Poésie

Invitation à la lecture de La Rochefoucauld

Lettre de Jaleleddine Saïd à propos de sa traduction de La Rochefoucauld

(La Rochefoucauld, Réflexions ou sentences et maximes morales, Tunis-Beyrout-Le Caire, Dar Ettanouir, 2018, traduction arabe de Jalaleddine Saïd, publication bilingue français – arabe)

Réflexions ou sentences et maximes morales      Réflexions ou sentences et maximes morales de François de La Rochefoucauld

La vie de La Rochefoucauld

La vie de La Rochefoucauld (1613 – 1680) est loin d’être un long fleuve tranquille. Jeune déjà, il va de combine en complot (notamment contre le Cardinal de Richelieu) et finit par goûter aux cachots de la Bastille. Gracié, il retourne à la Cour du roi Louis XIV où il vit sous sa protection. Instable, il s’allie aux rebelles et participe à la Fronde, avant de s’isoler pendant trois années. En 1656, il retourne à Paris et habite chez Madame de Sablé, qui reçoit des gens de la haute société, des hommes de lettres, de science et de religion, ainsi que des femmes de grande culture, telles que Madame de Sévigné et Madame de la Fayette. Epoque de recueillement relatif où il se consacre à la composition de ses réflexions et maximes morales, sans pouvoir s’empêcher, toutefois, de subir la présence d’une multitude de gens qui, à la mode de l’époque, fréquentaient le salon littéraire de Madame de Sablé, s’adonnant à moult joutes intellectuelles avant de donner libre cours à leurs sentiments et convictions et de les exprimer dans des propos concis et fouillés, dans un style élégant et soigné. C’est là que pointa son génie et son don de fin observateur de la nature humaine ; c’est là que naquit sa gloire.

Son ouvrage lui valut tant l’hostilité et la rancune de ceux qui se sentaient visés par ses propos, que l’admiration sans limite de grands esprits de différentes époques : Nietzsche, Stendhal, André Gide, etc.

Au fil du temps et sous l’influence de Madame de Sablé, il gagna en sagesse, devint d’un naturel plus doux et atténua son mépris des hommes, ce qui lui rapporta bon nombre d’amis et raviva sa gloire de moraliste perspicace et profond. Des échos bienveillants ajoutèrent à sa célébrité et lui ouvrirent les portes de l’Académie française, mais il  s’empêcha d’y accéder, avant de mourir le 17 Mars 1680.

L’ouvrage

L’importance du livre de La Rochefoucauld ne réside pas uniquement dans sa dénonciation impitoyable des (fausses) vertus humaines, mais aussi dans son appel réitéré à se défier de soi-même, à prendre distance avec soi, à faire son examen de conscience, à démasquer les véritables causes qui nous gouvernent.

Il va sans dire que, dans son ensemble, l’ouvrage de notre auteur ne peut être qu’à son image : d’une complexité morne, sombre, brumeuse, à la limite du pessimisme et de la misanthropie. Autant de sentiments qui ont pourri la vie du moraliste, parce qu’il s’était voulu précisément moraliste.

Inapte à vivre avec les autres, il a pourtant vécu dans la meilleure société de l’époque… Certes, il n’accuse personne ; mais il en veut à tout le monde ! Il ne se plaint d’aucun objet précis, mais il n’arrête pas de se plaindre ! Car il souffre, sans comprendre pourquoi il souffre ! Il ne déteste pas tant la misère des hommes que les circonstances qui les rendent misérables. Il ne hait pas tant ses semblables, que le monde, la vie et l’existence.

Pourtant, quoi qu’on dise du caractère misanthrope de La Rochefoucauld et de son profond mépris pour l’humanité, il n’en reste pas moins que cette opinion mérite d’être mitigée. Car, en même temps qu’il a fustigé la malhonnêteté et blâmé l’égoïsme et l’hypocrisie des hommes, il n’a pas manqué de louer l’honnêteté, l’amour, l’amitié, la pudeur et quelques rares vertus  propres à certains privilégiés. Derrière l’aspect dur et implacable de La Rochefoucauld se cache un homme d’un naturel doux et affectueux.

« Nul n’est méchant volontairement !»

Certes, le lecteur pressé trouvera dans les maximes de La Rochefoucauld  ce qui le conforte dans sa haine d’autrui et son mépris de la vertu. Cependant, La Rochefoucauld n’a pas traité de toutes les vertus, et l’on peut se demander si ce n’est pas à bon escient qu’il a omis de parler de certaines vertus inattaquables, comme l’amour maternel, ou encore l’amour envers Dieu. En outre, bien que toute conduite humaine s’explique souvent, selon lui, par l’égoïsme et l’intérêt propre, il ne semble pas croire à la malignité radicale des hommes. Ceux-ci ne sont pas mauvais par nature et ne sont pas désespérément enclins au mal. Si leurs actions ne s’expliquent pas uniquement par l’altruisme et l’amour du bien, elles ne s’expliquent pas non plus uniquement par l’égoïsme et la volonté de commettre le mal. Ce n’est pas leur penchant pour le mal qui est naturel, mais leur égoïsme morbide et leur attachement exclusif à leur intérêt propre.  Et quand il leur arrive de commettre le mal,  c’est en vue de leur propre bien ; ou plutôt c’est à cause de leur méconnaissance du bien véritable ; La Rochefoucauld souscrirait volontiers au précepte de Socrate : « Nul n’est méchant volontairement !».

L’homme qui est décrit par La Rochefoucauld, c’est l’homme naturel, tel que sorti des mains de la Nature, comme dirait Rousseau ; l’homme qui s’aime d’un amour naturel (l’amour de soi, Rousseau le précisera, n’est pas un vice, contrairement à l’égoïsme), qui s’occupe de soi, qui cultive son ego et s’épanouit, est à distinguer de l’individu à  la nature corrompue.

Le discours de La Rochefoucauld

Certains commentateurs ont pu discerner chez La Rochefoucauld un discours contradictoire, qui oppose entre ce qu’il dit et ce qu’il pense, ce qu’il dévoile et ce qu’il dissimule, ce que prononce sa raison et ce que tait son cœur. Plus généreux (au sens classique du terme) qu’il n’y paraît, il n’est pas à confondre avec ses analyses acerbes et ses propos au vitriol. Sa description frustrante et désespérante de l’amitié ne doit pas nous cacher son propre sentiment : « J’aime mes amis, dit-il, et je les aime d’une façon que je ne balancerais pas un moment à sacrifier mes intérêts aux leurs. J’ai de la condescendance pour eux, je souffre patiemment leurs mauvaises humeurs… » (cf. Portrait de La Rochefoucauld par lui-même, in La Rochefoucauld, Maximes et Réflexions diverses, Paris, Gallimard, Collection Folio, N° 728, 1976,  page 219).

N’oublions pas, enfin, les valeurs prônées par notre moraliste : le courage, l’héroïsme, la générosité, la magnanimité, etc., ainsi que les vertus stoïciennes qu’il a souvent voulu faire siennes. La Rochefoucauld n’a pas failli aux usages et aux idéaux de l’époque, et principalement à l’idéal de l’honnête homme. Idéal qui procède, certes, d’un héritage chrétien, mais débarrassé de sa note religieuse.

Traduction

Notre traduction arabe de l’ouvrage de La Rochefoucauld est basée sur le texte français de 1678, tel qu’il a été publié et préfacé par Jean Lafond en 1976 (Paris, Gallimard, Folio, N° 728).

Jalaleddine Saïd invité de Souffle inédit

La traduction de certains termes pourrait parfois paraître, au lecteur non averti, inexacte ou inappropriée. Cependant, il convient de rappeler que le français du XVIIème siècle est différent du français contemporain. En outre, la finesse de la langue française, ses subtilités et ses nuances, ajoutées à l’habileté de La Rochefoucauld à manier le verbe et à façonner les concepts, rendent toute manipulation de son texte assez difficile. Pour avoir accès à sa pensée, pour la pénétrer, l’assimiler et, a fortiori, la traduire, c’est la croix et la bannière.

Lexique

Ainsi, il nous a paru indispensable d’accompagner notre traduction par un lexique, dans lequel nous indiquons que certains termes sont polysémiques (tels que : le monde – la fortune – l’esprit – la constance…), et qu’ils sont rendus en arabe, contextuellement, par différents mots…

Nous espérons que ce travail sera profitable au lecteur arabophone, et d’une utilité insoupçonnée pour le lecteur bilingue.

Jaleleddine Saïd

Jaleledinne Said invité de Souffle inédit

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Souffle inédit

Magazine d'art et de culture. Une invitation à vivre l'art. Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.

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