Les mille et un baisers de Belinda Cannone
Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen
Nouvelles relances
Nous avons inauguré l’année 2022 avec Belinda Cannone et nous souhaitons lui faire nos adieux en sa très bonne compagnie. À vrai dire, nous ne connaissons pas personnellement Belinda Cannone, précisément nous ne la connaissons que par ses livres. Une amitié existe pourtant entre elle et nous et celle-ci est livresque, littéraire et par là même réelle : l’amitié, comme l’amour, n’est-elle pas une valeur textuellement transmissible ?
En témoigne sa dédicace pour notre famille littéraire…
Le baiser peut-être, paru en septembre dernier aux éditions Arléa, a déjà vu le jour pour la première fois aux regrettées éditions Alma, en 2011. Il s’agit donc d’une édition revue et corrigée par l’autrice.
La charpente du livre n’a pas beaucoup changé par rapport à la première édition : dédié « À Philippe », s’ouvre toujours par cette épigraphe empruntée à Novalis : « À qui déplairait une philosophie dont le germe est un premier baiser ? »
Phrase ou plutôt interrogation aussi pertinente que poignante, puisqu’elle met le baiser, sujet singulier de ce livre, au cœur de la philosophie et, par voie de conséquence, de la vie.
Parmi les changements, nous relevons l’ajout d’un nouveau chapitre, « Mille et cent », trois somptueuses pages où Belinda Cannone – qui réfléchit à la manière d’une philosophe des Lumières, notamment Diderot, ou à l’un des héritiers de cette inépuisable et actuelle tradition, nous pensons entre autres à Vivant Denon, auteur de référence dans Le baiser peut-être –, écrit avec la maestria qui caractérise son œuvre : « Il faudrait qu’à mon tour je réfléchisse à mon premier baiser. Hélas, je n’ai pas la mémoire des souvenirs. Mais la question de premier baiser a éveillé en moi une rêverie quantitative : si tout phénomène est nombre (comme le prétendent mes pseudo-cousins mathématiciens), quel est celui du baiser ? La question s’est sans doute imposée parce que j’en connaissais la réponse. Toute la littérature depuis l’Antiquité atteste que ce nombre est… mille. Si je termine parfois mes lettres par “Mille baisers”, n’est-ce pas qu’une longue tradition, à mon insu, m’y incite ? Car le baiser se dispense par milliers, et si l’embrasseur, parfois, descend à cent, c’est pour mieux relancer les mille. […] »
Le baiser certainement
S’en suivent de très beaux exemples… Et cette chute, magistrale, que nous ne pouvons pas ne pas vous offrir, en guise de cadeau à la fois de fin et de début d’année, parce qu’elle prouve que le textuel est tout aussi vivant que le sexuel : « Donc, si je récapitule : baiser, substantif ; embrasser, verbe ; délicieux, adjectif ; embrasseur, agent ; mille, numéral. »
Avec cela, l’auteure nous invite à nous interroger et à rêver, ensemble, les deux et peut-être tous à la fois. C’est l’une des particularités de son œuvre de pensée et de fiction, où l’acte de penser, d’écrire et de vivre se passe en même temps. Sans doute est-ce la raison qui fait d’elle un écrivain engagé à sa manière alternant chroniques journalistiques, ateliers d’écriture et jurys de cinéma, de musique et de littérature. D’ailleurs, dans sa bibliographie, elle cite livres (poésie, fiction et philosophie), œuvres plastiques, films, sans oublier cette substantielle « brève bibliographie autour du baiser ».
Le baiser peut-être est riche à l’image du baiser lui-même, et chacun des dix-neuf chapitres du présent volume viennent – à la manière des galets semés par le Petit-Poucet du conte de Charles Perrault, qui pourrait également être identifié au Rimbaud de « Ma Bohème » égrenant des rimes –, construire une nouvelle part de notre imaginaire autour de ce que certains considèrent encore, dans certains pays, comme un interdit…
Voilà un regret de plus que Belinda Cannone pourrait ajouter à ses « Six regrets »…
Mais dépassons les regrets et attelons-nous à la célébration en lisant et en relisant Le baiser peut-être, question de nous éveiller les sens et de considérer Belinda Cannone comme une nouvelle Shéhérazade qui nous invite à vivre infiniment et dangereusement les aventures des mille et un baisers.
Le baiser peut-être, Paris, Arléa, collection « Arléa-Poche », n°277, paru en septembre 2022, 168 pages, 9 €, ISBN : 9782363083128.