Poésie

Karima Aichoune

Karima Aichoune – La poétesse qui hisse haut l’étendard de l’amour

POÈTES SUR TOUS LES FRONTS

Par Lazhari Labter

Écrivain

Karima Aichoune a fait de la poésie sa passion, de l’amour sa raison d’être et de vivre et de l’amour de la patrie son crédo.

Karima Aichoune chante

Passionnée de littérature, d’art et de musique, cette licenciée en sciences politiques et relations internationales de l’université d’Alger, licence obtenue en 1997, écrit depuis son jeune âge, d’autant plus qu’elle a eu la chance de naître et de grandir dans une famille de lettrés où le livre trône en maître dans la bibliothèque familiale. De pensées en poèmes écrits et partagés seulement avec des amies et des membres de la famille, Karima, nourrie dès le lycée et plus tard à l’université par la poésie arabe classique et contemporaine, s’enhardit et publie un poème dans le quotidien algérien Al-Chaâb, des articles hebdomadaires dans une revue koweitienne et quelques articles dans la revue égyptienne Koul Ennas. En 2019, l’année où elle obtient un master en relations internationales, elle publie son premier recueil de poèmes sous le titre Orientale je suis à la maison d’édition Ali Ben Zayd de Biskra, une ville du Nord-est de l’Algérie, célèbre pour la beauté de son oasis, les grands peintres et les grands écrivains orientalistes qui l’ont visité et immortalisé dans leurs toiles et leurs écrits comme Etienne Dinet, Eugène Fromentin ou encore le romancier André Gide, les grands poètes algériens comme Ahmed Redha Houhou et Mohamed Laïd Al-Khalifa qui y ont vécu et surtout par le grand poète populaire du XIXe siècle Mohamed Benguitoun qui y a composé le célèbre poème élégiaque Hiziya consacré à la plus belle et tragique histoire d’amour algérienne. Karima ne pouvait rêver mieux pour investir le champ de la poésie amoureuse :

Ses mots résonnent dans un cœur qui répare ses brisures

Dans un monde qui interdit ce à quoi les humains aspirent

C’est dans la solitude qu’elle trouve son plaisir

Une imagination qu’excite les doigts d’une main

Dans un corps qui exulte sous l’orgasme

 

Orientale elle est

Enveloppée dans un linceul par le cheikh de la tribu

dans une vie avalée par le rendez-vous avec une mort certaine

Dès ce premier recueil qu’elle inscrit comme par modestie dans le genre « textes » et non poésie, Karima s’affirme comme une poétesse et une femme libre et indépendante.  Tout en précisant en exergue que c’est là « mon livre qui contient quelques-uns de mes secrets » et, ajoute-t-elle, celui d’une « poétesse qui donne vie à une pulsation qui résonne avec l’alphabet des sentiments perdus dans le tumulte de l’existence. »

Je ne suis pas une houri née des légendes

Une histoire contée par une chanteuse dans les palais des rois

Algérienne je suis

Née des profondeurs d’une terre

Dont les fils ont des dos que ne brisent nul sort

[…]

Algérienne je suis

Dans mes entrailles je garde un secret conservé par les livres du Ciel

Je suis dans l’alphabet de ma patrie le chant des aïeux

Je psalmodie son nom dans ma poitrine en sourate et versets

En quelques vers, tout est dit. Karima annonce la couleur dans les onze poèmes, courts et percutants comme des Haïkus.

Dans son deuxième recueil Eclairs d’une amoureuse, publié en 2023 chez Dar Al Misk au Caire, elle s’affirme, dans des poèmes plus longs, comme poétesse de l’amour et le revendique haut et fort, ce qui est rare dans une société traditionaliste où ce sont les poètes qui chantent la beauté des femmes et célèbrent leur muse.

Karima casse les tabous et brise les totems. Elle ne se contente pas d’écrire mais elle déclame sa poésie et la décline en musique à chaque fois que l’occasion se présente, notamment avec la troupe de l’association El Fakhardjia de musique andalouse dont elle est membre comme lors de cette soirée du mercredi 27 mars 2024 où Karima, accompagné en sourdine par un luth et un violoncelle, a gratifié le public présent à la salle Ibn Khaldoun à Alger de la lecture de son poème consacré à Gaza intitulé Patience ô gens de Gaza extrai de l’ouvrage collectif Leve Palestinia

J’ai honte de nous

Nous ne venons pas

Nous sommes des spectateurs

J’ai honte de dire quoi que ce soit.

Je dis : Nous vivons et vous mourez.

Nous sourions et vous pleurez

Patience ô gens de Gaza

[…]

Patience ô gens de Gaza

Vous êtes la fierté la force

Et la résistance durable…

Rencontre 

Lazhari Labter : J’aime bien commencer mes entretiens avec les poètes pour cette rubrique de « Souffle Inédit » avec la convocation d’un souvenir. Qu’évoque pour toi cette photo ?

Karima Aichoun avec Lazhari Labter

Karima Aichoune : Cette photo me rappelle la rencontre avec l’écrivain Lazhari Labter à la librairie du Tiers Monde à Alger lors de la signature de son roman Hiziya princesse d’amour des Ziban. Cette histoire est l’un des symboles les plus forts tiré de notre patrimoine culturel et historique de la femme algérienne courageuse et déterminée et je suis fier d’appartenir à ce pays que nous avons en partage.

L’amour des livres m’emmène dans de nombreuses librairies de mon pays. Je les aime depuis que je suis enfant, et je me retrouve à voyager dans les librairies et à vivre les rêves que j’ai vécus à travers les histoires que j’ai lues à toutes les étapes de ma vie, du collège à l’université en passant par le lycée et à ce jour. Et aussi des livres de notre bibliothèque à la maison, de La Belle au bois dormant à Cendrillon en passant par Aladin et la lampe magique et l’histoire de Cendrillon et de sa chaussure en vair que j’ai vécue, et que chaque fille de cet âge rêve de vivre dans l’attente prince charmant. C’est de là que ma passion pour la lecture, les histoires et les rêves a commencé, puis est venue l’étude de la poésie préislamique, de la poésie et de la beauté des poèmes au lycée a eu le plus grand impact sur l’écriture de pensées et d’autres histoires d’amour comme Medjnoun Leila, Antara et Abla, etc. Le fait de remporter un prix lors d’un concours interclasses avec un poème intitulé L’Iliade algérienne a eu aussi un grand impact concernant mon attachement aux mots, aux livres et sur ma passion sans limite pour la langue arabe.

Puis vint l’étape universitaire, l’étape d’approfondissement des lectures et de l’écriture de textes. Il s’agissait d’écrits que je gardais pour moi et que je partageais parfois avec mes amis et ma famille, et certains textes que j’écrivais par amour et gratitude lors d’occasions spéciales pour des amis. Chaque année, j’allais au salon du livre et j’étais attirée plus particulièrement par les recueils de poésie et les romans d’amour. Le plus important d’entre eux est Nizar Qabbani, le poète des femmes, dont je suis extrêmement fière qui et me rend plus reconnaissante envers les hommes, Mahmoud Darwish et d’autres poètes, comme Ibn Hazm al-Andalusi l’auteur du célèbre dans Tawq al-Hamam, qui avait su dans son génie lier poésie et politique. Tout cela a eu un impact sur mon existence notamment pendant mes études universitaires en sciences politiques et relations internationales. C’est comme si j’avais trouvé ma voie, un chemin pavé, pour faire ressortir ce qui frémissait en moi. J’avais de l’encre et du papier devant moi, et inspiré par le cœur et l’âme, j’ai produit mes mots et mes poèmes, des mots étonnants et qui avaient une longue durée de vie, et d’autres sur l’amour et la déception.

Dans le silence et le calme, des mots d’amour et de passion sont dessinés avec un stylo comme s’il s’agissait d’une plume dessinant des images sur mes papiers épars.

Nuit après nuit, mon imagination tisse et traduit les sentiments du fond de mon être dans la plus belle langue, la langue de « Dhad ».

Des mots qui proviennent d’un air et d’une mélodie joués par des sentiments en mon for intérieur, d’une émotion de joie parfois et de tristesse à d’autres moments, d’une douleur, d’une patrie ou d’une cause.

Des poèmes d’amour nombreux qui voyagent à travers l’éther des amoureux et un amour caché qui s’élève au-dessus de la voix de la honte et du jugement social.

Des poèmes avec lesquels je veux faire du bruit dans les lieux parmi les gens, un soulèvement des sentiments, je veux changer des convictions dépassées qui n’ont rien à voir avec la religion ou la morale….

Lazhari Labter :  Tu as publié un premier recueil de poèmes en 2019 sous le titre Orientale je suis suivi en 2023 d’un deuxième recueil intitulé Eclairs d’une amoureuse. Pourquoi si peu de recueils alors que tu écris depuis l’adolescence ?

Couverture recueil de Karima Aichoune Couverture recueil Karima Aichoune

Karima Aichoune : C’est vrai, je publie peu. C’est tout d’abord, par respect et considération pour le lecteur algérien en particulier et arabe en général, par respect pour leur goût, pour leurs attentes, ce à quoi ils aspirent et qui leur convient. L’autre raison importante est liée à mon souci de l’originalité, au refus de « reproduire » ce qu’on déjà écrit ceux qui nous ont précédé dans ce domaine et ils sont nombreux.

Deuxièmement, le travail professionnel occupe dans nos vies une grande partie de notre espace et de notre temps, et cela n’aide pas à la créativité et à l’innovation ; l’écriture de la poésie a besoin de l’instant, d’une ambiance poétique et d’une atmosphère particulière. Cela n’empêche pas la créativité et la participation à des soirées poétiques, et cela n’empêche pas de lire les écrits d’autres poètes pour rester dans la même ambiance poétique, même si l’état de poésie est absent.

Lazhari Labter : Dans ton premier recueil Orientale je suis tu affirmes avec force et tu assumes avec fierté ton arabité et ton algérianité. Une orientale révoltée et libre qui s’assume en tant que femme aimante et indépendante, tout le contraire des princesses lascives des palais orientaux des contes des Mille est nuits.

Karima Aichoune : Tout ce que j’écris vient du cœur et j’écris sur l’amour et sur l’âme. L’amour a bien d’autres dimensions que l’amour pour l’être aimé et pour la beauté : l’amour de la patrie et tout ce qu’elle recèle comme richesses humaines, patrimoniales, culturelles et historiques, ses langues, ses us et coutumes et les traditions. Quant à moi, j’appartiens à un pays grand comme un continent, je suis fière de tout ce qu’il contient. J’ai écrit un recueil de poème intitulé Orientale je suis où je me revendique avec fierté comme Algérienne et aussi comme et orientale J’espère que j’aurais un jour la chance d’écrire sur l’histoire de mon pays.

Lazhari Labter : L’amour irrigue ta poésie de bout en bout dans les deux recueils mais plus encore dans Eclairs d’une amoureuse. L’amour est-il pour toi un sentiment plus fort et plus important que les autres sentiments ?

Karima Aichoune : L’amour pour moi est synonyme de paix ; c’est une bénédiction et un don de Dieu. Le Créateur a tout créé avec amour et beauté, et Dieu est amour et veut que nous vivions dans l’amour. L’amour rend fort et permet l’épanouissement de la vie et tout ce qui nous entoure.

Si l’amour disparaît, l’âme disparaît ; l’âme est perturbée et la personne devient vide et fragile. Avec lui, nous nous élevons et nous nous améliorons sans cesse.

Notre religion est amour, et le Dieu de l’humanité est un Dieu d’amour et de paix ; nos relations doivent être fondées sur cette base, mais malheureusement, nous vivons à une époque de matérialisme qui a éclipsé nos relations humaines.

L’amour est l’éveil de l’âme, et grâce à lui nous réalisons le fondement de notre existence dans le monde et de notre existence sur terre.

Enfin, je dis que l’amour nous ramène à l’enfance, à l’insouciance pour que nous puissions jouir du confort et de la joie.

Je veux faire grand bruit autour de l’amour et brandir le slogan de l’amour à tout moment et en tout lieu.

Lazhari Labter :  En plus de ta passion pour la poésie, tu t’intéresses à la photo, à la musique, à l’écrit journalistique et à bien d’autres domaines. Tu participes aussi à des rencontres poétiques en Algérie et à l’étranger et il t’arrive de lire des poèmes dans des soirées de musique classique andalouse. D’où te viens cette ouverture sur les autres et sur la littérature et les arts ?

Karima Aichoune : Tout est essentiellement dû au milieu de naissance et à l’éducation. Je suis née dans un environnement d’amour et de respect, de liberté de choix et de liberté d’expression. C’est grâce à mon père, que Dieu ait pitié de lui, conscient et ouvert d’esprit, qui m’a permis d’avoir un grand espace de discussion et de conversation à la maison et lors de ses rencontres avec mes amis et mes proches à l’occasion de regroupements familiaux ; c’est ce qui m’a donné confiance en moi, liberté de parole et capacité de m’exprimer sans honte et de faire ce que je veux dans les études ou dans le mariage et d’autres choses. Il m’a toujours encouragé et a partagé ses idées avec moi. Il m’a éduqué et sensibilisé à tous les arts, les genres musicaux et le théâtre. Tout cela a contribué à perfectionner mon talent et à écrire librement.

Il attendait la sortie de mon premier recueil, mais malheureusement j’ai tardé à le publier et il est décédé sans le voir.

Lazhari Labter : Tu as participé au recueil de poésie sur la Palestine Leve Palestina coordonné par Malika Challal qui en est l’éditrice en 2024 avec un poème intitulé Patience ô gens de Gaza. Toi qui n’es pas une poétesse engagée au sens classique du terme et qui n’écris que sur l’amour, que t’as apporté cette expérience ?

Anthologie Leve Palestina

Karima Aichoune : J’ai participé à l’ouvrage collectif Leve Palestina, avec le poème « Patience ô gens de Gaza », une expression de la tristesse, de la douleur et des gémissements d’un peuple et d’une nation, une douleur que nous ressentons tous partout dans le monde, en particulier le monde arabe et plus particulièrement le peuple algérien, qui y voit sa cause et sa foi, et face à la douleur, nous ne pouvons rien faire. Ce sont des mots avec lesquels je m’élève contre l’amère réalité que l’on voit sur les écrans et j’ai insisté sur le fait que je ne pouvais pas supporter de regarder les scènes. Je me suis levé et j’ai résisté à ma manière à la douleur et à la peine que je ne pouvais plus supporter. Je n’ai trouvé que le mot et avec les lettres de feu qui me consument de l’intérieur, je résisterai avec le mot avec chaque homme libre dans ce monde. Jusqu’à un jour prochain, si Dieu le veut, où j’écrirai : « La Palestine a gagné ».

Lazhari Labter : « Sans amour, toute musique serait brouhaha, toute danse folie, toutes les prières un poids pesant. » Partages-tu ce point de vue de Djalal al-dîn Rûmi

Karima Aichoune : L’amour est une folie, l’amour en soi est un art et un raffinement. Être dans l’état d’amour, c’est le comble de la folie et du délire avec celui que l’on aime. Nous retrouvons notre jeunesse, ses moments nous emmènent vers un autre monde dans lequel nous nous aventurons et nous renaissons avec celui que nous aimons à une nouvelle vie ; ses stations sont inconnues et sa destination n’est pas étudiée.

Nous ne savons pas comment ni pourquoi ? Nous aimons tout ce qui touche à l’amour, la ville, la rue, l’odeur, le lieu, une tasse de café avec l’amoureux.

Il n’y a pas de calme, pas de folie, dans la folie qui n’a pas de raison, l’amour, c’est la folie même. L’amour n’est que folie, entre ses beaux moments et ses moments tristes. Malgré sa douleur et notre faiblesse, nous l’aimons et continuons à le désirer, jusqu’à ce que nous réalisions que nous sommes toujours en vie. L’amour, c’est la vie.

Quelle meilleure parole pour conclure que celle du mystique persan, le soufi Shams-ed-Dīn Tabrīzī, maître de Djalal Eddine Rûmi : « Je n’ai jamais vu un avare donner de l’amour, car l’amour naît toujours des mains de personnes généreuses. »

Je mens à moi-même quand j’oublie ton existence

Je mens à moi-même quand je dis que je ne veux pas de toi

Ou je te demande de rester à l’écart

Je mentirais aussi si je disais que je te déteste, parce que ton amour est extraordinaire et indicible.

Et je mens quand je dis que je te quitterai, chaque jour, ton amour dans mon cœur augmente.

Ne sors pas de ma vie

Même si chuchote reste à l’écart, je te veux être près de moi

Ma langue dit ce que mon cœur ne veut pas

Mon âme te languis et mon cœur cardiaque bat plus fort à la simple évocation de ton nom

Et je ne pense pas qu’un jour tu ne seras pas présent dans ma vie

Je résiste à chaque instant à ma faiblesse envers toi et à ton retour vers moi

 

Je veux partager ton souffle dans les longues nuits

Et mon corps se colle à ton corps comme le nourrisson à sa mère

Je continue juste de mentir devant toi

Mais tout le monde connaît mon délire de toi, même dans mes rêves

Aujourd’hui, je l’avoue, ne pars pas loin de moi

Reste ici

Ici c’est chez toi

Ta place dans mon cœur ne peut être occupée que par ta présence

C’est un honneur pour mes mots quand je parle de toi

Et je le dis en silence

Je rejette toutes les possibilités sauf la possibilité

De ton existence

Premier aveu

« Je t’aime »

Je t’aime de plus en plus

C’est ma signature

La confesseuse l’amante éternelle

© Poème extrait de Eclairs d’une amoureuse, traduit de l’arabe vers le français par Lazhari Labter, mai 2024.

Lazhari Labter 

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