Ferroudja Ousmer invitée de Souffle inédit

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Bien que passionnée par la littérature et la poésie en particulier, Ferroudja Ousmer est venue sur le tard à l’écriture qu’elle pratiquait comme poétesse en herbe dès l’adolescence.

Ferroudja Ousmer « LA POÉSIE EST UNE ARME PUISSANTE POUR DÉNONCER LES INJUSTICES »

POÈTES SUR TOUS LES FRONTS

Par Lazhari Labter

Enseignante d’économie dans un lycée de Tizi-Ouzou pendant 25 ans, elle occupe par la suite le poste d’enseignante et de consultante à L’INSIM, le prestigieux Institut international de management de Tizi-Ouzou, spécialisé dans la formation et le consulting dans les disciplines des sciences de gestion.
Très engagée dans l’organisation et l’animation culturelle, elle participe activement, durant des années, à la réussite de la manifestation culturelle Raconte-Arts, le Festival pluridisciplinaire et itinérant, initié par l’animateur culturel Hacene Metref, l’artiste-plasticien Denis Martinez et l’ami des livres Salah Silem ainsi qu’à celle du Salon du livre de Boudjima.

En 2021, elle publie Derrière les larmes de ma grand-mère, un récit autobiographique, préfacé par l’historien Daho Djerbal qui raconte en quelques paragraphes sa rencontre avec Ferroudja Ousmer au moment de la dédicace qu’elle voulait du conférencier venu parler d’histoire et de mémoire :
« — Quel est votre nom ?
— Ousmer, dit-elle.
— Ousmer ? Ce nom me dit quelque chose.
Mais bien sûr ! Qui ne connaît pas l’affaire dite de  » L’Oiseau bleu » ? Qui n’a pas entendu parler du commissaire Ousmer ?
Et voilà que s’ouvre le volet de l’histoire et avec lui la boîte de Pandore de la mémoire enfouie dans le tréfonds de l’inconscient individuel et collectif.
— Vous aimez lire madame, c’est votre passion, semble-t-il. Pourquoi ne pas écrire votre histoire, l’enfance, la famille, le village, tout ce qui vous a marqué votre vie durant ? car, pour l’historien, les dizaines de livre et de thèses sur cette affaire l’ont été à partir d’archives de l’armée française ou de rapports de police. Si peu par les témoins et acteurs du côté algérien. Ne serait-ce pas une occasion de poursuivre ce qu’avait fait à sa manière Mouloud Feraoun dans Le fils du pauvre, La terre et le sang, Les chemins qui montent ? »

Et voilà comment en avril 2013, au village de Boudjima, est né la vocation d’écrivaine de Ferroudja Ousmer, née en 1955 à Ath Yenni, en Kabylie, qui se concrétisera, la soixantaine passée, par un récit autobiographique bouleversant qui la révélera au public, un récit qui convoque, à travers le personnage de la petite fille Lolodj brisée par la mort de Yaya, sa grand-mère, « la mémoire, individuelle et collective, avec, en filigrane, le combat d’une jeune fille, déchirée entre rêve de modernité et pesanteurs des traditions, pour exister dans une société patriarcale. »

En 2024, elle revient sur le devant de la scène avec un recueil de poèmes intitulé Tawenza, histoire de destins, préfacé par la poétesse et romancière Keltoum Staali, un cri du cœur en hommage à Fadhela Fellag Harzi, une amie poétesse qui s’en est allée un jour rejoindre le cercle des poètes disparus. Mais les poètes peuvent-ils mourir ! Écoutons Ferroudja Ousmer qui se livre à « Souffle inédit » à cœur ouvert.

Lazhari Labter : J’aime bien commencer mes entretiens pour cette rubrique du magazine d’art et de culture en ligne « Souffle Inédit » avec la convocation d’un souvenir. Qu’évoque pour toi cette photo ?

Ferroudja Ousmer invitée de Souffle inédit

Ferroudja Ousmer : Quel beau souvenir ! Cette photo me rappelle les moments fastes de Raconte-Arts. Comme vous le savez, j’ai été membre de l’organisation. Raconte-Arts qui, au-delà d’un festival, était une véritable école. C’est là que j’ai fait mes premiers pas dans la modération de conférences. J’ai eu la chance de côtoyer les grands de la littérature. Et j’avoue avoir eu le trac quand on m’avait demandé de modérer des discussions avec le professeur universitaire, militant et chercheur en Tamazight Hend Saadi et le poète et romancier Arezki Metref, et tant d’autres grosses pointures.

Mais après avoir présenté Said Sadi dans une immense esplanade bondée de monde à Igersaffen, je n’ai plus jamais eu de trac. Une expérience inoubliable !
Tajmaât est une agora qui se trouve au centre du village en Kabylie où autrefois tous les problèmes pouvaient être résolus en toute démocratie.
Raconte-arts a permis de faire revivre ce lieu symbolique et en a fait un lieu emblématique, un lieu central, favorable aux débats sur des questions sociétales et culturelles, comme jadis.
Et c’est d’ailleurs à Tajmaât que j’ai modéré votre propre conférence.

L.L. : Après ton récit Derrière les larmes de ma grand-mère, préfacé par l’historien Daho Djerbal, publié en 2021, tu reviens sur le devant de la scène littéraire avec Tawenza- Histoire de destins, un recueil de poèmes – préfacé par la poétesse et romancière Keltoum Staali et illustré par ton mari Djamel Ousmer – que tu as présenté pour la première fois au 4e Salon du livre Hassiba Benbouali de Chlef en mai 2024. Qu’est-ce qui a motivé ce passage de la prose à la poésie ?

Ferroudja Ousmer en compagnie de son éditeur Arezki Ait-Larbi
Ferroudja Ousmer en compagnie de son éditeur Arezki Ait-Larbi au Salon de Boudjima en 2021.

Ferroudja Ousmer : À dire vrai je ne me considère pas du tout comme poète, mais j’ai suffisamment d’empathie pour ressentir le mal-être et la misère des autres. Comme je le dis souvent, je suis arrivée à la poésie par la mort. La poésie est un bouillonnement d’émotions, quoi de pire que la faucheuse pour vous faire vibrer. La mort est comme un cul-de-sac, il est sans issue. Seuls les mots peuvent permettre d’ouvrir une brèche et poser les maux, ce lourd fardeau, sur du papier et en solitaire.

J’ai toujours écrit mes ressentis, mes blessures et mes peines en vrac sans souci de rimes, ni d’esthétique, ni de respect de la métrique. Ma poésie, si on peut l’appeler ainsi est une espèce de pot-pourri. Ce sont des ressentis du moment écrits sur le vif. Tous les thèmes y sont abordés. Ce recueil est né par hasard, il n’était pas destiné à être publié si ce n’était l’édition Samar qui me l’avait proposé… Comment refuser une telle aubaine quand certains poètes peinent à se faire éditer ?

J’ai saisi cette belle opportunité pour rendre hommage à mon amie poétesse Fadhela Fellag Harzi, partie à la fleur de l’âge. Un poète ne peut mourir !

Ferroudja Ousmer et Lazhari Labter au Salon de Chlef Hassiba Ben Bouali en 2024.

L.L. :  Derrière les larmes de ma grand-mère est un récit de vie poignant d’une famille kabyle raconté avec beaucoup de pudeur, de sensibilité et d’audace par la narratrice-auteure qui convoque sa mémoire de petite fille et celle des survivants de sa famille pour dire son vécu, longtemps refoulé, des affres des années la guerre et des efforts extraordinaires de l’après-guerre pour s’imposer et se libérer des pesanteurs d’une société kabyle patriarcale où les femmes, formatées à la soumission, n’ont que le droit de se taire. Peut-on dire qu’à travers ce récit tu portes la voix des femmes sans voix ?

Ferroudja Ousmer : À chacun son Everest, moi je l’ai atteint avec la publication de ce récit. Une véritable revanche sur la vie.

C’est un livre miroir, beaucoup de femmes de ma génération et même plus jeunes se sont retrouvées dans mon récit autobiographique sur fond de guerre d’Algérie. Mon témoignage est un hymne à l’espoir puisqu’il se termine par une note positive. Lolodj, personnage principal de ce récit, n’attendait pas tant de la vie. Elle a fini par se réaliser malgré son parcours émaillé d’embûches.

Une femme qui écrit est une mise à nu alors pour ne pas heurter son entourage, elle s’autocensure. Comment prétendre être la voix des sans voix quand moi-même je me mets des garde-fous.
Mais si à travers Derrière les larmes de ma grand-mère je porte la voix de celles qui sont bâillonnées mon écriture aura servi à quelque chose. Ceci dit, le livre est un récit historique qui raconte la guerre d’Algérie à travers les yeux de ma famille, je parle également de l’opération « L’oiseau bleu » qui n’est que rarement évoquée et à laquelle a participé mon oncle l’inspecteur Ousmer.

Ferroudja Ousmer invitée de Souffle inédit

L.L. : Qu’est-ce qui a poussé l’ancienne professeure d’économie et de droit à Tizi Ouzou que tu as été jusqu’à la retraite, deux matières très éloignées de la littérature et de la poésie, à investir le champ des Lettres sur le tard ?

Ferroudja Ousmer : J’ai toujours été entourée de livres. Quand j’étais jeune, je passais un temps fou à la SNED de la rue de la paix de Tizi-Ouzou. Je remercie au passage le gérant, toujours souriant, qui me laissait fouiner dans les rayons pour trouver quoi me mettre sous la dent.
J’étais un véritable rat des librairies.  Avec ma cousine, on s’était constitué une petite bibliothèque en mettant nos petites économies dans l’achat de livres.
Les émissions littéraires comme « La Grande librairie », « Culture, Un Autre Regard » et tant d’autres, je ne les rate jamais. Je me suis forgé une culture littéraire grâce à ces émissions, à la lecture et surtout aux colloques auxquels j’étais conviée au département de lettres de l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou.
Les porteurs de plumes m’ont toujours fascinée mais je n’ai jamais imaginé un jour rejoindre cette communauté. Et j’en suis ravie.

Ferroudja Ousmer avec la grande femme de lettres Djoher Amhis-Aksil (1928-2025)

L.L. : Dans Tawenza qui signifie la raie en tamazight, tu mêles avec bonheur prose et poésie, pourquoi ce choix ?

Ferroudja Ousmer : Tawenza au sens propre du terme signifie effectivement en kabyle raie, mais au sens figuré, elle signifie destinée. Dans ce recueil, des destins y sont inscrits. J’écris au gré des évènements qui me bousculent. Je ne choisis pas la prose où la poésie pour m’exprimer, j’écris comme ça vient, l’essentiel est de transmettre des émotions. Cela s’est donc fait naturellement.

Ferroudja Ousmer invitée de Souffle inédit

L.L. : Passionnée de Haïku, ce poème d’origine japonaise qui concentre en très peu de mots tout un monde, tu le pratiques et tu l’enseignes dans des ateliers d’écriture ? D’où t’est venu cet engouement pour un art poétique venu du pays du Soleil Levant ?

Ferroudja Ousmer : C’est à Raconte-arts que j’ai participé à des ateliers d’écriture où le Haïku était donné juste comme exercice d’échauffement, vu sa brièveté. Je suis tombée dans la marmite nippone et je n’en suis jamais sortie. Dans ces ateliers on nous a juste précisé que c’était un poème de trois vers. Mais en réalité le haïku est bien plus que cela. Il est codifié. Il n’a certes pas besoin d’apparats (pas de rimes pas de métaphores), mais les contraintes y sont nombreuses. Le Haïku n’est pas simplement le plus petit poème au monde, mais une philosophie de vie. Il invite par sa concision à lever le pied et observer le monde qui nous entoure. Lâcher prise pour apprécier l’instant présent. Le Haïku est l’art de l’éphémère qui permet en 17 syllabes seulement de célébrer l’évanescence des choses et les sensations qu’elles suscitent. Un Haïku évoque généralement à travers le premier vers une saison (le kigo) et le dernier vers (le kireji) qui est un pas de côté pour faire une césure entre les deux premières images.

L.L. : Penses-tu que la poésie peut aider à réparer notre monde cassé où l’insensibilité prend souvent le dessus sur l’empathie, la cruauté sur la bonté, la force brute sur la douceur, la laideur sur la beauté ?

Ferroudja Ousmer : La poésie peut soulager la personne qui l’écrit, car elle extériorise ce qui l’étouffe. La poésie permet d’être témoin de sa société mais ne peut nullement réparer notre monde cassé. Nous avons tous écrit des poèmes pour dénoncer le génocide palestinien mais nos écrits sont restés vains. Que peuvent nos poèmes lorsque les enfants sont mutilés, meurent de faim et privés d’école. Que peuvent nos poèmes lorsque des familles entières sont arrachées à leurs foyers et prennent le chemin de l’exil en laissant derrière eux toute une vie ?

La poésie est tout de même une arme puissante pour dénoncer les injustices, les dépassements et toutes formes d’inégalités. La poésie est une forme de mémoire.

Trois poèmes de Ferroudja Ousmer

Hommage à mon mari

Le messie perce le ciel
Balaie les nuages.
Jette sur moi son dévolu
Et dissipe l’orage.

Un souffle de liberté plane
À l’ombre de ma trentaine
Dévie ainsi la trajectoire de mon destin. 

Cadeau de la providence !
Cette bonté céleste, sillonne mon âme en jachère,
Attise mes neurones prisonniers de la force mâle.

La pression soulève la soupape
Le volcan fait irruption
Déverse frénétiquement ses laves
En dessinant d’infinies arabesques

15 août 2005

Novembre

Mon novembre est orphelin
Orphelin de mémoire
Orphelin de mes espoirs
Mon novembre ensanglanté
A perdu la raison
Un matin de printemps
Il s ‘en est allé habillé de suaire
Il a perdu ses repères
Le marbre souillé a parlé
Résonne l’anza des suppliciés

15 octobre 2023

Solidarité virtuelle, je n’en veux plus quand de mon ciel se déverse la mort.
Solidarité d’écran, je n’en veux plus quand nos enfants sont déchiquetés par les obus dans le noir d’un ciel rougeoyant !
Quand tout n’est que ruines, mort et sang !
Que peuvent les mots dans un ventre creux et des gémissements d’enfants !

5 novembre 2023

Lazhari Labter
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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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