Matisse et Marguerite le regard d’un père
Exposition au Musée d’Art Moderne, jusqu’au 24 août 2025
Par Djalila Dechache
Marguerite au chat noir
Issy-les-Moulineaux, début 1910
Huile sur toile
94 x 64 cm
Paris, Centre Pompidou Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle
Don de Madame Barbara Duthuit en mémoire de Claude Duthuit, 2013 Crédit : © Centre Pompidou, MNAM-CCI
On pourrait se demander comment a-t-on fait pour se passer de cette exposition magistrale sur la relation d’un peintre remarquable avec sa fille Marguerite ? Elle arrive à point nommé à Paris au Musée d ‘Art Moderne.
Conçue en forme de F inversé, elle se déploie en 11 parties qui reflète les déplacements de la famille et des événements en France : Introduction, Collioure, Marguerite, modèle d’avant-garde, Portraits de guerre, Mademoiselle Matisse, Etretat, Avec Henriette Darricaire Nice, Marguerite au travail, Le Visage du retour, Espace de projection et Espace Famille, s’échelonnant de 1894 qui correspond à la naissance de Marguerite et à 1945, derniers portraits de son père.
Marguerite( 1894-1982) est née d’une liaison d’Henri Matisse avec un précédent modèle du nom de Caroline Joblaud, l’enfant, a été déclarée à l‘état civil sous le nom de sa mère. Trois années plus tard, le peintre reconnaitra officiellement sa fille qu‘il a pris avec lui et Amélie Parayre sa future femme qu‘il épousât en 1898.
Au fil de la déambulation, le visiteur découvre quelques 110 portraits, dessins, photographies et sculptures de Marguerite, le plus souvent en buste. L’expression de son visage évolue beaucoup au cours des découvertes, d’enfant, elle passe par des figures dures, presqu’adulte, renfrognée, sans sourire ni sensation de joie de vivre.
Pierre Antoine / Musée d’Art Moderne de Paris
En photographie avec son père et Amélie, Marguerite se montre plus clairement avec un visage triste, mélancolique, des cernes bruns autour des yeux et un teint pâle. Elle a l‘air si solitaire !
Pourtant, elle n ‘est pas la seule enfant du foyer, elle a deux frères qui vivent avec elle et les parents. Une maladie de la trachée l’a tourmentée des années durant jusqu‘à ce qu’elle se fasse opérer.
Il semble qu’il y ait eu une relation particulière entre Marguerite et son père. Il est vrai qu’elle a été son modèle pendant de nombreuses années. Il y a un attachement peu ordinaire qui apparait dans les séries de portraits.
En tous cas, ce qui est sûr est que pour Henri Matisse, Marguerite n‘aura eu aucune concurrente pour poser et ce jusqu‘à son mariage en 1923 avec l’écrivain et critique d’art Georges Duthuit.
Pour Marguerite commence alors une autre vie, celle de s’occuper de l‘accrochage des œuvres de son père lors d’expositions et dès 1935, séparée de son mari elle gère les affaires paternelles. Elle essaie de peindre, sans percer véritablement. Elle se lance dans la mode haute couture avec une collection présentée en Angleterre sans succès.
Pendant la seconde guerre mondiale elle s’implique dans la Résistance, elle est arrêtée et incarcérée par la Gestapo, frôlant la déportation qu‘elle évite de justesse.
Elle réalise en 1946, le catalogue raisonné de l’œuvre de son père.
Son père s’éteint à Nice le 3 novembre 1954 à Nice en sa présence. Il aura été le père le plus bienveillant avec sa fille Marguerite. Comme on peut le constater Matisse a toujours donné à sa fille la chance de gérer son œuvre et des commandes et ce jusqu’à la fin de sa vie. Ce regard d’un père est plus que paternel, il est affectueux, empathique, attentif, protecteur et maternel aurait-on envie d’ajouter.
Cela donne l’impression que Matisse a voulu protéger sa fille en la gardant le plus longtemps possible auprès de lui, en lui offrant une activité merveilleuse en compagnie de son art. C’est un don merveilleux de la part de Matisse que de veiller de son vivant à veiller et à récompenser sa fille. Le film de quelques minutes qui clôt l’exposition est magnifique, il faut le voir plusieurs fois pour en recueillir la sève.
L’exposition est remarquable sur tous les points de vue: présentation, circulation, choix des tableaux, scénographie avec aussi quelques vitrines contenant des carnets de croquis du peintre et quelques objets. Il y a une énergie particulière dans cette exposition qui dépayse, transporte, enrichit, comble l‘esprit et l‘âme de merveilleuses œuvres d’art.