Mercredi en Poésie avec Gérard Le Goff
Extraits d’un recueil achevé : L’estran des jours, qui devrait être publié en 2025.
1
Tu as emporté avec toi
l’énigme des étoiles,
juste assez de sable
pour que nos châteaux
retombent en enfance.
Océan qui jamais ne donne !
Tu as laissé en partance
l’inconsolable espoir,
gréé de hautes voiles,
pour le mieux naufrager
aux écueils des bourreaux.
Océan qui jamais ne raisonne !
Tu as lavé de la terre
les caps de ses mains,
grandes ouvertes,
à égrener les archipels
que prolongent les nuages.
Océan qui jamais ne s’étonne !
Tu as brodé l’horizon
d’agapanthes flottées,
bleues de ce jour
que le ressac complainte
au gré des grèves.
Océan qui jamais n’illusionne !
Tu as laissé pour mémoire
les nageurs morts,
défaits jusqu’à la transparence,
oublié l’écume de leur chant
aux lèvres des vagues.
Océan qui jamais ne pardonne !
Tu as accompli ton étale
que célèbre la lune levée.
Tu ne dors ni ne rêves,
et toujours revient ton flot
avec le sang du levant.
Océan qui jamais n’abandonne !
2
Le cirque est en ville
On a repeint la mairie
Les automates de la Reine
Ne plaisent plus
Aux missionnaires bègues
De retour de la kermesse
Les policiers de verre
Distribuent des programmes
Que déchirent les enfants
Les lions sont lâchés
Aux trousses des mendiants
Dans l’impasse du Dégoût
La mère Michel a retrouvé son chat
Dans le pantalon d’un politicien
Les écrans multipliés
Diffusent les jeux du stade
Qu’on construisit avec des crânes
À l’abattoir comme au bordel
On applaudit les champions
Mercenaires endocrinés
Idiots comme des pierres
Au clair de la lune
Les ambulances hurlent à la mort
Dans l’impasse du Dégoût
Les écuyères se carambolent
Aux quatre coins du palais
Des employés faméliques
Lâchent des ballons multicolores
Don Quichotte mendie son picotin
Sous le regard amusé
De la chroniqueuse de CNEWS
Lorsque tombe le soir
Le carnaval s’organise
Arlequin soufflette Matamore
Tandis que Bob Dylan chante
Dans l’impasse du Dégoût
Juliette ne paye plus son loyer
La voici privée de balcon
On a vu Barnard sans atout
Au casino des égarés
Toutes les fiancées de l’Amérique
Sont si décaties désormais
Mozart ne les fait plus danser
« Mais qui aime la musique aujourd’hui ? »
Peste Don Juan resté en retrait
Lou Reed porte des lunettes noires
Pour ignorer les prophètes
Dans l’impasse du Dégoût
Les chirurgiens dissèquent
L’œuvre de Shakespeare
Les justiciers masqués
Ne savent plus leur leçon
Le monde entier semble œuvrer
Contre les lois de la nature
Andy Warhol peigne sa perruque
Et l’on entend monter des poubelles
Le cri de l’hippocampe
Tous les poèmes écrits pour toi
Font rire les noceurs et les putains
Dans l’impasse du Dégoût
« Quel parti prendre ? »
S’égosille le juge des offensés
Le général grave son propre nom
Sur une plaque de rue
Les touristes visitent la pluie
Une carmélite rousse
Exhibe sa chair laiteuse
Constellée de bubons
Où vas-tu belle aventurière
« Là où fuit le jour »
Demain tu reviendras
Dans l’impasse du Dégoût
Oppenheimer est dans la lune
À ne plus savoir quel feu brûle
Nos rendez-vous sous le chêne
Tu les as oubliés pour de bon
Tu préfères maintenant fréquenter
Les salons de la mer
Tous ces marins qui te gaffent
Je briserai leur miroir
Et les véhicules en mie de pain
Emportent au loin les nains
Ceux-là même qui chantèrent hier
Dans l’impasse du Dégoût
Désormais les compagnies d’assurances
N’estiment plus les poux
La Dame blanche hante ses atours
Quand le pendu bave à la lucarne
On rabat les pouacres à l’usine
Huit jours par semaine à saboter
Les idées des derniers philosophes
On fête Adolf Hitler au cabaret
Et les simulacres se frottent les mains
Quand Jean-Paul Sartre cause du peuple
Il y a foule pour s’esbaudir
Dans l’impasse du Dégoût
Tu peux me parler de Machin
De Truc ou de quelqu’un d’autre
Je ne t’écoute pas
Tu en connais bien du monde
Compris les pantins du régime
Les guitares électriques bourdonnent
Ma haine n’est pas négociable
Tes paroles ne me touchent pas
Tes yeux ne me voient plus
Je n’entends plus rien
Et n’attends personne
Dans l’impasse du Dégoût
3
Je t’écris
Feuille d’écume
Encre de seiche
De ce rivage exilé
Au large de nous
Mes mots en partage
Avec la rumeur de la mer
Je t’écris
Livre de sable
Encre de nuit
Chaque vague
Annonce ta venue
En cette terre inconnue
Où je demeure
Mes paumes vides
Ne savent prier
S’étreignent dans le noir
Je me souviens d’un geste
Délié de ta main
Pour convier un ange
À s’attarder
À l’abri de la peur
Ces heures de soupente
À écouter la grêle
Cribler le printemps
Ces heures lumineuses
À goûter à pleine bouche
Le sel sur ta peau
Je t’écris
Papier d’azur
Encre d’orage
Du plus loin de moi
Pour ne pas oublier
Sur quel rivage avant
Nous partagions la mer
Gérard Le Goff
Gérard Le Goff est né en 1953, à Toulon. Son père est militaire dans la marine nationale. Sa mère élève ses quatre enfants. À la retraite du père, la famille quitte le sud de la France et s’installe à Dinard, d’où lui est originaire. Le grand-père était terre-neuva. Il décroche le baccalauréat en 1969, puis s’inscrit à l’Université de Rennes en lettres modernes. Victime d’un grave accident de la route en mai 1971, il ne peut reprendre sa formation qu’en 1973 et obtient la maîtrise en 1974. Il effectue toute sa carrière au sein de l’Education nationale, tour à tour enseignant, cadre administratif et conseiller en formation continue. Gérard Le Goff, qui écrit depuis l’adolescence, entreprend de revisiter ses archives et commence à publier en 2017. S’en est également suivie une reprise salutaire de l’écriture. Il travaille en parallèle le dessin et la peinture.
Souffle inédit
Magazine d’art et de culture
Une invitation à vivre l’art