Rencontre avec Jacques Viallebesset, le promeneur discret et fraternel
Par Grégory Rateau
Editeur pendant de longues années avant d’accepter enfin de reconnaître qu’il était poète, Jacques Viallebesset est un arpenteur des grands et des petits espaces, il se promène dans le jardin naturel de son Auvergne natale, le verbe haut. Il est l’auteur de plusieurs recueils de poèmes: L’Écorce des cœurs, Le Pollen des jours, Ce qui est épars, Sous l’étoile de Giono, Dans le vert des montagnes , Le plain-chant des hautes terres, la cinquième saison. Une anthologie de ses poèmes vient d’être publiée chez Le Nouvel athanor. Il est également l’auteur d’un roman, La Conjuration des vengeurs, qui a été adapté en bande dessinée.
Rencontre
G.R. : Vous dites chercher la simplicité en poésie, la justesse, la vérité des mots, à l’image du poète René Guy Cadou que vous admirez beaucoup. Y êtes-vous parvenu ?
Jacques Viallebesset : J’ai découvert Cadou à quinze ans, j’ai été ébloui et je le suis encore. La fluidité de son écriture, le rythme et la musicalité de ses vers, ses métaphores restent des modèles d’écriture pour moi. Certains critiques disent que je suis un « lointain héritier de l’école de Rochefort », d’autres que ma poésie est « classique » ; je prends ces formules comme des compliments. J’ai longtemps imité Cadou et l’une des raisons pour laquelle je ne publiais pas est que je considérais que mes poèmes étaient des pastiches de Cadou. Je pense être parvenu tout en restant dans cet univers à trouver ma voie et à proposer une voix singulière.
G.R. : Vous avez grandi dans un village proche de Clermont-Ferrand et après de longues années d’une vie professionnelle bien remplie à Paris, vous y êtes retourné. Ce retour aux sources semble être au centre de votre démarche poétique. Je me trompe ?
Jacques Viallebesset : Je suis sensible à la misère et au malheur du monde, bien sûr, mais c’est à travers les émotions que me procurent la nature, les paysages que je m’exprime. Je m’efforce d’être dans le monde sans lui appartenir. Cette position est politique, humainement engagée au plus haut point par rapport à la vie. C’est la pulsation de la vie, sous toutes ses formes que j’essaie de dire. La poésie se transmet de cœur battant à cœur battant, comme le pollen des jours. L’amour de l’autre, l’amour du monde, l’amour de la vie, en restant fidèle à l’enfant curieux et émerveillé que j’étais, voilà ce que j’essaie d’exprimer avec ma sensibilité dans une forme singulière , harmonieuse , faite de mouvement et de vibrations.
G.R. : Vous avez rendu un bel hommage à Giono qui lui aussi célébrait la terre, les hommes qui font corps avec elle, qui y trouvent aussi parfois un refuge loin du brouhaha du monde et de ses vaines gloires. Pourquoi cette passion pour cet écrivain et son œuvre ?
Jacques Viallebesset : A douze ans, j’ai été fasciné par une tapisserie de Jean Lurçat « Le chant du monde », cette symphonie de l’univers où la terre, l’eau, le feu, l’air dialoguent avec les étoiles. A la même époque, attiré par le titre, j’ai lu « le chant du monde » de Giono », puis toute son œuvre. Cette écriture qui dit, à la fois, l’âpreté de la vie et la belle harmonie de la nature, où l’humain se fait tour à tour animal, végétal, minéral, où le quotidien est relié aux forces cosmiques, dans une langue forte, drue, sensorielle et sensuelle, fait vibrer toutes les cellules de mon corps . « Le poète doit être un professeur d’espérance » a-t-il écrit. Il a été le mien et je n’ai pas d’autre ambition que de l’être pour ceux qui me lisent.
G.R. : Ce qui est palpable en vous lisant, c’est cette volonté de célébrer la vie, l’amour, le sens sans cesse renouvelé de l’émerveillement. C’est bien ce que vous voulez laisser ou tout du moins transmettre ?
Jacques Viallebesset : La poésie est toujours, par un jeu avec le langage ordinaire, l’expression d’un étonnement, d’un émerveillement, d’une célébration ou d’une contestation du réel. C’est un chant ou un cri de la conscience humaine. Pour ma part, sans méconnaître la réalité dans toutes ses dimensions même les plus sordides, j’ai choisi, bien qu’il m’arrive de pousser un cri, de célébrer la vie dans ce qu’elle a de beau, dans son épaisseur , sa profondeur , en m’interrogeant sur son mystère . Je suis , comme beaucoup, dans une quête de sens , non dénuée de spiritualité ( laïque) . N’avoir que ce je crois être des fragments de la beauté à opposer à la laideur de la vie est une attitude et un choix politiques
G.R. : Vous dites que la poésie dans son étymologie invite à créer, à faire de sa vie une œuvre. La poésie est donc une sorte de révélateur, elle ne se contente pas de reproduire, retranscrire le réel, elle en révèle le sens caché, c’est bien ça ?
Jacques Viallebesset : Nous habitons , plus ou moins passivement, dans une société où c’est par le langage et de plus en plus par l’image que se fondent et se transmettent nos représentations du monde . Le langage ,dans notre société matérialiste , est de plus en plus soumis à des impératifs économiques et sociaux. Ceux-ci ont fabriqué un langage utilitariste simplificateur, instrument d’une communication immédiate et de comportements réflexes . qui réduisent l’individu à n’être qu’un producteur-consommateur Retrouver la maîtrise de la langue, du riche vocabulaire qu’elle véhicule, jouer avec sa polysémie , c’est remonter à la source de la poésie et au sens du mot grec « poIêsis » : acte de faire , de créer . Se créer soi-même en écrivant, donc .
G.R. : De manière plus personnelle, vous avez vaincu il y a peu un cancer, vous connaissez le prix de la vie, la valeur du temps. Comment employez-vous le vôtre depuis cette rémission ? Une remise en question de votre mode de vie passé ou d’autres priorités ou urgences ?
Jacques Viallebesset : J’ai toujours eu le désir de vivre au lieu d’exister .Ce désir, cette volonté de vivre s’est accrue face à la perspective de la mort. Pour encore citer Giono , il a écrit : « La vie est un combat , quand le combat cessera, je mourrai » . Sortir, provisoirement, vainqueur de ce combat, invite, oblige, évidemment , à remettre en cause la hiérarchie de nos valeurs . Chaque instant vécu, aussi banal soit-il, l’est avec une attention et une intensité accrues. Prendre pleinement conscience de la fragilité de la vie, de sa beauté n’est pas une démarche intellectuelle ; elle est concrète, sensorielle, physique . Rien ne me réjouit plus, chaque matin, que de me sentir vivant, vivant.
G.R. : Une certaine poésie contemporaine vous fait quelque peu enrager. Qu’est-ce qui vous dérange dans cette nouvelle tendance (Insta, performeurs…)
Jacques Viallebesset : Rien ne me fait enrager. Je suis plutôt attristé. Dans un poème, Guillevic comparait son travail d’écriture à celui du menuisier qui choisit des planches, les rabote, les ajuste, les ponce pour faire un meuble. Je fais mienne cette définition de l’écriture poétique mais je constate que dans le siècle obscur de déconstruction qui est le nôtre, certains présentent comme poèmes des meubles ikéa à monter soi-même, forcément brinquebalants ; d’autres, imitant l’art conceptuel contemporain font de la poésie « conceptuelo-bidulaire » où le concept sous-jacent est affligeant de banalité et l’émotion absente. D’autres, pour que leur production ait l’air d’être de la poésie font de la prose qu’il coupe au hasard, croyant faire ainsi des vers. Quant à la « performance », le mot appartient au vocabulaire du management et de la compétition ; c’est antinomique avec la notion même de poésie, selon moi, quelle qu’elle soit.
G.R. : Vos éditeurs au Nouvel Athanor vous ont intégré dans la collection Des poètes trop effacés. Cultivez-vous cet effacement ou devrais-je dire cette discrétion ?
Jacques Viallebesset : Dans la société du spectacle où nous sommes, il me semble vital, en tout cas pour quelqu’un qui écrit ce qu’il pense être de la poésie, de ne pas participer à ce happening permanent, à cet exhibitionnisme égotique , afin de rester authentique . « Etre dans le vent est une ambition de feuille morte » a écrit un philosophe . Je suis à la fois plus humble et orgueilleux, d’autant que je suis vivant . « Toute poésie doit tendre à devenir anonyme » a écrit mon cher Cadou . Je le pense aussi . Ce n’est pas l’auteur qui importe, ce sont les textes . J’écris depuis l’âge de quinze ans et ne suis publié que depuis quinze ans. Je ne nie pas que l’on écrit pour être publié mais ce qui m’importe c’est que « mes pauvres mots maladroits »( Aragon) touchent au cœur quelques humains . Lorsque quelqu’un me contacte en me disant que tel ou tel de mes textes l’a ému ou même bouleversé , cela justifie mon travail .
G.R. : Vous déplorez cette société de l’ultra consommation et invitez à revenir aux nourritures spirituelles, à un ré-enchantement du monde, à vivre poétiquement. La poésie a-t-elle encore ce pouvoir, du moins cette fonction pour vous ?
Jacques Viallebesset : Contrairement à Holderlïn, je ne pense pas que l’homme habite, naturellement, le monde en poète . Par contre, je suis persuadé que quelqu’un qui veut réussir sa vie et lui donner du sens plutôt que réussir dans la vie doit , impérativement , s’efforcer à vivre poétiquement . Cela suppose un pas de côté pour avoir un autre point de vue sur le réel, une conversion du regard pour tenter de l’appréhender dans sa globalité, dans sa profondeur et sa densité ; cela suppose surtout de ne pas se laisser aliéner par le flot permanent d’informations qui emploie un vocabulaire managérial, matérialiste et techniciste . L’humain n’est pas qu’un « homo économicus » . « Il y a un autre monde , mais il est dans celui-ci . » a écrit Eluard . Habiter poétiquement le monde, c’est accéder aux autres faces du réel dont on ne nous présente qu’une seule dimension, une vision partielle et partiale , c’est vivre pleinement , donc ré-enchanter la vie .
G.R. : Pensez- -vous que ce ré-enchantement passe inévitablement par une connaissance approfondie de soi et du monde, une confrontation directe au réel ?
Jacques Viallebesset : Vouloir ré-enchanter la vie est un acte de résistance et non pas de détachement, l’inverse d’une fuite . Résistance à tout ce qui enlaidit , blesse, fait souffrir , amoindrit , abaisse , aliène . Cela , évidemment, suppose de définir ce que l’on veut vivre , ce que l’on veut être, ce que l’on désire vraiment , quelles traces l’on veut , éventuellement , laisser ; il y a donc un travail d’introspection à faire . C’est là un travail d’alchimiste dont on est, à la fois, le matériau et l’artisan , une œuvre de transmutation de soi pour appréhender la vie dans sa plénitude et s’en émerveiller, sans oublier qu’avant d’être de la littérature , la poésie est une éthique
G.R. : Un conseil à donner aux jeunes gens aspirant à écrire de la poésie et à faire connaître leurs voix ?
Jacques Viallebesset : Qui suis-je pour donner un conseil ? « Pour savoir écrire, il faut avoir lu, et pour savoir lire, il faut savoir vivre » a écrit Guy Debord . Je peux préciser : s’imprégner des poètes classiques, car la poésie est un art et s’inscrit donc dans une histoire , les imiter ( Picasso savait peindre comme Goya ) , être très exigeant avec soi , puis oser publier , en étant conscient que « les mots sont des oiseaux tués » ( Aragon) et qu’il n’est pas si facile que cela de leur redonner des ailes.
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