Mercredi en Poésie avec Rami Abu Shihab
Je suis Palestinien en quête de mon argile*
Tu es né au soleil qui a déchiqueté ton visage
Il t’a peint avec des couleurs de la diaspora
Cependant, tu as la couleur de l’argile
Et le bruit de l’argile séchée
Dépourvue des plaisirs
Tu as les traversées des bateaux
Parmi nous, il y a celui qui s’est trouvé sous une pluie fine,
Alors, il est devenu beau et pur
Il y a celui qui s’est trouvé à un moment de chaleur extrême
Il est devenu un volcan agité
Il y a celui qui s’est trouvé à l’ombre
Il est devenu obéissant à la terre qui l’a engendré,
Il y a celui qui s’est trouvé dans une mare de sang,
Alors, il est devenu un membre de la tribu des coquelicots,
Il y a celui qui s’est trouvé dans l’errance de l’argile
Il est devenu pierre, douleur sans écho
Et il y a celui qui s’est trouvé dans le cou parfumé d’une fille de joie,
La proximité le rendait passionnément amoureux…
Et il y a celui qui s’est trouvé sur une terre étrangère
Ainsi, il courtisait des lieux qui lui témoignaient leur hostilité
À qui il témoignait son hostilité
Pourtant,
Tu t’es trouvé comme une question absurde
Tu t’es trouvé par hasard comme n’importe quel être argileux
Ou par intention préalable, cependant tu t’es trouvé
Sur cette terre vaste
Qui comprend beaucoup de couleurs, de chairs…et de charbon
Mais tu es un quelconque être…mythique
Désirant trébucher
Dans un endroit terreux
Où il se cache
Y retourne
Seul comme un paria
Ce n’est pas important…
Où t’es-tu trouvé ?
Parce que nous nous sommes tous trouvés à l’improviste sur cette terre
Un jour…nous partirons à l’endroit de l’attente
Nous nous sommes trouvés
Dans des coïncidences passagères,
Et pas très attrayantes
Comme les rencontres des amoureux après une rupture,
Nous nous sommes trouvés…
Derrière les nuages
Près du bord de la mer
Ou sur le bec d’un oiseau,
Nous palpons la forme des choses
Dont les noms ne sont pas retenus par la mémoire
Des choses qui nous ressemblent tellement
Tu es né…comme naît n’importe quel enfant
Une formation primitive insignifiante d’un soir froid
Le matin,
L’argile m’a couvert
Alors, je suis devenu un être humain…
Au visage monochrome,
Aux yeux manquant de quiétude qui ne viendra pas
Mais ils sont de couleur châtain
À la peau mate
Je suis né au camp
Une autre nuit
Je suis né
En haut de la rue,
Ou dans une nuit pluvieuse
Je suis né
Sur la lune
Sur la surface du soleil
À Bagdad, à Beyrouth, à Amman, à Damas, au Caire,
Au Koweït…
Je n’en sais rien,
Mais nous sommes nés d’un seul coup comme la tristesse, la maladie,
Et l’épidémie…
Nous sommes nés subitement
Tel un vomissement,
Tel un rêve,
Tel un flacon de parfum,
Nous sommes nés comme cuit une galette de pain
Au taboune**
Brûlés, appétissants ou parias
Je n’en sais rien – bref…nous sommes nés –
J’ai plusieurs frères
Nous ne sommes pas tous nés au même lieu
Mais le nulle part nous a dispersés
Alors nous étions
Comme des grains de sable entre les plis du corps d’une femme
Qui sommeille sur une plage méditerranéenne…
Cherchant un bronzage factice
Nous sommes nés dans les articulations du gel
Entre les boutonnières des frontières
Et sur les genoux de la canicule
Dans le menton du brouillard
Et l’aisselle du silex
Nous sommes nés dans les premiers rebondissements
D’un fragment perdu,
Et dans les cartes d’aide alimentaire…
Ou dans le sandwich d’un enfant
Dans la classe d’un enseignant…au Golfe
Ou dans la projection de ciment par un ouvrier maçon
Ou par le premier tir d’une mitrailleuse…
D’une femme dans l’hôpital du déplacement
Ou entre quelques dollars
Et une affaire d’immobilier d’un courtier
Ou entre
Les mots
D’un poète qui a appris à transformer les virgules
En stations entre les différents déplacements.
Notes de la traductrice
*Titre du recueil poétique de Rami Abu Shihab dont je propose ici la traduction d’une partie.
**Four arabe traditionnel utilisé en Palestine.
Rami Abu Shihab
Traduction de Radhia Toumi
Rami Abu Shihab
Rami Abu Shihab (Rami Nazih Abu Shihab) est un écrivain et critique littéraire spécialiste en théorie critique, études culturelles et discours postcolonial. Il détient un doctorat de l’Institut du Caire pour la recherche et les études arabes. Il est maître de conférences à l’université du Qatar (Qatar University). Il a publié dix livres dans le domaine de la critique et deux recueils de poésie, en plus de nombreux articles académiques. Il a été membre de jury de plusieurs concours dont AlMultaqa Prize for Arabic Short Strories au Koweit en 2019. Il est aussi membre du comité de rédaction de la revue internationale « Sardiatte » (Narratives) à la Cité culturelle Katara au Qatar. Il écrit un article hebdomadaire sur le cinéma, la littérature et la culture dans le journal Alquds Alaraby. Il a obtenu le prix du livre Cheikh Zayed pour son livre qui étudie le discours postcolonial dans la critique arabe contemporaine. Il a participé à des colloques scientifiques à l’université Cambridge en Angleterre et l’université du Qatar. Et il a également participé à d’autres colloques au Bahreïn, au Kenya, en Algérie, Tunisie, Grèce, Jordanie et aux États-Unis.
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