Mercredi en poésie avec Louis Aragon
Elsa au miroir
C’était au beau milieu de notre tragédie
Et pendant un long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d’or je croyais voir
Ses patientes mains calmer un incendie
C’était au beau milieu de notre tragédie
Et pendant un long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d’or et j’aurais dit
C’était au beau milieu de notre tragédie
Qu’elle jouait un air de harpe sans y croire
Pendant tout ce long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d’or et j’aurais dit
Qu’elle martyrisait à plaisir sa mémoire
Pendant tout ce long jour assise à son miroir
À ranimer les fleurs sans fin de l’incendie
Sans dire ce qu’une autre à sa place aurait dit
Elle martyrisait à plaisir sa mémoire
C’était au beau milieu de notre tragédie
Le monde ressemblait à ce miroir maudit
Le peigne partageait les feux de cette moire
Et ces feux éclairaient des coins de ma mémoire
C’était un beau milieu de notre tragédie
Comme dans la semaine est assis le jeudi
Et pendant un long jour assise à sa mémoire
Elle voyait au loin mourir dans son miroir
Un à un les acteurs de notre tragédie
Et qui sont les meilleurs de ce monde maudit
Et vous savez leurs noms sans que je les aie dits
Et ce que signifient les flammes des longs soirs
Et ses cheveux dorés quand elle vient s’asseoir
Et peigner sans rien dire un reflet d’incendie.
Elsa
Tandis que je parlais le langage des vers
Elle s’est doucement tendrement endormie
Comme une maison d’ombre au creux de notre vie
Une lampe baissée au coeur des myrtes verts
Sa joue a retrouvé le printemps du repos
Ô corps sans poids pose dans un songe de toile
Ciel formé de ses yeux à l’heure des étoiles
Un jeune sang l’habite au couvert de sa peau
La voila qui reprend le versant de ses fables
Dieu sait obéissant à quels lointains signaux
Et c’est toujours le bal la neige les traîneaux
Elle a rejoint la nuit dans ses bras adorables
Je vois sa main bouger Sa bouche Et je me dis
Qu’elle reste pareille aux marches du silence
Qui m’échappe pourtant de toute son enfance
Dans ce pays secret à mes pas interdit
Je te supplie amour au nom de nous ensemble
De ma suppliciante et folle jalousie
Ne t’en va pas trop loin sur la pente choisie
Je suis auprès de toi comme un saule qui tremble
J’ai peur éperdument du sommeil de tes yeux
Je me ronge le coeur de ce coeur que j’écoute
Amour arrête-toi dans ton rêve et ta route
Rends-moi ta conscience et mon mal merveilleux.
Recueil les yeux d’Elsa 1942
Louis Aragon
Louis Aragon, né le 3 octobre 1897 à Paris et décédé le 24 décembre 1982, est un poète, romancier et essayiste français de renom, ainsi qu’une figure emblématique du surréalisme et du communisme français. Cofondateur de la revue surréaliste Littérature avec André Breton et Philippe Soupault, il est l’auteur de nombreux recueils de poésie tels que Le Paysan de Paris (1926) et Les Yeux d’Elsa (1942), dédiés à sa muse et épouse Elsa Triolet. Engagé politiquement, Aragon adhère au Parti communiste français en 1927 et met son art au service de la cause prolétarienne, notamment avec son roman Les Cloches de Bâle (1934) et sa trilogie Le Monde réel.
Il a renouvelé la poésie en utilisant à la fois la prose et les formes classiques. Il a aussi contribué par ses romans aux grands courants littéraires du XXe siècle, roman surréaliste, roman réaliste, nouveau roman.
Son œuvre, riche et diversifiée, allie une profonde sensibilité poétique à un engagement politique fervent, faisant de lui une voix majeure de la littérature du XXe siècle.
Principales œuvres
- Anicet ou le Panorama (1921)
- Les Aventures de Télémaque (1922)
- Le Paysan de Paris (1926)
- Le Mouvement perpétuel (poésie, 1926)
- Les Cloches de Bâle (1934)
- Les Beaux Quartiers (1936)
- Hourra l’Oural (poésie, 1934)
- Le Crève-Cœur (poésie, 1941)
- Cantique à Elsa (poésie, 1942)
- Les Yeux d’Elsa (poésie, 1942)
- Brocéliande (poésie, 1942)
- Le Musée Grévin (poésie, 1943)
- Les Voyageurs de l’Impériale (1942)
- Aurélien (1944)
- La Diane Française (poésie, 1944)
- La Rose et le Réséda (poésie, 1944)
- Servitude et Grandeur des Français. Scènes des années terribles (1945)
- Les Communistes (6 volumes) (1949-1951)
- Le Roman inachevé (poésie autobiographique, 1956)
- La Semaine Sainte (1958)
- Elsa (poésie 1959)
- Le Fou d’Elsa (poésie, 1963)
- Il ne m’est Paris que d’Elsa (poésie, 1964)
- La Mise à mort (1965)
- Blanche ou l’oubli (1967)
- Le Mentir-vrai (1980)
- La Défense de l’infini (1986)
Tableau de couverture : Femme à sa toilette de Berthe Morisot
Berthe Morisot née le 14 janvier 1841 à Bourges et morte le 2 mars 1895 à Paris, est une artiste peintre française, cofondatrice et doyenne du mouvement d’avant-garde que fut l’impressionnisme.
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