Fatna El Bouih, « Toutes peines confondues » : mémoire d’une prisonnière

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Fatna El Bouih - Photo : Alix Sallé / Editions iXe

Avec Toutes peines confondues, traduit de l’arabe par Souad Labbize et publié aux éditions iXe en 2025, Fatna El Bouih livre le témoignage poignant de son incarcération sous Hassan II, entre souffrance, résistance et affirmation féministe.

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Fatna El Bouih, « Toutes peines confondues » : mémoire d’une prisonnière politique marocaine

Par Dechache Djalila

Fatna el-Bouih est la première femme marocaine prisonnière politique de 1972 à 1982 sous le régime du roi Hassan II. Elle avait 22 ans, arrêtée pour atteinte à la sûreté de l’État.
Bien avant, alors lycéenne en 1974, elle est repérée et arrêtée, détenue, violée par la police pour ses activités de militante.

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Fatna El Bouih, « Toutes peines confondues »

Elle a alors vécu traquée, cachée chez un cinéaste ami et sa femme directrice artistique dans un appartement devenu aujourd’hui un lieu d’archives du cinéma marocain et un lieu de résidence.
Suite à ce livre, une remarquable rencontre en juin a été organisée à la librairie Le pied de la lettre à Paris, par les éditrices Alix et Oricelle avec l’autrice et une autre femme arabe Hala Abdalla aujourd’hui réalisatrice qui a été emprisonnée dans les geôles de Hafez Al Assad en Syrie. Rencontre croisée de deux vécus, de deux incarcérations difficiles. Fatna El-Bouih adhère à l’association syrienne de survivant.es et ex-détenu.es de la prison syrienne de Saydnaya.
Une occasion rare d’écouter ces deux femmes emprisonnées durant les mêmes années, cependant la discussion portait essentiellement sur le livre de Fatna El-Bouih.

Durant son incarcération, Fatna évoque une jeune femme Saïda qui a fait une grève de la faim durant 40 jours, elle en est morte. Elle écrivait des poèmes pour son amoureux, en prison lui aussi.
La grève de la faim est un combat mené pour faire entendre notre voix, notre souffrance dit Fatna, fait subir à notre corps la violence la plus dure qui soit. Comme si cela ne suffisait pas, une série de tortures faisaient notre quotidien : nous étions entassées dans une seule pièce avec un bandeau sur les yeux, nous n‘avions pas le droit de parler, nous écrivions sur nos corps les messages à faire passer par l’une d’entre nous qui sortait de cet enfer. Jusqu’à notre identité de femme bafouée, il nous a été donné à toutes un prénom masculin.
Nous reconnaissions le pas du gardien, le bruit des clés, le pas du commissaire, leur marche, leur odeur : on a remplacé la vue par le son et l’odorat.
Ce qui nous pesait, le temps et le silence, deux poids énormes, nous avions demandé à être avec des femmes de droit commun pour briser la torture du silence.
Bien sûr la vie que nous menions était loin d’être facile et agréable, bien au contraire notre quotidien était fait d’isolement, de grèves de la faim, d’attentes interminable du procès, Comment tenir le coup dans ces conditions. Notre vie nous lâchait à l’usure.

Edité d’abord en arabe en 2001 sous le titre de « Hadith al’Atama, discours des ténèbres » (Editions du Fennec, Casablanca), une traduction française est publiée l’année suivante sous le titre « Une femme nommée Rachid », prénom masculin imposé aux prisonnières politiques. Le livre est publié en anglais en 2008, « Talk of darkness ».
Grâce à cette nouvelle traduction menée par Souad Labbize, ce livre prend une autre dimension tant géographique, il traverse la Méditerranée et touche un public plus large.

Fatna El-Bouih a suivi un atelier d’écriture ouvert par la sociologue Fatima Mernissi (1940 – 2015), ce qui lui a permis de trouver sa voix en restituant le quotidien des « quartiers des femmes ». Une nouvelle vie s’ouvre ainsi à elle tout en s’engageant sur des valeurs féministes pour les prisonnières marocaines de droit commun. Dès lors une nouvelle mission est née pour Fatna. Elle écrira pour affirmer, combattre, exprimer et défendre.
D’autant qu’aucun auteur masculin n’a évoqué la question des femmes incarcérées.
Evolution notable, dans ce livre Fatna El-Bouih a pu passer du « nous » au « Je » comme une manière éclatante de s’affirmer et d’exister enfin.
De plus, cet ouvrage s’est enrichi et a été augmenté d’un chapitre consacré à tout ce que Fatna a pu faire et réaliser depuis sa libération.

Elle n’hésite pas à dire qu’elle s’est inspirée des moujahidates algériennes pendant la guerre d’Algérie pour mener ses propres combats, créant ainsi une chaine ininterrompue de femmes courageuses et combatives.
Son militantisme est devenu permanent, elle a participé à diverses ONG comme Quartier du monde, à des collectifs et associations, elle a co-crée l’Observatoire marocain des prisons, du Forum Vérité et Justice et de l‘association Relais-Prison-Société.
Son livre est la vive expression des femmes emprisonnées au Maroc et dans le monde ainsi que la défense de leurs droits. Elle cherche à émanciper les femmes des prisons en les aidant à se construire un nouveau but par l’écriture.

Fatna El-Bouih est une femme attachante, humaine, simple, généreuse et terriblement attentive, elle donne vraiment envie de la connaitre. Merci Fatna.

Toutes peines confondues de Fatna El Bouih traduction de l’arabe Souad Labbize, éditions Ixe collections fonctions dérivées 2025.

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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