L’humour intelligent de Tanguy Pastureau
L’humour intelligent de Tanguy Pastureau
Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen
D’une lignée…
Quelqu’un a-t-il jamais vu Éric Zemmour se tordre de rire ? Oui, cela est arrivé à plusieurs reprises : tous les mercredis, non pas grâce à son compère Naulleau , mais plutôt à l’humour de Tanguy Pastureau. En effet, sur Paris première ou récemment sur France Inter, Tanguy Pastureau, de son propre aveu, « maltraite l’info », dans La Bande Originale, tous les midis.
C’est d’autant plus prodigieux que le nouveau spectacle de l’humoriste porte le titre éloquent Tanguy Pastureau n’est pas célèbre. Cette mise en avant de soi par son nom est à considérer d’emblée comme un contrat entre l’humoriste et son public. Irrévérencieux, Tanguy Pastureau l’est d’abord à l’égard de lui-même, puis de tous. Son humour décalé est celui d’une voix corrosive, qui ne révère rien et se rit de tout. Au vitriol ou imbibée dedans, la plume de Tanguy Pastureau est digne d’un Voltaire, d’un Rivarol ou d’un Cioran. Et c’est pour cette raison, littéraire, qu’il nous intéresse.
Rire intelligemment
Filmé au Théâtre de La Renaissance, dans le 10e arrondissement de Paris, présenté par Corinne Tong-Tchaï, réalisé par Didier Fraisse et diffusé en direct lundi 12 décembre 2022 à 21h sur Paris Première, Tanguy Pastureau n’est pas célèbre (134 minutes) est confondant de rire. S’il est impossible de ne pas succomber devant le brio de l’humoriste, il est rare de ne pas marquer un certain temps d’arrêt pour, non pas ruminer ou ressasser ou que sais-je encore, mais tout simplement réfléchir. Tanguy Pastureau, par le média qu’il nous propose, à l’instar de ses aînés susmentionnés, nous apprend à rire intelligemment. Nous sommes de fait loin des shows, talk-shows et autres vilénies contemporaines où « la déconne » prend le dessus sur l’intelligence.
À ce titre, l’un des plus grands moralistes du XXe siècle, Cioran, a raison d’écrire : « La seule chose qui élève l’homme au-dessus de l’animal est la parole ; et c’est elle aussi qui le met souvent au-dessous. »
Partant de ce constat, nous pouvons mettre nos pas dans ceux de Tanguy Pastureau et réfléchir sérieusement sur la question de la célébrité. Nous pouvons bien sûr invoquer Chamfort qui écrit : « La célébrité est le châtiment du mérite et la punition du talent. Le mien, quel qu’il soit, ne me paraît qu’un délateur, né pour troubler mon repos. J’éprouve, en le détruisant, la joie de triompher d’un ennemi. Le sentiment a triomphé chez moi de l’amour-propre même, et la vanité littéraire a péri dans la destruction de l’intérêt que je prenais aux hommes. »
C’est dans tous les cas bon à savoir, question de ne pas être dupe…
L’intelligence
Le travail sur scène de Tanguy Pastureau est subtil. Sous de faux airs de naturel, tout ― à regarder de plus près ― nous paraît savamment orchestré : du choix des illustrations cachées derrière le divan, au verre d’eau parisien, en passant par le divan lui-même. Il y a un réel travail de scénographie qui donne à la parole de l’humoriste une valeur dramatique réelle, allant jusqu’à la décupler. Au brio de la parole, donc, s’ajoute la maestria de la mise en scène. C’est fort, C’est puissant même et nous nous en lassons pas. Bien sûr, certains esprits retors peuvent s’en prendre à l’intelligence qu’ils cherchent à vilipender par tous les moyens. Encore une fois, citer Chamfort : « La grande portion du genre humain reste comme abandonnée, sous la main de ceux qui sauront s’en servir pour la gouverner ; elle ne reçoit que la portion d’intelligence nécessaire pour obéir à ses maîtres. »
Qu’est-ce à dire ? Chacun se fera son opinion en ce monde où les opinions, notamment à l’emporte-pièce, font florès. À tort, bien sûr… Et Tanguy Pastureau de nous réveiller par l’intelligence qui est la sienne.
