Noureddine Kridis : Un parcours entre philosophie, psychologie et création littéraire
Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen
Né à Sfax le 12 mars 1955, Noureddine Kridis est philosophe et psychologue de formation. Après des études à Tunis, il part à Lille (France) où il soutient, en 1981, une thèse de doctorat de troisième cycle en sciences de l’éducation sous la direction de Françoise Mayeur, puis, en 2004, sous la direction de Claude Lemoine, il soutient un doctorat d’État ès lettres (spécialité : Psychologie) ayant pour titre : Création, interaction et information sur soi. Étude des liens créateurs.
Auteur de nombreux ouvrages, dont, en 1984, Communication et éducation, à partir de Lewis Carroll, Adolescence et identité, (Sous la dir), en 1990, Le paradis perdu (en arabe), en 1991, Vitamines de sens, en 1992, Communication est systémique, en 1999, Le comportement agressif , (Traduction), en 2001, Communication et famille, (Sous la dir), en 2002, Communication et entreprise : les hommes, les machines, l’environnement, (Sous la dir), en 2003, 24 Leçons en communication (français-arabe), en 2006, Communication et innovation, (Sous la dir), en 2008, Psychologie du travail et développement des personnes et des organisations, (Sous la dir), en 2008, Psychologie de l’artiste créateur, en 2010, Penser la révolution , en 2011, Art et clinique en 2012, L’imposture en 2014, il écrit également en arabe. À ce titre, ont paru deux œuvres de fiction, en 2018, aux éditions Nous, Le Départ, roman, et Le Premier avion pour Tunis, nouvelles. A paru en arabe, en mars 2024, Écrits, dans le cadre de la collection de la Chaire de l’ICESCO pour le vivre-ensemble, dirigée par le Professeur Fathi Triki.
A.H : Vous semblez pouvoir passer naturellement du français à l’arabe et de l’écriture scientifique à celle de création. Pourriez-vous nous expliquer votre démarche ?
Noureddine Kridis : Oui, l’arabe et le français sont mes deux langues apprises ; le dialecte tunisien, ma langue maternelle, est la langue de tous les jours, de la vie, et du quotidien. Les pensées sont d’abord des mots. J’ai toujours adopté les positions de Ludwig Wittgenstein, en l’occurrence que les jeux de langage décident de nos pensées. Un mot vient à votre esprit et il ramène toute une constellation de mots, laquelle nourrit une position plutôt qu’une autre. Une langue est une weltanschauung, c’est-à-dire une vision du monde. Donc, écrire dans une langue n’est pas une question linguistique. C’est la raison pour laquelle la seule et véritable expérience d’un créateur c’est celle qui l’opposera à sa langue. Beaucoup y laisseront leur peau. Très peu survivront avec cette merveilleuse éventualité : ils auront inventé leur propre code dans une langue. Pour moi, dès le début, quand j’étais plus jeune, la littérature est venue à moi dans la langue arabe. Alors que la recherche scientifique, avec les études universitaires, s’est faite dans la langue française. Avec l’âge, j’ai compris les raisons de ce destin linguistique, qui est commun à une culture d’époque, et à plusieurs générations. Aujourd’hui, J’ai du plaisir à laisser venir les mots qui me disent, ils viennent aujourd’hui dans ma langue intérieure. Je me comprends. Je ne décide de rien. Les textes scientifiques ont un public spécifique avec des attentes et des critères précis. Les textes littéraires aussi. Les deux aspirent à l’universel, et à la rencontre d’autres cerveaux capables de recevoir et de s’émouvoir. Finalement, la question de la langue nous dépasse. Nous avons l’impression de tout maitriser, mais comme le disait un des personnages de Lewis Carroll, Humpty Dumty, nous n’en sommes pas les maitres. Aujourd’hui, je retiens l’ultime message de Tawfik Baccar « Prenez soin de la langue arabe », un psychologue comme Mustapha Hijazi, qui vient de nous quitter, écrivait ses textes dans la langue arabe, après avoir traduit brillamment le « vocabulaire technique et critique de la psychanalyse » de Laplanche et Pontalis. Écrits est un exercice d’écriture dont le but est de décrire d’une façon claire et accessible nos problèmes d’aujourd’hui, et des esquisses de solution, se basant sur un parti pris : le savoir au service de l’individu et de la société.
A.H : Écrits se présente sous la forme de vingt-trois textes entre études de fond et rencontres (avec Chawki Ben Hassen et Boutheina Ghribi), recouvrant une période de 45 ans, de 1978 à 2023, pourquoi cet ouvrage aujourd’hui
Noureddine Kridis : Oui, j’ai commencé à écrire les premiers textes de ce livre en 1978, mais sans savoir qu’ils étaient déjà des parties d’un livre qui va paraitre en 2024. Écrits est devenu un livre « après coup », ce sont ses éléments, qui en s’agençant les uns par rapport aux autres, au fil des jours et des années, deviennent un ensemble cohérent. C’est un peu mon « fil d’Ariane » qui m’a conduit sans trop le savoir, là où je suis aujourd’hui et m’a fait prendre conscience que je me suis toujours occupé des mêmes questions, à savoir comment se construire ? Comment créer et se dépasser ? Qu’est ce qui nous lie ? Le langage ? La culture ? Qu’est-ce qu’éduquer ? Communiquer ? Les deux entretiens qui figurent parmi les derniers textes du livre sont un peu comme des moments de retour sur ce trajet d’une quarantaine d’années et donc constituent une réflexion sur ce parcours et sur soi. L’entretien que vous avez la gentillesse de m’accorder pourrait ainsi être envisagé comme une continuation de cette position auto-analytique guidée par vos questions.
Ainsi que vous l’avez signalé, ce livre, vieux de quelques quarante-cinq années (premier texte écrit en 1978), et jeune de quelques mois (parution au mois de mars 2024), pourrait être le témoin de mon parcours de jeune étudiant, de chercheur et d’enseignant universitaire. Il rassemble des textes dispersés et renvoie d’une façon indirecte à mes travaux, dans le temps et l’espace, mais d’une façon simple et accessible. J’espère qu’il donnera du plaisir au lecteur et lui proposera des informations et des connaissances qui l’aideront à construire ses propres solutions face aux problèmes parfois inédits d’aujourd’hui, le Covid 19 par exemple ou l’usage des smartphones par les enfants…Le fait qu’il soit publié aujourd’hui est en rapport avec l’hypothèse modeste de son utilité et de son actualité.
Ce livre renvoie aussi à mon parcours de chercheur. Celui-ci pourrait être balisé par deux moments ou deux étapes et un concept. Le concept est « la communication ». Les deux étapes sont les deux thèses. Sans qu’il rende compte de mes travaux d’une façon directe, Écrits reprend le même fil d’Ariane. Ce « fil d’Ariane » est le concept de « la communication ». Tout d’abord dans une thèse de Doctorat de 3ème cycle soutenue en 1981 à l’Université de Lille 3, en France. Cette thèse est depuis consignée dans un ouvrage intitulé Communication et Éducation, publié en France chez Arcantère avec le concours du Centre National des Lettres. C’est une thèse en Sciences de l’Éducation. Pourquoi les Sciences de l’Éducation ? D’ailleurs, plusieurs textes dans Écrits renvoient directement au champ des Sciences de l’Éducation, sur l’orientation, le jeu ou l’école entre autres…
Les Sciences de l’Éducation à la fin des années 1970 représentaient l’espoir des sciences anthropo-sociales de décloisonner les savoirs et de construire une véritable interdisciplinarité et même une transdisciplinarité. Aujourd’hui, un demi-siècle plus tard, les sciences de l’éducation ne portent plus que faiblement cette espérance, même si des scientifiques comme J. L. Lemoigne continuent à la défendre et à la nourrir. Les Sciences de l’éducation connaissent au contraire un développement techniciste et didactique.
Mais à la fin des années 1970, ce qui justifiait mon choix pour les sciences de l’éducation, c’était la communication des savoirs sur l’homme et la proposition d’un nouveau modèle de la connaissance : un modèle constructiviste et systémique.
Dans cette thèse, j’ai produit une analyse de la communication inter-individuelle d’un point de vue linguistique et psychologique. Je me suis posé la question épistémique de sa possibilité au préalable. En prenant comme corpus, l’œuvre d’un auteur pour enfant, célèbre par son « Alice au pays des merveilles », Lewis Carroll, bien repris par les psychologues et psychanalystes, notamment, Lacan, Bowlby, Anzieu, Zazzo, Wallon, autour de la notion du « stade du miroir ».
En appliquant une technique d’analyse thématique, j’ai montré que communiquer exige une remise en question de la notion de « sujet », perçu comme coupé du monde. Sur le plan de la mise en fonction d’une langue, de l’acquisition du langage, mais aussi sur le plan de l’éducation, le récepteur est intégré dans le message, l’interlocuteur dans la construction du discours et l’élève dans le l’acte éducatif. Si je devais dégager un résultat de ce travail je dirais que pour un sujet, plus il est capable de se remettre en question, plus il est compétent dans la communication. La communication avant d’être une mise en commun, est une mise en phase et une redéfinition du statut du sujet et de sa position dans son contexte. La communication est co-construction et co-création.
La deuxième étape correspond à la recherche menée dans le cadre d’une thèse de Doctorat d’État de Psychologie, nous avons eu l’occasion de vérifier que la création est doublement fonction de la communication : communication avec soi et communication avec autrui. Le concept de la communication reste par conséquent central.
Une question est à l’origine de ce travail et l’a animée en le traversant de bout en bout : par quels processus devient-on créateur ? Il faut que je vous avoue qu’il s’agit d’une question qui m’a toujours préoccupée, depuis les premières années de ma jeunesse, un peu comme le daïmon dont parlaient les Grecs. Le lecteur trouvera quelques pistes dans Écrits avec une analyse de la poésie de Aboul Kacem Chebbi par exemple…
A.H : Malgré le succès de la série Choufli hal (Trouve-moi une solution), mettant en vedette un psychothérapeute, les domaines de la psychiatrie, de la psychologie et de la psychanalyse semblent toujours battre de l’aile dans notre pays. Pourquoi cette résistance, alors que beaucoup de problèmes sociaux y sont dus ou s’y rapportent
Noureddine Kridis : La psychologie connaît de plus en plus de rayonnement…et de plus en plus de demandes… Et je pense que le titre de cette série que vous évoquez est une belle trouvaille. Ce titre est une sorte de message social adressé aux psys d’une façon générale (Psychiatre, psychologue, psychothérapeute). Signalons en passant que ces corps de métiers nécessitent une longue formation et sont protégés sur le plan professionnel. Cela veut dire que la société s’attend à ce que la psychologie avec ses outils et son approche apporte des éclairages scientifiques sur les problèmes qui se posent et que nous avons et qu’elle peut apporter par conséquent des solutions. Selon un de mes maitres, Donald Winnicott, « un symptôme ça se respecte », il ne faut pas chercher à le réduire, il faut le comprendre. Les symptômes aujourd’hui sont sur le plan social la Harga, la Hogra, le féminicide, la violence dans les stades, sur les routes, le suicide, le décrochage scolaire, le Jihadisme, les clivages socio-économiques, politiques et idéologiques, l’alcoolisme, la prostitution…Nous pensons que nos problèmes peuvent recevoir des réponses et des solutions. Face à la « société du trouble mental » selon l’expression d’Elliot, le psychologue propose des outils de réponse. Mais il est indispensable de souligner les caractéristiques de la posture du psychologue dans la recherche des solutions. La psychologie est une science non normative, c’est à-dire- qu’elle ne sait pas ce qui est Le Bien. Mais elle peut aider une personne ou un groupe de personnes à trouver ce qui est bien pour elle ou pour lui. Cette posture, est aussi non pathologisante, car toutes les maladies sont in fine des outils de réponses à la société. Il n’y a rien d’anormal d’avoir des troubles mentaux. D’ailleurs aujourd’hui, on parle plus de spectre autistique que d’autisme, de spectre bipolaire que de dépression…Je ne parle pas d’autres domaines où le psychologue intervient avec succès dans le milieu du travail, du sport, de l’éducation… Écrits s’inscrit dans cette volonté de proposer des solutions et des aides à trouver des solutions. Les personnes aujourd’hui sont abandonnées à leur sort, avec la perte des repères collectifs et des régulateurs sociaux. Plus que jamais, le psychologue est appelé à remplir une de ses missions : aider, conseiller, guérir…en utilisant des méthodes scientifiques et en s’ancrant dans une approche humaniste.
A.H : Dionys Mascolo, qui était si proche de Marguerite Duras, de Robert Antelme et d’Edgar Morin, écrit : « Sont également de gauche en effet ― peuvent être dits et sont dits également de gauche des hommes qui n’ont rien en commun : aucun goût, sentiment, idée, exigence, refus, attirance ou répulsion, habitude ou parti pris… Ils ont cependant en commun d’être de gauche, sans doute possible, et sans avoir rien en commun. On se plaint quelquefois que la gauche soit « déchirée ». Il est dans la nature de la gauche d’être déchirée. Cela n’est nullement vrai de la droite, malgré ce qu’une logique trop naïve donnerait à penser. C’est que la droite est faite d’acceptation, et que l’acceptation est toujours l’acceptation de ce qui est, l’état des choses, tandis que la gauche est faite de refus, et que tout refus, par définition, manque de cette assise irremplaçable et merveilleuse (qui peut même apparaître proprement miraculeuse aux yeux d’un certain type d’homme, le penseur, pour peu qu’il soit favorisé de la fatigue): l’évidence et la fermeté de ce qui est. »
En partant de cette thèse, seriez-vous un homme résolument de gauche ? Si oui, en quoi cela consiste-t-il exactement ?
Noureddine Kridis : Je suis de gauche de cœur. Je suis socialiste à l’ancienne. Depuis, j’ai mis beaucoup d’eau dans mon vin. Je crois en l’homme et sa capacité de résilience, mais je crois dans sa force à produire de la richesse et à en profiter. J’ai appris à apprécier Raymond Aron alors que Louis Althusser était à la mode. J’ai vécu les événements les plus déconcertants pour un homme de gauche : la chute du mur de Berlin, la place de Tian men … Mais Lula, le président brésilien, continue à montrer pour moi que la gestion d’un pays gagne à être dans le social.
Aujourd’hui, je suis préoccupé par des questions qui dépassent à vrai dire le clivage gauche-droite. C’est le destin de la planète Terre qui devrait nous interroger tous. Comment offrir une vision générale des relations entre les humains et leur environnement naturel dans une époque où le changement climatique devient une problématique très urgente. Comment contribuer à la promotion de comportements inscrits dans une dynamique de développement durable. Quels sont les enjeux du changement climatique ? Quelles influences psychologiques déterminent les comportements environnementaux ? Comment la psychologie peut-elle être utile pour encourager les hommes à adopter et à garder un mode de vie durable ?
Les populations humaines font partie de cette vaste couche périphérique de la planète Terre appelée « biosphère ». Nous avons appris, depuis le XXème siècle, qu’elle est limitée, qu’elle évolue et que nous sommes devenus des acteurs majeurs de son évolution. Face aux transformations de cette biosphère (climat, biodiversité, etc.), il devient important d’avoir une représentation adaptée de la situation pour pouvoir agir.
Cette activité humaine inédite, consommatrice d’environnements et d’individus, a plongé l’humanité dans une crise écologique sans précédent. Dès lors que nous dit la façon dont nous traitons l’environnement de notre manière de traiter les autres et, par extension, du traitement que nous réservons à nous-mêmes à l’ère de la marchandisation et de la numérisation des rapports humains ? Il y a une urgence de penser la crise écologique, en commençant par faire un état des lieux du problème écologique et de ses implications sur le plan psychologique à travers trois dimensions : les effets de cette crise sur la psyché, les effets destructeurs des conduites humaines, mais aussi l’écologie des liens et la pathologie du lien homme-environnement.
Il est important de montrer les relations entre le développement d’une compétence pro-environnementale, en harmonie avec la nature et le « vivre ensemble ». Celle-ci est en lien avec l’offre d’une éducation ouverte et prosociale génératrice d’un sentiment de « responsabilité » et d’interdépendance « écosystémique ». Voilà à vrai dire le fond de ma pensée, ni gauche, ni droite mais résolument éco-systémique.
A.H : Le monde, déjà ténébreux, s’est sauvagement obscurci depuis le 7 octobre 2023. Le monde dit « civilisé » a l’air de sombrer dans la barbarie et l’injustice car ceux-là qui soutiennent l’Ukraine contre Vladimir Poutine soutiennent Benjamin Netanyahou contre la Palestine et le Liban. Outre le deux poids deux mesures, il y a un véritable problème politique et éthique. Comment le psychologue aborde-t-il cette actualité brûlante ? De quels outils disposons-nous pour y faire face ?
Noureddine Kridis : Toute psychologie est humaniste. Face à l’horreur de la guerre et de la violence, les psychologues font partie des corps de métier qui réparent des traumatismes et redonnent de l’espoir. Ils se rangent du côté de la vie et de l’espoir. Personnellement, je me confronte à cette double contrainte. Comment l’occident, porteur de la modernité et initiateur des lumières montre un autre visage, égoïste et centré sur ses intérêts et balayant toutes les valeurs universelles de justice et d’égalité ? L’hypercapitalisme en fin de compte n’a pas de visage humain ni de valeurs universelles. La résistance fait partie d’une forme de résilience. Il faut continuer à dénoncer l’injustice, la discrimination, la violence gratuite, avec ses moyens, tous les jours. Un livre, un film, une chanson peuvent faire basculer une situation et faire tomber un régime injuste et violent. Les causes justes finissent toujours par gagner.
A.H : Si vous deviez tout recommencer, quels choix feriez-vous ? Si vous deviez vous incarner ou vous réincarner en un mot, en un arbre, en un animal, lequel seriez-vous à chaque fois ? Enfin, si un seul de vos textes devait être traduit dans d’autres langues, en arabe par exemple, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?
Noureddine Kridis : Si je devais tout recommencer, j’ajouterai simplement plus d’activités physiques et sportives, Équitation, escrime…et plus de pratiques d’instruments musicaux, violon, luth..
Si je devais me réincarner, mon mot serait gratitude, mon arbre serait un olivier, mon animal serait un gorille…
Art et clinique est le livre que je souhaite voir un jour traduit en arabe. J’y ai exposé une méthode et un modèle qui pourraient intriguer et être sujets à discussion. En tant qu’expérience intérieure et individuelle hautement authentique, l’expérience créatrice est aussi inter-expérience, inter-subjectivité. La notion de lien est au cœur de l’expérience créatrice. Le contexte le plus pertinent pour approcher l’identité créatrice est celui de l’intersubjectivité et de l’interaction sociale. Si l’expérience créatrice est souvent un arrachement à des liens négatifs et destructifs, elle ne manque pas de s’adresser aux autres. Non seulement découvert, mais souvent repris, amplifié, transformant de l’intérieur les personnes.
Cependant, si la création est en rapport avec le lien social, elle ne l’est pas dans le sens de l’acceptation de l’autre et du lien sans conditions. Tout au contraire, la création, par ses exigences de renouvellement et de commencement, est une remise en question des liens du présent et du passé. La création est d’abord une création de liens. Le travail de la création se situant entre le champ de la névrose et celui de la psychose, assouplissement des liens du premier et côtoiement sur un fil rouge du second
Au commencement de l’activité créatrice, il y a un environnement, source de perturbation et de déséquilibre pour le sujet. De ce point de vue, un environnement perturbateur serait caractérisé par des liens déficitaires ou défaillants. La création se définit alors comme « une équilibration majorante » Pour que cet environnement soit favorable à la création, notre hypothèse consiste à dire qu’il faut qu’il offre simultanément ou consécutivement des liens de compensation. Du côté du sujet acteur, la phase du « retour sur soi » caractérisée par une intense activité mentale, et un vécu émotionnel et affectif très fort, aussi bien que la phase patiente et lente de l’accomplissement de l’œuvre constituent les événements et contextes se trouvant à la base du processus créateur.
En conclusion, le paradigme communicationnel, construit autour des notions de communication, d’interaction, de lien, de système, permet de rendre compte de l’expérience créatrice comme une capacité de méta-communication, c’est-à-dire une capacité de recadrage et de distanciation. Créer c’est pouvoir élaborer de nouvelles règles, un nouveau jeu. Dans Écrits, mon dernier livre, y figurent quelques idées d’Art et Clinique. Voilà, la boucle est bouclée…