Rami Abu Shihab – Mercredi en Poésie

Poésie
Lecture de 7 min

Mercredi en Poésie avec Rami Abu Shihab

 

Je suis Palestinien en quête de mon argile*

 

Tu es né au soleil qui a déchiqueté ton visage

Il t’a peint avec des couleurs de la diaspora

Cependant, tu as la couleur de l’argile

Et le bruit de l’argile séchée

Dépourvue des plaisirs

Tu as les traversées des bateaux

Parmi nous, il y a celui qui s’est trouvé sous une pluie fine,

Alors, il est devenu beau et pur

Il y a celui qui s’est trouvé à un moment de chaleur extrême

Il est devenu un volcan agité

Il y a celui qui s’est trouvé à l’ombre

Il est devenu obéissant à la terre qui l’a engendré,

Il y a celui qui s’est trouvé dans une mare de sang,

Alors, il est devenu un membre de la tribu des coquelicots,

Il y a celui qui s’est trouvé dans l’errance de l’argile

Il est devenu pierre, douleur sans écho

Et il y a celui qui s’est trouvé dans le cou parfumé d’une fille de joie,

La proximité le rendait passionnément amoureux…

Et il y a celui qui s’est trouvé sur une terre étrangère

Ainsi, il courtisait des lieux qui lui témoignaient leur hostilité

À qui il témoignait son hostilité

Pourtant,

Tu t’es trouvé comme une question absurde

Tu t’es trouvé par hasard comme n’importe quel être argileux

Ou par intention préalable, cependant tu t’es trouvé

Sur cette terre vaste

Qui comprend beaucoup de couleurs, de chairs…et de charbon

Mais tu es un quelconque être…mythique

Désirant trébucher

Dans un endroit terreux

Où il se cache

Y retourne

Seul comme un paria

Ce n’est pas important…

Où t’es-tu trouvé ?

Parce que nous nous sommes tous trouvés à l’improviste sur cette terre

Un jour…nous partirons à l’endroit de l’attente

Nous nous sommes trouvés

Dans des coïncidences passagères,

Et pas très attrayantes

Comme les rencontres des amoureux après une rupture,

Nous nous sommes trouvés…

Derrière les nuages

Près du bord de la mer

Ou sur le bec d’un oiseau,

Nous palpons la forme des choses

Dont les noms ne sont pas retenus par la mémoire

Des choses qui nous ressemblent tellement

Tu es né…comme naît n’importe quel enfant

Une formation primitive insignifiante d’un soir froid

Le matin,

L’argile m’a couvert

Alors, je suis devenu un être humain…

Au visage monochrome,

Aux yeux manquant de quiétude qui ne viendra pas

Mais ils sont de couleur châtain

À la peau mate

Je suis né au camp

Une autre nuit

Je suis né

En haut de la rue,

Ou dans une nuit pluvieuse

Je suis né

Sur la lune

Sur la surface du soleil

À Bagdad, à Beyrouth, à Amman, à Damas, au Caire,

Au Koweït…

Je n’en sais rien,

Mais nous sommes nés d’un seul coup comme la tristesse, la maladie,

Et l’épidémie…

Nous sommes nés subitement

Tel un vomissement,

Tel un rêve,

Tel un flacon de parfum,

Nous sommes nés comme cuit une galette de pain

Au taboune**

Brûlés, appétissants ou parias

Je n’en sais rien – bref…nous sommes nés –

J’ai plusieurs frères

Nous ne sommes pas tous nés au même lieu

Mais le nulle part nous a dispersés

Alors nous étions

Comme des grains de sable entre les plis du corps d’une femme

Qui sommeille sur une plage méditerranéenne…

Cherchant un bronzage factice

Nous sommes nés dans les articulations du gel

Entre les boutonnières des frontières

Et sur les genoux de la canicule

Dans le menton du brouillard

Et l’aisselle du silex

Nous sommes nés dans les premiers rebondissements

D’un fragment perdu,

Et dans les cartes d’aide alimentaire…

Ou dans le sandwich d’un enfant

Dans la classe d’un enseignant…au Golfe

Ou dans la projection de ciment par un ouvrier maçon

Ou par le premier tir d’une mitrailleuse…

D’une femme dans l’hôpital du déplacement

Ou entre quelques dollars

Et une affaire d’immobilier d’un courtier

Ou entre

Les mots

D’un poète qui a appris à transformer les virgules

En stations entre les différents déplacements.

Notes de la traductrice 

*Titre du recueil poétique de Rami Abu Shihab dont je propose ici la traduction d’une partie.

**Four arabe traditionnel utilisé en Palestine.

 

Rami Abu Shihab

Traduction de Radhia Toumi

Rami Abu Shihab

Mercredi en Poésie avec Rami Abu Shihab

Rami Abu Shihab (Rami Nazih Abu Shihab) est un écrivain et critique littéraire spécialiste en théorie critique, études culturelles et discours postcolonial. Il détient un doctorat de l’Institut du Caire pour la recherche et les études arabes. Il est maître de conférences à l’université du Qatar (Qatar University). Il a publié dix livres dans le domaine de la critique et deux recueils de poésie, en plus de nombreux articles académiques. Il a été membre de jury de plusieurs concours dont AlMultaqa Prize for Arabic Short Strories au Koweit en 2019. Il est aussi membre du comité de rédaction de la revue internationale « Sardiatte » (Narratives) à la Cité culturelle Katara au Qatar. Il écrit un article hebdomadaire sur le cinéma, la littérature et la culture dans le journal Alquds Alaraby. Il a obtenu le prix du livre Cheikh Zayed pour son livre qui étudie le discours postcolonial dans la critique arabe contemporaine. Il a participé à des colloques scientifiques à l’université Cambridge en Angleterre et l’université du Qatar. Et il a également participé à d’autres colloques au Bahreïn, au Kenya, en Algérie, Tunisie, Grèce, Jordanie et aux États-Unis.

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