Poésie

Karim Samaali, l’invité de Souffle inédit

Entretien avec Karim Samaali   

« Des lunettes roses pour ne voir que ce qui renforce cet amour… »

Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen

Né à La Marsa le 15 décembre 1969, Karim Samaali a fait ses études au lycée Carthage Présidence, puis a rejoint l’Institut des Hautes Études Commerciales de Carthage où il a obtenu une maîtrise de gestion et finances en 1993. Depuis cette date, il réside au Canada où il a obtenu, en 1995, un master en sciences de la gestion et de l’administration de l’École des Hautes Études Commerciales de Montréal, ensuite un diplôme d’études post-master en direction des affaires, section gestion des systèmes d’information de l’Université McGill en 1997.

Féru de lettres, de sciences humaines et de philosophie, Karim Samaali est poète. Il vient de publier deux ouvrages aux éditions Abajadiyat, dirigées par l’écrivain-traducteur Walid Ben Ahmed, dédiés respectivement au chanteur égyptien engagé Cheikh Imam et au grand homme de théâtre tunisien, Taoufik Jebali.

Karim Samaali, l’invité de Souffle inédit    Karim Samaali, l’invité de Souffle inédit

Rencontre

Pour commencer, nous voudrions savoir l’origine de votre intérêt pour de telles figures qui semblent être l’apanage des littéraires. Qu’est-ce qui fait que l’homo economicus que vous êtes s’intéresse ainsi à la musique, au théâtre et à l’art en général ?

Karim Samaali. Mon intérêt pour les deux figures a commencé à un âge très précoce. J’ai connu Cheikh Imam à travers ses chansons vers l’âge de 11-12 ans via les cassettes que mon grand frère récupérait auprès de ses amis étudiants. C’était une vraie rencontre-coup de foudre avec ce type de chansons. À l’âge de 14 ans, soit en 1984, quand Cheikh Imam a fait sa tournée tunisienne, j’avais déjà collecté plus d’une centaine d’enregistrements de ses chansons. C’est aussi en 1984 que j’ai fait la connaissance de Taoufik Jebali à travers son texte de préface au recueil poétique de Nejm imprimé en Tunisie pour les circonstances. C’était le Jebali ami du Cheikh que j’ai connu en premier. Avant l’homme de théâtre.

Mon intérêt pour la littérature arabe aussi était précoce, je commençais mes premiers essais d’écriture à l’âge de 8 ans. Je fais partie de la génération Mzali, celle qui a vécu ou survécu à l’expérience de l’apprentissage de la langue française seulement en 4e primaire. Mon père était Zeitounien lettré féru de livres, je pense que nous étions parmi les rares familles de notre classe sociale à avoir une bibliothèque à la maison, mais pas de salle à manger.

L’homo economicus n’est qu’un attribut de l’homo sapiens sapiens. Ce dernier s’intéresse à tous les types de connaissances : arts, littératures, sciences, etc. Mon choix de cursus académique et de carrière n’exclut pas et n’est pas en contradiction avec mon intérêt, au contraire il l’alimente et le structure. N’oublions pas que l’économie et ses filaires sont toujours considérées comme des sciences humaines et non des sciences exactes.

Les deux ouvrages sont différents, néanmoins votre méthode, voire méthodologie est la même. Comment avez-vous procédé pour écrire l’un et l’autre livre ?

Karim Samaali. Les deux ouvrages font partie de la même catégorie littéraire : la biographie. C’est donc normal de voir quelques ressemblances telles que la chronologie des étapes marquantes d’une vie. Il y’a deux grandes différences cependant :

  • Le livre dédié à Cheikh Imam est à titre posthume, il est donc la synthèse de lectures et d’intérêts qui s’étalent sur 40 ans, validé par des interviews avec des acteurs directs de l’époque qui étaient dans le premier cercle de ce personnage exceptionnel. Des témoins avec des informations de première main, validés par des gens croisés pour veiller sur l’objectivité des faits. Il est aussi circonscrit dans le temps pour couvrir des événements non couvets par les autres livres écrits sur le même sujet
  • Le livre sur Taoufik Jebali est le résultat d’une collaboration directe avec l’intéressé : 40 heures d’enregistrements sur 4 mois et 6 mois de rédaction. Donc, avec Taoufik nous sommes dans le subjectif. Il faut dire que c’est la première biographie autorisée écrite en Tunisie sur un homme des arts de son vivant.

Karim Samaali, l’invité de Souffle inédit

Vous vivez au Canada, mais la Tunisie est au cœur de votre vie, aussi bien dans ce que vous écrivez que dans le fil de vos activités sur les réseaux sociaux. Pensez-vous qu’on aime plus la Tunisie quand on est expatriés, autrement dit « Nul n’est prophète en son pays » ?

Karim Samaali. Certainement oui. Nul n’est prophète en son pays est une vérité pour moi et non une image poétique.

L’amour à distance est cependant très poétique, je préfère cette relation qui évite les épines de cet amour pour ne laisser que le parfum de la rose. L’amour, c’est compliqué, en on souffre plus que l’on se réjouit. Le bien-aimé peut te faire souffrir car aimer c’est idéaliser, mais la réalité est tout autre. Même pendant les vacances, je mets des lunettes roses pour ne voir que ce qui renforce cet amour et éviter tout ce qu’il peut l’égratigner. C’est ça et de façon consciente et voulue, ma relation avec la Tunisie après trois décennies d’exil volontaire.

Vivant au Canada, vous pouvez écrire aussi bien en français qu’en anglais. Pourquoi garder votre langue et par là même votre plume arabe ?

Karim Samaali. La langue d’écriture dépend du sujet. L’écriture sur Cheikh Imam ou Taoufik Jebali est motivée par l’affect. La langue arabe est mon seul outil pour aborder des sujets de la sorte au même titre que la poésie (œuvre complète en 4 volumes de plus de 200 pages chacun, à paraitre pour la prochaine foire du livre tunisien chez Abajadiyat). Cependant, j’ai un ouvrage en rédaction qui va être en langue française : « Une société malade de son identité ». Les concepts et le vocabulaire de ce livre viennent de mes études en sciences humaines, la rigueur et le sujet imposent que ça soit écrit en français.

Si vous deviez tout recommencer, quels choix feriez-vous ? Si vous deviez incarner ou vous réincarner en un mot, en un arbre, en un animal, lequel seriez-vous à chaque fois ? Enfin, si un seul de vos textes doit être traduit dans d’autres langues, en français par exemple, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?

Karim Samaali. Si c’est à refaire, je referais tout pareil, mais je sauterais mon premier amour qui m’a fait beaucoup de mal.

En cas de réincarnation, je serais : le mot liberté, l’amandier comme arbre et l’aigle comme animal.

Je travaille sur un projet de traduction du livre du Cheikh Imam en français, plusieurs acteurs français de cette époque sont toujours vivants et le livre pourrait les éclairer sur l’arrière-scène de ce qui s’est passé à l’époque.

L’auteur

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Souffle inédit

Magazine d'art et de culture. Une invitation à vivre l'art. Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.

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