Poésie

Issa Makhlouf – Mercredi en Poésie

Mercredi en Poésie avec Issa Makhlouf

 

Partir

Nous partons pour nous éloigner du lieu qui nous a vu naître et voir l’autre versant du matin. Nous partons à la recherche de nos naissances improbables. Pour compléter nos alphabets. Pour charger l’adieu de promesses. Pour aller aussi loin que l’horizon, déchirant nos destins, éparpillant leurs pages avant de tomber, quelquefois, sur notre propre histoire dans d’autres livres.

Nous partons vers des destinées inconnues. Pour dire à ceux que nous avons croisés que nous reviendrons vers eux et que nous referons connaissance.  Nous partons pour apprendre la langue des arbres qui, eux, ne partent guère. Pour lustrer le tintement des cloches dans les vallées saintes. À la recherche de dieux plus miséricordieux. Pour retirer aux étrangers le masque de l’exil. Pour confier aux passants que nous sommes, nous aussi, des passants, et que notre séjour est éphémère dans la mémoire et dans l’oubli. Loin des mères qui allument les cierges et réduisent la couche du temps à chaque fois qu’elles lèvent les mains vers le ciel.
Nous partons pour ne pas voir vieillir nos parents et ne pas lire leurs jours sur leur visage.  Nous partons dans la distraction de vies gaspillées d’avance.

Nous partons pour annoncer à ceux que nous aimons que nous aimons toujours, que notre émerveillement est plus fort que la distance et que les exils sont aussi doux et frais que les patries.

Nous partons pour que, de retour chez nous unjour, nous nous rendions compte que nous sommes des exilés de nature, partout où nous sommes.

Nous partons pour abolir la nuance entre air et air, eau et eau, ciel et enfer. Riant du temps, nous contemplons désormais l’immensité. Devant nous, comme des enfants dissipés, les vagues sautillent pendant que la mer file entre deux bateaux. L’un en partance, l’autre en papier dans la main d’un petit.

Nous partons comme les clowns qui s’en vont de village en village, emmenant les animaux qui donnent aux enfants leur première leçon d’ennui.

Nous partons pour tromper la mort, la laissant nous poursuivre de lieu en lieu. Et nous continueront de faire ainsi jusqu’à nous perdre, jusqu’à ne plus nous retrouver nous-mêmes là où nous allons, afin que jamais personne ne nous retrouve.

Traduction de l’arabe de Nabil el – Hazan

Mirage, Edition José Corti, 2004

Planète

La terre est belle.
Beau le nuage qui s’en va seul dans le ciel, semblable à un oiseau perdu et désorienté dans son vol. Beaux les astres, aux étranges, aux inquiètes lumières. Gardiens de l’espace infini, ils t’observent de loin, te connaissent mais tu ne les connais pas. Auraient-ils donc de la compassion pour toi qui ignores ce qui t’attend dès le seuil ? À moins que ces étoiles n’oublient que leur sort est aussi le tien.
Tendre est la clémente brise touchant les fronts dans l’été lointain des îles. Tendres les pluies, agiles sur l’herbe sèche. Tendre est le parfum de la femme inconnue qui va son chemin près de toi.

Belle fut notre rencontre avant de trébucher sur les détails. Elle avait l’allure d’un croissant de lune auquel étaient suspendus nos rêves.
Belle est la terre lorsque l’âme la quitte. Tel un astronaute à travers sa vitre, je la vois bleue. Illuminée de l’intérieur, elle lève ses voiles blancs et me précède là où je vais.
Belle planète, notre Terre, allant vers sa fin avec un étrange délice.

Issa Makhlouf

 Mercredi en Poésie avec Issa Makhlouf Partir Nous partons pour nous éloigner du lieu qui nous a vu naître et voir l’autre versant du matin. Nous partons à la recherche de nos naissances improbables. Pour compléter nos alphabets. Pour charger l’adieu de promesses. Pour aller aussi loin que l’horizon, déchirant nos destins, éparpillant leurs pages avant de tomber, quelquefois, sur notre propre histoire dans d’autres livres. Nous partons vers des destinées inconnues. Pour dire à ceux que nous avons croisés que nous reviendrons vers eux et que nous referons connaissance. Nous partons pour apprendre la langue des arbres qui, eux, ne partent guère. Pour lustrer le tintement des cloches dans les vallées saintes. À la recherche de dieux plus miséricordieux. Pour retirer aux étrangers le masque de l’exil. Pour confier aux passants que nous sommes, nous aussi, des passants, et que notre séjour est éphémère dans la mémoire et dans l’oubli. Loin des mères qui allument les cierges et réduisent la couche du temps à chaque fois qu’elles lèvent les mains vers le ciel. Nous partons pour ne pas voir vieillir nos parents et ne pas lire leurs jours sur leur visage. Nous partons dans la distraction de vies gaspillées d’avance. Nous partons pour annoncer à ceux que nous aimons que nous aimons toujours, que notre émerveillement est plus fort que la distance et que les exils sont aussi doux et frais que les patries. Nous partons pour que, de retour chez nous un jour, nous nous rendions compte que nous sommes des exilés de nature, partout où nous sommes. Nous partons pour abolir la nuance entre air et air, eau et eau, ciel et enfer. Riant du temps, nous contemplons désormais l’immensité. Devant nous, comme des enfants dissipés, les vagues sautillent pendant que la mer file entre deux bateaux. L’un en partance, l’autre en papier dans la main d’un petit. Nous partons comme les clowns qui s’en vont de village en village, emmenant les animaux qui donnent aux enfants leur première leçon d’ennui. Nous partons pour tromper la mort, la laissant nous poursuivre de lieu en lieu. Et nous continueront de faire ainsi jusqu’à nous perdre, jusqu’à ne plus nous retrouver nous-mêmes là où nous allons, afin que jamais personne ne nous retrouve. Traduction de l'arabe de Nabil el - Hazan Mirage, Edition José Corti, 2004 Planète La terre est belle. Beau le nuage qui s’en va seul dans le ciel, semblable à un oiseau perdu et désorienté dans son vol. Beaux les astres, aux étranges, aux inquiètes lumières. Gardiens de l’espace infini, ils t’observent de loin, te connaissent mais tu ne les connais pas. Auraient-ils donc de la compassion pour toi qui ignores ce qui t’attend dès le seuil ? À moins que ces étoiles n’oublient que leur sort est aussi le tien. Tendre est la clémente brise touchant les fronts dans l’été lointain des îles. Tendres les pluies, agiles sur l’herbe sèche. Tendre est le parfum de la femme inconnue qui va son chemin près de toi. Belle fut notre rencontre avant de trébucher sur les détails. Elle avait l’allure d’un croissant de lune auquel étaient suspendus nos rêves. Belle est la terre lorsque l’âme la quitte. Tel un astronaute à travers sa vitre, je la vois bleue. Illuminée de l’intérieur, elle lève ses voiles blancs et me précède là où je vais. Belle planète, notre Terre, allant vers sa fin avec un étrange délice. Issa Makhlouf Issa Makhlouf est un poète et écrivain né au Liban et réside à Paris. Docteur en anthropologie sociale et culturelle : Université de la Sorbonne, il est l’auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels Mirages, Lettre au deux sœurs (prix Max Jacob), Une ville dans le ciel, aux éditions José Corti. Ancien professeur à l’École supérieure d'interprètes et de traducteurs de l'Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, Issa Makhlouf était directeur de l'Information à Radio Orient. Il était conseiller spécial des affaires sociales et culturelles à l’ONU, à New York, dans le cadre de la 61e session de l’Assemblée Générale (2006-2007). ISSA MAKHLOUF

Issa Makhlouf  est un poète et écrivain né au Liban et réside à Paris. Docteur en anthropologie sociale et culturelle : Université de la Sorbonne, il est l’auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels MiragesLettre au deux sœurs (prix Max Jacob), Une ville dans le ciel, aux éditions José Corti.

Ancien professeur à l’Ecole supérieure d’interprètes et de traducteurs de l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, Issa Makhlouf était directeur de l’Information à Radio Orient. Il était conseiller spécial des affaires sociales et culturelles à l’ONU,  à New York, dans le cadre de la 61e session de l’Assemblée Générale (2006-2007).

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