Mercredi en poésie avec July Giguère
Digue ou écluse
La profondeur de ton silence n’est une énigme que pour moi
et moi seule en frémis
Comme la fois où, petite, j’avais voulu jauger la puissance du courant
en grimpant sur le dam du lac ensemencé par grand-père
Il avait l’air presque sauvage de là-haut : un large marais nu, trop las pour réfléchir le ciel.
Serais-je remontée à la surface si j’avais perdu pied sur le bois gluant du pont
Des truites auraient-elles jailli devant mes yeux si j’étais restée plus longtemps
Ton visage
aussi dénudé soit-il
Ne le dit pas
Il ne cache pas ses rides pourtant
ni son amour ni sa fatigue
Et sa colère, plus pure qu’une joie
il ne l’épuise jamais
Rien ne s’y lit qui ne soit pas ombre
puis lumière silence limpide
Même les mots posés sur le seuil restent muets
Après le vent
Quel paysage es-tu maman
une fois le vent tombé
et tes maux fondus
à la clarté étale d’un jour brun très doux
Je ne te distingue pas de la plaine
où tu marches
front nu
à même ta candeur retrouvée
Vagues lumières de ton existence
bordée d’épinettes noires
Qui s’inquiétera de te voir hanter
les terres de ton enfance
si je te quitte des yeux
Qui saura
que tu quêtes une clémence
que tu n’obtiens jamais
La mer
La mer était devenue si sombre que le monde
s’en était trouvé tranché en deux
une moitié du ciel sable et eau
et une autre sang
d’écorce et de boue
J’attends
que marcher dans une autre direction
devienne possible
Le vent me frappe au milieu du visage
Le froid
– comme un père –
Veille sur mon corps engourdi
Enfant, July Giguère a vécu un peu partout, au Canada, aux États-Unis et au Mexique, dans un Winnebago. Elle habite depuis peu Montréal, mais son cœur reste fidèle à l’Estrie, où elle a passé les dix-neuf dernières années à explorer les sentiers des montagnes et les rives des lacs, quand elle n’étudiait ou n’enseignait pas la littérature.
Au fil des ans, elle a de plus participé à de nombreux évènements littéraires et fait paraître des textes dans les pages de Jet d’encre, d’Exit, d’Art le Sabord et des Cahiers littéraires Contre-jour. Son roman Et nous ne parlerons plus d’hier (Leméac) a été finaliste au prix Ringuet et son recueil de poésie Rouge – presque noire (l’Hexagone) lui a valu le Grand Prix du livre de la Ville de Sherbrooke.