Coup de coeur

Le Cahier Rouge

Le Cahier Rouge des plus belles lettres de la langue française

Ou la preuve par les correspondances

Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen

Le Cahier Rouge des plus belles lettres de la langue française

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Ce n’est pas une nouveauté. Le livre a vu le jour en 2017 et, à mon collègue hispanisant, Walid Majouri, qui m’a demandé combien de fois je l’ai lu, j’ai souri en guise de réponse. C’est passé comme une lettre à la poste, puisque le lecteur de Cervantès dans le texte a tout compris.

Bref, le livre en question a vu le jour il y a plus de cinq ans et je l’ai lu autant de fois que j’ai consulté certains manuels scolaires, si bien que, dans ma bibliothèque, anthologie réalisée et préfacée par Arthur Chevallier, a depuis longtemps sa Le Cahier Rouge des plus belles lettres de la langue française, place parmi les usuels et autres ouvrages de référence, qui vont des anthologies littéraires et autres recueils de textes aux grammaires, dictionnaires et bons usages de la langue, en passant par les ouvrages collectifs.

Mais, ce volume a un charme spécial. L’anthologiste, Arthur Chevallier, rompu à cet exercice, avec entres autres des recueils dédiés à Napoléon, au château de Versailles ou au journal intime, réussit à nous convaincre de la pertinence de ses choix dès son texte liminaire, intitulé « L’abolition du genre littéraire ». Nous avons en effet cinq pages qui forcent l’admiration, non seulement parce que l’anthologiste maîtrise son propos, mais surtout parce qu’il y met de l’impertinence, qualité désormais aussi rare que fondamentale :

Un jeune homme quitte le rang, traverse l’esplanade, monte les escaliers du monument, se poste à équidistance des six colonnes, déplie un papier, prend la parole : “À partir d’aujourd’hui, le genre épistolaire n’est plus un sujet. Notre mouvement postule que les livres méritent d’être confondus avec leurs auteurs. Ainsi doit-il en aller des poèmes, des romans et donc des lettres. Il n’y a pas de vie des écrivains et d’œuvres des écrivains. Il y a des écrivains. D’eux découle la littérature. Nous déclarons solennellement aux agents de la force publique, policiers, gendarmes et militaires, que nous ne quitterons pas cette place avant d’avoir reçu un acte formel de la part :

  1. Du ministre de l’Éducation nationale. Il doit mentionner la suppression du genre épistolaire dans les programmes du secondaire et de l’université.
  2. Du président de la République. Puisqu’il prétend être jeune, qu’il le prouve en mentionnant, dans une lettre signée de sa main, son soutien et son amitié à notre mouvement.” » (pp. 7-8)

Lettres, textes et contextes

Paru en novembre 2017, soit six mois après l’avènement d’Emmanuel Macron au pouvoir, ce propos est à prendre au sérieux. Et, dans la foulée, Arthur Chevallier d’invoquer Voltaire. Nous pensons tout de go que c’est par leur foudroyante impertinence que des œuvres telles que Les Lettres anglaises, Le Dictionnaire philosophique, Traité sur la tolérance, Candide ou Zadig existent, encore et toujours, au point de nous paraître plus actuelles et par là même plus vivantes que la majeure partie des publications de nos contemporains.

À ce propos, la lettre la plus récente recueillie par Arthur Chevallier est du lycéen Jacques Baudry, adressée à ses parents, en date du 8 février 1943, qui, comme quatre de ses condisciples, sera « exécuté par les Allemands pour actes de résistance. » (p. 242)

C’est la dernière lettre qui vient clôturer le volume et le chapitre intitulé « Lettres d’adieu », lequel est précédé par sept autres, respectivement « Lettres d’amour », « Lettres d’éloges », « Lettres de rupture », « Lettres politiques », « Lettres de guerre », « Lettres sur l’art » et « Lettres sur la mort ». Cent cinquante lettres et soixante-neuf auteurs qui – « d’écrivains et de monarques, de simples soldats et d’anonymes, d’hommes et de femmes », comme le précise l’éditeur, Grasset, sur son site et sur la quatrième de couverture du livre –, nous permettent d’embrasser de la plus belle des manières un héritage culturel, historique, littéraire et civilisationnel qui s’avère de plus en plus riche, inépuisable.

Horizons épistolaires

Bien sûr, il est possible de reprocher à l’anthologiste tel ou tel choix. Nous pouvons même nous hasarder à lui proposer des textes récents car il y en a. Mais à quoi bon ? Cela réussira-t-il a foudroyer les SMS, du moins à y mettre plus de style, d’art et d’intelligente impertinence ? – Pas sûr, vraiment pas. Cela dit, l’un des derniers textes publiés par Cioran, dans la Nouvelle Revue Française, en octobre 1993, soit deux ans avant sa mort, s’intitule « Manie épistolaire » et peut être considéré comme une « lettre sur les lettres », avec cette langue virtuose qui est la sienne :

« La lettre comme genre est menacée, car ce sont elles [les femmes] qui y excellaient. On n’imagine pas aujourd’hui une Madame du Deffand, sinon la plus grande, assurément la plus profonde des épistolières. Aveugle et insomniaque, elle dictait à son secrétaire tard dans la nuit ses missives, dont les principaux destinataires furent Voltaire et Walpole. On n’a jamais rien dit de plus aigu sur la plus dévastatrice des expériences : celle de l’ennui, privilège juste­ment de ceux qui disposent de tout leur temps. S’ennuyer est beaucoup plus torturant que peiner, fût-ce au fond d’une mine, s’ennuyer c’est enregistrer la nullité de chaque instant avec la certitude que le suivant sera plus nul encore.

La lettre, conversation avec un absent, représente un évé­nement majeur de la solitude. Cherchez la vérité sur un auteur plutôt dans sa correspondance que dans son œuvre. L’œuvre est le plus souvent un masque. Un Nietzsche, dans ses livres, joue un rôle, s’érige en juge et en prophète, attaque amis et ennemis, et se place, superbement, au centre de l’avenir. Dans ses lettres, en échange, il se plaint, il est misérable, abandonné, malade, pauvre type, le contraire de ce qu’il était dans ses impitoyables diagnostics et vaticinations, véritable somme de diatribes. »

Sans doute ces lignes parleront-elles à Arthur Chevallier. Il y a en effet de quoi s’appuyer pour réfléchir sur le genre épistolaire qui, à travers un volume tel que celui-ci, Le Cahier Rouge des plus belles lettres de la langue française, se trouve regénéré parce qu’il n’ y a pas d’avenir sans passé. Autrement dit, même les SMS, tweets ou autres objets langagiers non identifiés n’ont pas d’avenir sans leurs valeureuses aînées, les lettres qui sont, d’après Arthur Chevallier, à propos de Céline ou de n’importe quel autre écrivain, « irréfutables, elles rappellent, parfois pour le pire, que la littérature est indissociable des écrivains, de leurs vies. » (p. 11)

Le Cahier Rouge des plus belles lettres de la langue française, anthologie réalisée et préfacée par Arthur Chevallier, Paris, Bernard Grasset, 251 p., 9.90 €, ISBN : 9782246812456.

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Magazine d'art et de culture. Une invitation à vivre l'art. Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.

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