Pietro Edoardo Mallegni – Poésie
Mercredi en Poésie avec Pietro Edoardo Mallegni
Le ciel, ce soir, prend une couleur d’orange et d’apocalypse,
un décembre éternel, cette année,
un amoncellement de pyjamas, de pierres et de feuilles de chou
traîne sur la terrasse.
Toi, sur le carrelage de cette cuisine, nue,
une condensation des saveurs qui glissent sur le mur,
des courbes ébouriffées pleines de neige et de cheveux tombés.
Une certitude palpable: une sombre muse,
dévêtue dans le salon.
C’est la morsure rance d’un lièvre,
aigre et intense comme les couleurs d’Espagne,
qu’avec mes lèvres je joue sur ta peau.
Aimer : c’est comme s’enfoncer des clous dans la rate,
danser sur des verres brisés, c’est un rituel
qui n’appartient qu’aux autres.
***
Un jeu de flûte erroné ou une crampe aux doigts,
une désespérante sensation d’hiver, c’est ainsi que j’ai grandi
embarqué à bord d’avions et de navires qui arrivaient toujours en retard.
Les bras affectueux de la mer et la douce chaleur des étreintes,
des pleurs et du sang, voilà ce qu’étaient mes ports, ou bien les noms
des ruelles de Venise ou le calme plat des ormes réfléchis
dans la lagune. J’ai laissé des roses accrochées aux feux tricolores
comme des balises de sentiers traversant mon humanité,
mais chaque souvenir est un bel habit dont se pare
ma cruauté, dont l’ivresse du vent du Nord jette
les draperies sur les falaises surplombant mes océans,
à leur pied mon innocence gît en morceaux
dans de vulgaires sacs noirs à l’intérieur des bennes.
***
Ma jeunesse a tout avoué à la neige,
payant ainsi une dette d’immobilité envers le ciel
et envers vos regards qui ressemblent à de stériles
collines couleur de terre brûlée sur lesquelles ne poussent
entre les pierres que pois chiches et serpents.
Tout est trahison, les cieux brûlent,
des feux dévastateurs et des spectres apparaissent
sur mes flancs et sur mon dos,
des douleurs nouvelles se multiplient,
un lexique ineffable
chaque aide à laquelle je prétends.
Si cette paresseuse courtisane appelée imagination
avait au moins un jour accompli
son devoir, j’attribuerais aujourd’hui une valeur au pain
et au temps, capable de m’anéantir,
j’accorderais du repos à mes mains et reviendrais vers moi,
comme on revient chez soi au coucher du soleil.
S’en aller et chercher l’or des gonds
ou bien trouver le laiton dans l’endroit présent,
je ne crois pas que cela soit pertinent ;
la plume déliée de mon devenir
a toujours mis un point indésirable
au début de chacune des phrases
de mes futures mémoires.
Trois extraits de Profumo di liquirizia, (Parfum de réglisse), préface de Stefania Di Leo, postface d’Irène Dubœuf, RP edizioni, 2023.
Choix de poèmes et traduction de l’italien : Irène Dubœuf
Pietro Edoardo Mallegni
Le poète italien Pietro Edoardo Mallegni est né à Carrare en 1995. Il écrit ses premiers textes à 12 ans et, à 18 ans, publie sa première œuvre : Il dedalo in me, auprès de la maison d’édition Marco del Bucchia (2013). En 2015 paraît chez le même éditeur Il Dio Dada, puis les recueils Neurocidio, chez Limina Mentis et Il nulla, chez Europa edizioni. Son dernier recueil, Profumo di liquirizia, vient de paraître aux éditions RP.
L’auteur a toujours eu une passion pour la musique et la cuisine. Il a beaucoup voyagé. En 2017, devenu père, il retourne vivre en Toscane et s’installe à Massa. Reconnu par la critique, il est publié dans diverses revues littéraires en ligne. Plusieurs de ses textes sont traduits en anglais, français, espagnol, arabe et chinois.