Forough Farrokhzad – Petite mise en lumière

Poésie
Lecture de 8 min
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Poèmes de la poétesse et réalisatrice iranienne Forough Farrokhzad
Poèmes choisis et proposés par le poète et blogueur Christophe Condello

Forough Farrokhzad : La voix de la liberté et l’indépendance des femmes

Ne scelle pas mes lèvres au cadenas du silence
Car j’ai dans le cœur une histoire irracontée
Délivre mes pieds de ces fers qui les retiennent
Car cette passion m’a bouleversée
Viens, homme, viens, égoïste
Viens ouvrir les portes de la cage
Toute une vie, tu m’as voulue en prison
Dans le souffle de cet instant, enfin, délivre-moi
Je suis l’oiseau, cet oiseau qui depuis longtemps
Songe à prendre son envol
Mon chant s’est fait plainte dans ma poitrine serrée
Et dans les désirs, ma vie a reflué
Ne scelle pas mes lèvres au cadenas du silence
Car il me faut dire mes secrets
Et que je fasse entendre au monde entier
Le crépitement enflammé de mes chants
Viens, ouvre la porte, que je m’envole
Vers le ciel limpide du poème
Si tu me laisses m’envoler
Je me ferai rose à la roseraie du poème
Mes lèvres sucrées par tes baisers
Mon corps parfumé à ton corps
Mon regard avec ses étincelles cachées
Mon cœur plaintif, par toi rougi
Mais ô homme, homme égoïste
Ne dis pas c’est une honte, que mon poème est honteux
Pour ceux dont le cœur est enfiévré, le sais-tu,
L’espace de cette cage est étroit, si étroit?
Ne dis pas que mon poème était péché tout entier
De cette honte, de ce péché, laisse-moi ma part
Je te laisse le paradis, ses houris et ses sources
Toi, laisse-moi un abri au cœur de l’enfer
Livre, intimité, poème, silence
Voilà pour moi, les sources de l’ivresse
Qu’importe de n’avoir pas voie au paradis
Puisqu’en mon cœur est un paradis éternel !
Lorsque dans la nuit, la lune danse en silence
Dans le ciel confus et éteint
Toi, tu dors et moi, ivre de désirs inassouvis
Je prends contre moi le corps du clair de lune
La brise m’a déjà pris des milliers de baisers
Et j’ai mille fois embrassé le soleil
Dans cette prison dont tu étais le geôlier
Une nuit, au profond de mon être un baiser me fit vaciller
Rejette loin de toi l’illusion de l’honneur, homme
Car ma honte m’est jouissance ivre
Et je sais que Dieu me pardonnera
Car il a donné au poète un cœur fou
Viens, ouvre la porte, que je déploie mes ailes
Vers le ciel limpide du poème
Si tu me laissais m’envoler
Je me ferais rose à la roseraie du poème.

*

Je plante mes mains dans le jardin
Et je sais, je sais, je sais, je vais verdir
Et dans mes paumes violacées d’encre
Les hirondelles vont venir pondre
J’accroche deux boucles de cerises rouges à mes oreilles
Je colle des pétales de dahlia sur mes ongles
Il existe une rue
Où des garçons les cheveux en bataille
Le cou mince et les jambes maigres
Étaient amoureux de moi
Et pensent encore aux sourires innocents d’une feuille
Qu’une nuit le vent a emporté
Il existe une rue que mon cœur a volé
Aux quartiers de mon enfance
Forme en voyage sur la ligne du temps
Avec une forme féconder la ligne sèche du temps
La forme d’une image en conscience
Qui revient de la fête du miroir
Et c’est comme ça
Que quelqu’un meurt
Et quelqu’un reste
Aucun pêcheur ne trouvera de perle dans un pauvre ruisseau
Coulant au creux d’un fossé
Moi
Je connais une petite fée triste
Qui habite un océan
Et qui souffle son cœur dans une flûte en roseau
Si doucement, doucement
Une petite fée triste
qui la nuit meurt d’un baiser
Et d’un baiser au matin renaîtra

*

La vie,
C’est peut-être une longue rue où passe,
Chaque jour,
Une femme avec un panier
La vie,
C’est peut-être une corde
Avec laquelle un homme se pend
A une branche
La vie,
C’est peut-être un enfant
Qui rentre de l’école.
La vie,
C’est peut-être entre deux étreintes,
Dans l’engourdissement de l’heure,
Allumer une cigarette
Ou la silhouette confuse d’un passant
Qui, ôtant son chapeau avec un sourire banal,
Dit à un autre
bonjour.
La vie,
C’est peut-être
Le moment sans issue
Où mon regard se fond
Dans la prunelle de tes yeux.

Forough Farrokhzad - Petite mise en lumière
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Forough Farrokhzad (en persan : فروغ فرخزاد) est une poétesse et réalisatrice iranienne. Née en 1934 à Téhéran dans une famille nombreuse. Très jeune, elle s’intéresse à la littérature et notamment à la poésie.
Mariée à l’âge de 16 ans, c’est en 1955 qu’elle publie son premier recueil de poèmes, « Le captif « . L’année suivante, elle publie un nouveau recueil intitulé « Le mur » suivi par « La rébellion » édité en 1958.
Parallèlement à la poésie, elle s’intéresse au théâtre et au cinéma. En 1959, elle quitte l’Iran pour l’Angleterre où elle va poursuivre des études cinématographiques. Elle apparaît en 1960 dans un film intitulé « La Proposition » en 1960. C’est deux années plus tard qu’elle réalise son premier film « La maison est noire ». Film remarqué, celui-ci remporte le Grand prix documentaire au Festival Oberhausen (Allemagne) en 1963.

La poétesse ne renonce pas pour autant à l’écriture et à la poésie. Toujours en 1963, elle publie un nouveau recueil de poésie intitulé « Une autre naissance ».
En 1967, elle décède tragiquement dans un accident de voiture. Elle avait 33 ans. Son dernier recueil de poèmes, intitulé « Laissez-nous croire au début de la saison froide » est publié à titre posthume.

La poésie de Forough Farrokhzad était une écriture de la protestation dans laquelle elle révélait la condition féminine avec ses désirs intimes, ses peines et ses aspirations. Ses poèmes sont encore aujourd’hui cités pour la liberté et l’indépendance des femmes.

Christophe Condello est poète, blogueur (Christophe Condello | « Les arbres sont des êtres qui rêvent » Aristote), chroniqueur et directeur littéraire de la collection Magma Poésie chez Pierre Turcotte Éditeur.

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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