Poésie

Radhia Toumi – Mercredi en Poésie

Mercredi en Poésie avec Radhia Toumi

Mercredi en Poésie avec Radhia Toumi

Réminiscence

Alors, dis

Si cette réminiscence

Chatouille au fin fond de toi

Les braises d’antan ?

Sais-tu que l’enfance

Glorifie même les images des monstres

Tapis dans l’ombre des terreurs juvéniles

Sillonner les routes qui ne mènent pas à Rome

N’est que le synonyme du mouvement

Des pas qui convergent

Vers les portes verrouillées

De l’autre ville cruelle et stérile

Alors, dis

Si les envies bien aiguisées

N’écorchent pas ta sensibilité légendaire

Toi, rêveur indomptable

Comme une épave errante, tu échoues sur la plage

Des oubliés

Tâte ton âme qui a bu la tasse

De ses misères et des misères du pays

Hématomes criards sur sa chair délicate

Saint-Jacques sans coquille

Sans repères

Tâtonne ici et là-bas

Loin des gémissements lugubres

Et pourtant

Il y a cet astre appelé Soleil

Qui se pointe au petit matin

Comme un employé modèle

Il est snob tu dis

Il nous ignore répliquent les badauds

Pas de regret

Pas de chemin pour Rome

Ni pour Juliette un baiser ardent

Alors, dis, si tu aimes toujours l’aventure

Dans cet huis clos…

L’attente

Dans l’attente, il y a cette chose

Là-bas

Autour de toi

Ou dans ta tête

L’attente de quelque chose

Des pas qui raisonnent dans le corridor de ton frémissement

Du froufrou d’une robe de soie

D’une main hésitante sur la porte de ta chambre

D’une haleine furtive dans la pénombre

Le lien est imperceptible mais si palpable

Comme un chat qui caresse ta joue quand tu dors

L’attente, promesse de pluie

Au fin fond d’une nuit profonde

Un train attendu sur le quai

Un amour d’enfance traversant le ciel couvert

Du cœur anesthésié

L’attente se fait longue

Comme une amante qui se fait désirer

L’attente de quoi ?

De cette chose magnifiquement insoutenable

Le soir

Le soir est un moment pas comme les autres. Il vient lentement, comme un invité timide, ou comme l’on raconte un conte. Le soir est un lieu où les créatures magiques des rêves prennent vie, marchent, parlent, dansent ou terrorisent. Le soir est fils de la nuit, ou sa jeunesse éphémère. Il nous tend ses mains bariolées par les dernières lumières évanescentes du jour qui rend son dernier soupir. Les hommes s’accrochant à ces mains croient y trouver les trésors cachés de l’inconscient. Oui, la nuit ouvre des ruisseaux qui coulent des subconscients vers la Grande Âme de l’univers où tournoient des vies, des combats, des ailes, des rires et des étreintes…

Des fuites nocturnes s’entendent courir sur la peau de l’espace indigo où les étoiles jouent le rôle de témoins du firmament. Tout ce qui se passe sur la toile noire qui tangue comme une gondole, les étoiles le regardent silencieusement.

Expliquer la fuite mathématiquement

Ouvrir la porte doucement

Mettre les pieds dehors

Le cœur battant la chamade

Derrière, le poids des souvenirs béants comme des blessures

Fuir…c’est laisser, volontairement, une distance

Entre deux mondes

Entre deux endroits

Deux points

Le point A que l’on fuit

Le point B où l’on va

Entre A et B, un chemin qui pourrait s’appeler « chemin de fuite », « chemin d’errance », « chemin d’appréhension », « chemin d’effacement »…

AB, un segment ou une courbe tatouée sur la chair, brûlure dans les neurones, traces des pas incrustés dans les cellules

La fuite est un saut vers la vie

Vers ces bouffées d’oxygène interdites en A

Le B est un point de répit, refuge de l’âme exilée

La fuite est une opération de sauvetage

La fuite qui n’est pas faiblesse mais

Une deuxième chance

Une réécriture du destin muet

Fuir pour renaître

Fuir pour reconquérir la liberté

En A, les questions se faisaient pluie, les murs se superposaient,

les souffles s’essoufflaient

En A, le soleil mettait le nikab

Les ombres se collaient aux êtres aux portes, obstruaient les trous les fentes des persiennes

B un rêve derrière l’horizon, le rêve de briser ses menottes

De dire, de parler, de courir

Fuir un endroit encombré de peurs, d’attentes

La création des mondes nouveaux commence par un premier pas

Hors de la zone « souffrance » hors de la zone A

Qui dénigre, torture

Cet être qui porte son âme saute dans l’inconnu hors de sa chrysalide d’acier

Radhia Toumi

Radhia Toumi

Radhia Toumi est une poète et nouvelliste algérienne d’expression arabe et française.  Elle a publié plusieurs poèmes en français dans des revues littéraires en France, en Suisse et au Québec. Ses poèmes et ses nouvelles en arabe sont aussi publiés dans des revues littéraires électroniques. Son premier recueil de poésie en arabe est édité en 2021. Elle est enseignante à l’Université Batna 2.

La poétesse

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