Poétesse de l’exil et de la mémoire, Nadine Ltaif tisse une œuvre incandescente entre guerre, féminité, mythe et renaissance.
Qui est Nadine Ltaif, poétesse de l’exil et des renaissances ?
Par Christophe Condello
Après une enfance et une adolescence passées au Liban, et marquées par la guerre, Nadine Ltaif va s’installer à Montréal en 1979 pour poursuivre des études de cinéma et de littérature à l’Université de Montréal. Elle obtient une maîtrise en création littéraire qui sera publiée sous le titre Les Métamorphoses d’Ishtar. Elle a été remarquée par sa manière de traiter de l’expérience de la migration et de l’exil en puisant dans les mythologies de sa région d’origine, le Moyen-Orient, tout en se mesurant aux réalités de son pays et de sa ville d’accueil. Ancrée dans le féminisme, son œuvre s’inspire également de la poésie japonaise et arabe. Depuis 2001, elle collabore à des films documentaires et des courts métrages avec la compagnie Nadja Productions. En 2017 elle cofonde et codirige la revue numérique d’art et de littérature Mïtra. Ses recueils de poèmes sont publiés aux éditions du Noroît. Son dernier recueil Chant des créatures est paru en 2024.
Poèmes choisis
Aujourd’hui
j’ai vu
comment meurt une ville
et j’ai été abandonnée
et je suis partie
et de rien
et je reviens d’un long voyage
mais par où commencer
par où ?
Je commence par la mort,
parce que de nos jours on ne peut commencer
que par la mort,
de ce récit qui prend la forme de la misère.
Je vous conte une histoire concernant des oiseaux,
une histoire un conte une odyssée, l’odyssée
du Phénix, ma Dame, ou comment aime le Phénix,
avec ses flammes avec ses feux, lorsqu’il n’y a
plus de dialogue possible
et que plus rien n’exprime mieux l’amour
que le désir
lorsqu’il se jette et lorsqu’il flambe
à la manière ardente du feu
qui parle qui parle
qui hurle qui parle.
Je vous raconte
ce que j’ai vu dans mes yeux,
du murex et de la pourpre
et une terre libanaise qui aime brûle aime
et embrase la mer.
Les Métamorphoses d’Ishtar suivi d’entre les fleuves, éditions du Noroît, 2008- Éditions Guernica, première édition1987
Avez-vous déjà écrasé une fleur
dans un cahier ?
si oui, avez-vous remarqué
comment elle imprime son cœur
à travers les pages ?
elle s’effeuille, laisse sa trace
page après page
jusqu’au point de ne plus laisser
qu’un petit point d’âme.
C’est ainsi que le corps
disparaît au moment
de la mort.
L’âme monte au ciel.
L’âme c’est rien.
C’est quand le corps disparaît.
Quand le souffle rejoint le vent,
les nuages les plantes et tout
le reste du vivant.
Ce que vous ne lirez pas, éditions du Noroît, 2010.
À Joël
Une idée passe dans le ciel sur les ailes d’un ange.
J’ai eu une pensée pour les morts.
Un cri jaillit de la pierre.
Les oiseaux rasent la surface de l’eau.
Ils vont pêcher encore et encore.
Leur faim les bénit.
Le rire de l’eau, éditions du Noroit 2004
Cyclamens
Ici cyclamens
survivant au massacre.
Nous sommes restés sous terre dix ans.
Aujourd’hui nos tiges
ont osé poindre
têtes baissées
en prière
une corolle de pétales
sur nos crânes calcinés.
On a assisté au
carnage de nos sœurs
les dix-huit années de
guerre.
Nous avons pris le
deuil une autre
décennie.
Nous voilà à nouveau
libres d’exulter.
Chant des créatures, éditions du Noroît, 2024