Une plaie ouverte
Une plaie ouverte, Poème de Dalia
Une plaie ouverte
peine à guérir,
Je la porte dans mon cœur,
témoin martyre et désolation.
Je suis un maillon d’une Histoire
qui me dépasse
Amputée d’une partie de moi-même,
ma moitié fantôme me chuchote :
des langues oubliées,
des rites cadenassés,
des odeurs embrumées.
Dans mes rêves éveillés
elles me hantent :
Elles sont le monde qui fut
Elles sont des traditions déracinées
Elles sont des générations sacrifiées.
Une plaie ouverte
peine à guérir,
une déchirure :
le temps n’a pas su, encore, la raccommoder
Je suis un étrange fruit d’un passé délaissé
J’essaye de prendre racine et de m’arrimer
je flotte, je flotte loin des rivages,
Je m’accroche à la raison, je m’accroche aux choses
je m’accroche aux mots,
je m’accroche à mes illusions…
Je suis une moitié fantôme,
j’ai été amputée des histoires de vents, de sorcières
de marabouts, des tempêtes de sables et des oliveraies.
Amnésique, j’ai perdu l’insolite, le beau, l’extraordinaire,
la transcendance et la magie.
Je renonce à « être » pour échapper
au cliché occidental des milles et une nuit.
J’y échappe, ou presque, mais à quel prix ?
Je suis une femme, d’une terre qui fut colonisée,
J’ai appris à reconnaître les regards qui me déshabillent
me dépossèdent, me volent, me violent,
Je suis tétanisée
Je n’ai pas écrit cette Histoire,
Je ne fais que la subir.
Une plaie ouverte
peine à guérir.
Je suis entre deux rivages : je nage contre courant,
je suffoque, je suffoque
Je n’ai pas le privilège de choisir mes combats
Ils s’imposent à moi inévitablement,
Ils sont mon double, mon reflet, mon ombre
un été, soleil écrasant,
Je voudrais tisser un fil entre des réalités révolues
et la mienne, aujourd’hui
coudre, rapiécer, rafistoler des symboles et des rites
le harkous, le bkhour, le henné, la fleur d’oranger
oui la fleur d’oranger, mon opium, mon Xanas,
remède à mon anxiété ordinaire,
Alors, je scrute des issues inhabituelles :
arrêter de tout hiérarchiser, d’étiqueter, de classifier,
de distinguer le bon, le beau, l’utile et le raisonné.
Défaire le temps, détricoter les certitudes,
deviner l’incertain, laisser une place à l’envoûtement.
Le marc de café n’a pas qu’un goût amer,
Je ne suis pas dupe, le folklore peut être un abîme
une réalité tronquée, fantasmée, embaumée
un précipice pour nos âmes mutilées
Alors, alors, il est où le juste milieu ?
Je ne cherche pas la vérité,
Je voudrais simplement ne plus sacrifier ces réalités
sur l’autel du mythe de la modernité,
J’ai beau être une assimilée
j’ai beau être la bonne intégrée
J’ai mal dans mon cœur,
J’ai mal dans mon corps
J’ai mal…
la plaie ouverte saigne,
la plaie ouverte pleure,
la plaie ouverte crie,
la plaie ouverte meure.
J’évoque la pluie,
J’évoque mon corps
J’évoque la nuit,
J’évoque les morts.
Je suis la paysanne,
Je suis l’oracle,
Je suis la guérisseuse,
consoler, cicatriser, prédire,
une plaie ouverte
peine à guérir…
Poème et illustration de couverture de Dalia
Dalia est une jeune poète et artiste, issue de l’Histoire coloniale, immigrée en quête d’une dignité confisquée par l’ordre patriarcal et colonial, elle tente de rafistoler des histoires fragmentées, des mémoires oubliées, des légendes fantasmées et des récits en creux pour graver l’espoir des révolté•es.
Elle utilise la linogravure et la poésie comme outils d’une quête autour de la question existentielle « Qui suis-je ? » où se mêle la colère, les silences, les résistances ordinaires : les siennes et celles des damné•es de la terre.
La plume de Dalia et ses dessins sont à la fois un cri de révolte contre les injustices et un espoir en un monde nouveau.