosetta Tharpe et la guitare électrique
En 1938, à vingt-trois ans, Rosetta Tharpe fait une entrée remarquée à New York. Elle enregistre ses premiers titres chez Decca Records avec l’orchestre de jazz de Lucky Millinder. Rock Me, That’s All, My Man and I et The Lonesome Road rencontrent un succès immédiat. C’est la première fois qu’une musicienne de gospel atteint une telle visibilité commerciale. Dans le même élan, elle se produit au Cotton Club de Harlem puis sur la scène du Carnegie Hall lors du concert From Spirituals to Swing organisé par John Hammond.
Ces apparitions déstabilisent une partie du public traditionnel : entendre du gospel dans un nightclub, accompagné par des musiciens de jazz, constitue pour certains une transgression. Mais cette tension accompagne l’audace de Tharpe, qui mêle ferveur religieuse, énergie rythmique et présence scénique.
La rupture esthétique s’affirme quelques années plus tard. Avec la guitare électrique, Rosetta Tharpe signe un geste fondateur. Sur des titres comme Shout Sister Shout ou That’s All, elle impose un jeu rapide, clair et inventif qui devient la matrice du rock’n’roll. Chuck Berry et Elvis Presley s’en inspireront directement. La fluidité de ses riffs, la dynamique de ses attaques et son sens du rythme font de ces enregistrements des repères déterminants dans l’histoire des musiques populaires.
Collaborations, tournées et héritage musical
Dans les années 1940, sa collaboration avec la chanteuse de gospel Marie Knight marque une nouvelle étape. Ensemble, elles enregistrent des titres qui rencontrent un large écho, notamment Up Above My Head. Leur duo témoigne d’une grande complicité musicale et d’une modernité assumée.
Lorsque les deux artistes s’éloignent momentanément du gospel pour enregistrer un album de blues en 1953, l’accueil est difficile : le public religieux condamne cette incursion, et l’album ne trouve pas son public. Leur popularité en sera durablement affectée.
Rosetta Tharpe poursuit néanmoins sa route. Invitée en 1960 à la première édition du festival de jazz d’Antibes Juan-les-Pins, elle découvre un public européen sensible à son énergie et à son inventivité. En 1964, un concert en plein air dans une gare désaffectée de Manchester, aux côtés de Muddy Waters, devient l’une de ses performances les plus marquantes : une scène brute, un son direct, une artiste au sommet de sa maîtrise.
Chansons et albums marquants dans l’œuvre de Rosetta Tharpe
L’œuvre de Sister Rosetta Tharpe est portée par une série de chansons qui ont façonné son influence. Parmi ses titres les plus emblématiques, Rock Me, Shout Sister Shout, Up Above My Head (I Hear Music in the Air), This Train et That’s All occupent une place centrale. Ces morceaux, enregistrés entre la fin des années 1930 et les années 1950, témoignent de sa capacité à unir ferveur gospel, rythmes rapides et puissance instrumentale.
Sa discographie compte également plusieurs albums majeurs, dont Gospel Train (1956), Famous Negro Spirituals and Gospel Songs (1957), Sister Rosetta Tharpe (1959), Gospels in Rhythm (1960) et Live in Paris (1964), qui illustrent l’évolution d’une musicienne toujours attentive au son, au rythme et à la scène. Ces enregistrements, souvent réédités, constituent aujourd’hui des repères essentiels pour comprendre l’émergence du rock’n’roll et la place fondatrice que Tharpe occupe dans l’histoire de la musique américaine.
Rosetta Tharpe meurt en 1973 à Philadelphie. Il faudra attendre 2018 pour qu’elle soit introduite au Rock and Roll Hall of Fame, reconnaissance tardive de son rôle majeur. Son œuvre demeure celle d’une musicienne qui n’a cessé de franchir les cadres. En électrifiant le sacré, elle a inventé un langage qui, sans renoncer à ses racines, a ouvert l’horizon musical du siècle.
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