Peinture et poésie – Hyacinthe

Poésie
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Peinture et Poésie

Nouri Al-Jarrah et Asaad Ferzat

Sortir de l’est de la Méditerranée 

Les jeudis d’Hyacinthe

Peinture et poésie - Hyacinthe Peinture et poésie - Hyacinthe

À Paris, au 15 avenue Séguier, dans le 7ème arrondissement, la galerie Europia expose la peinture et célèbre la poésie : deux artistes syriens, nés la même année, en 1956, Asaad Ferzat et Nouri al-Jarrah, conjuguent leurs œuvres pour immortaliser la tragédie du peuple syrien.

Ainsi, le poème Sortir de l’est de la Méditerranée, écrit par Nouri Al-Jarrah à Londres en septembre 2017, est pour ainsi dire illustré par Asaad Ferzat à Paris, comme pour sceller cette « sortie » de Damas et du Levant vers l’Europe et l’Occident, fuyant la dictature et la barbarie.

C’est, justement, ce que nous dit le poème, dès son attaque, qui résonne comme une tragédie contemporaine :

Est-ce parce qu’une fois j’ai conduit le vaisseau

Le jour où les ténèbres ont débordé et qu’il n’y avait plus de terre ferme

Est-ce parce que j’ai su m’orienter par l’horizon

Pour t’éviter la perdition

Est-ce parce que j’ai peuplé les cités élevé les remparts écrit les épîtres dépêché les messagers

Que tu me récompenses

En me fermant la terre ?

Si bien qu’à la surface de cette planète folle je n’ai plus ni

Orient ni occident

Et je ne vois

Des ruines de mes jours

Sous le ciel de mes jours

Que la fumée des incendies

Et les cendres des fins.

C’est Asaad Ferzat qui, à la lecture du poème, a eu l’idée de l’accompagner par ses œuvres picturales lesquelles, hautes en couleur, à commencer par ce gris, illustrent à merveille la tragédie puis la diaspora syrienne.

Traduire n’est pas trahir, c’est accompagner

La galerie Europia, qui a déjà publié en 2013 un livre de Nouri Al-Jarrah, Sept jours, traduit par Rania Samara, avec des illustrations de Youssef Abdelke et Assem al-Bacha, publie aujourd’hui Sortir de l’est de la Méditerranée dans une traduction assurée par Aymen Hacen, poète tunisien qui désormais accompagne l’œuvre du poète syrien depuis la parution, en 2016, d’Une barque pour Lesbos, ensuite de Le désespoir de Noé, en 2017, et de Pas de guerre à Troie. Les dernières paroles d’Homère, en 2020. Cette continuité est d’autant plus significative que pour une fois la traduction, elle-même acte de création, cherche à effacer les méfaits de la politique, du terrorisme et des conflits armés, vu l’embrigadement assassin de milliers de jeunes tunisiens envoyés en Syrie et en Iraq.

Asad Ferzat homme seul Asad Ferzat homme seul

Cet homme, seul, n’est-il pas ainsi représenté dans le poème-fleuve de Nouri Al-Jarrah, chez qui nous retrouvons le Levant, précisément la Syrie, Damas et jusqu’à Qasioun ?

Sors

Traverse la mer

Sors pour avoir dans chaque bleu une terre ferme

Un bateau dans chaque île

Et sors c’est que la terre toute la terre est fenêtre sur fleuve

Soleil en un jour nuageux

Le lit d’un homme qui dort dans une chambre

Et la terre

Une chanson répétée par un solitaire la nuit durant

 

L’œuvre singulière de Nouri Al-Jarrah 

Voilà, c’est la voix de Nouri Al-Jarrah qui, par la force des choses, et plus que toute autre, est devenue celle de tout le peuple syrien. Ici, nulle confession ou obédience qui tienne. Ici, c’est la Syrien entière, une et indivisible qui est chantée. D’ailleurs, le troisième volume des Œuvres poétiques de Nouri Al-Jarrah vient de voir le jour à Beyrouth avec une décade de poésie engagée, célébrant la lutte du peuple syrien pour la liberté, sa révolution et sa diaspora, du recueil Jour d’Abel (2011) à Pas de guerre à Troie. Les dernières paroles d’Homère(2019), en passant par Le désespoir de Noé(2014) et Fleuve sur croix (2018). Plus de 570 pages de poésie réécrivant l’histoire, revisitant les mythes d’Orient et d’Occident, explorant les genres les plus nobles de l’épopée à l’élégie, en passant par la parodie. Relisons à ce titre ce poème paru en français dans Une barque pour Lesbos, où le poète syrien exilé à Londres rappelle à notre bon souvenir la voix du satiriste grec d’origine syrienne, Lucien de Samosate :

La quarante-et-unième causerie

Où es-tu Lucien de Samoste de Samosate

Sise au nord de l’Euphrate,

Où es-tu ?

Apporte tes feuillets et ton calame,

Et viens

À ces Grecs férus de toi épeler

Mon nom syrien.

 

Les témoins n’ont pas reconnu mon visage

Et l’officier de port macédonien

A examiné sur mes vêtements les coquillages, les algues et les débris de lichen.

Le juge qui avec dédain a examiné les choses

Est parti me confiant

À des gardiens aux yeux de marbre.

 

Lucien, satiriste désespéré, n’es-tu pas un citoyen grec

Qui a à Athènes une parole imparable ?

Viens,

Donc,

Plaide en ma faveur…

Et si ces Grecs fiers de leurs portables

Sur le port

Refusent mes anciennes drachmes,

Que tu envoies alors avec moi, dans l’au-delà, un guide à bord d’une barque,

Et que tu transcrives pour moi cette causerie.

 

In Une Barque pour Lesbos et autres poèmes, traduit de l’arabe (Syrie) par Aymen Hacen, Bordeaux, éditions Moires, 2016, p. 127-128.

Le poète

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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