Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie…

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Tag mural de Mahmoud Darwich au centre-ville de Tunis - Photo : Emna Mizouni / Wikimédia

L’ouvrage Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie réunit dix-sept auteurs pour un hommage littéraire engagé en faveur de la Palestine, inspiré du poème de Mahmoud Darwich.

Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : 17 écrivains pour la Palestine

Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen

 Ils s’appellent Doha al-Kahlout, Joseph Andras, Aurélien Bellanger, Patrick Chamoiseau, Alain Damasio, Nour Elassy, Yara El-Ghadban, Annie Ernaux, Brigitte Giraud, Jadd Hilal, Karim Kattan, Marylis de Kerangal, J.M.G. Le Clézio, Édouard Louis et Nan Goldin, Sylvain Prudhomme, Atiq Rahimi et Éric Vuillard.

Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : 17 écrivains pour la Palestine

Dix-sept contributions d’écrivains français, palestiniens et franco-palestiniens pour dire haut et fort l’indignation et la révolte, légitime, qu’elle inspire face à la tragédie vécue par le peuple palestinien. Réunis par Vassili Sztil, qui a rejoint les Éditions du Seuil en 2021 comme assistant éditorial et qui s’occupe, entre autres, de la collection Libelle, ces textes sont placés sous l’égide du grand poète palestinien Mahmoud Darwich dont le poème, « Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie », extrait du recueil écrit à Paris, en 1985, et publié à Beyrouth l’année suivante, Moins de roses, est traduit en français par Elias Sanbar dans La terre nous est étroite et autres poèmes (1966-1999), paru dans la collection « Poésie/ Gallimard » en 2000.

Sur cette terre

Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : l’hésitation d’avril, l’odeur du pain à l’aube, les opinions d’une femme sur les hommes, les écrits d’Eschyle, le commencement de l’amour, l’herbe sur une pierre, des mères debout sur un filet de flûte et la peur qu’inspire le souvenir aux conquérants.

Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : la fin de septembre, une femme qui sort de la quarantaine, mûre de tous ses abricots, l’heure de soleil en prison, des nuages qui imitent une volée de créatures, les acclamations d’un peuple pour ceux qui montent, souriants, vers leur mort et la peur qu’inspirent les chansons aux tyrans.

Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : sur cette terre, se tient la maîtresse de la terre, mère des préludes et des épilogues. On l’appelait Palestine. On l’appelle désormais Palestine. Ma Dame, je mérite la vie, car tu es ma Dame.

Ce poème liminaire donne le ton à ce volume dont la diversité des voix et des expériences d’écriture scelle une forme d’unité, celle des dix-sept auteurs ici réunis pour dire ce que le prix Nobel de littérature 2008, J.M.G. Le Clézio appelle : « un massacre » (p. 173) contre un peuple innocent et désarmé par ce qu’il appelle courageusement « l’État israélien, dirigé par une équipe de va-t-en-guerre jusqu’au-boutistes, aveugles et sourds à toute compassion humaine, décidés à pratiquer la loi du talion et bien au-delà, pour un œil, les deux yeux et même la tête, pour une dent toute la mâchoire et même le corps ». (p. 172)

Ainsi, au moment où le colloque consacré à la relation entre la Palestine et l’Europe, qui devait se tenir au Collège de France les 13 et 14 novembre 2025, est annulé, le volume Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie s’avère être aussi nécessaire que substantiel. Le courage des dix-sept participants est à mettre en valeur et celui de l’éditeur, le Seuil, ainsi que celui de son maître d’œuvre, Vassili Sztil, notamment parce que « les droits d’auteur sont reversés à Médecins du Monde ».

Courage et générosité, pour ne pas céder, pour ne pas se taire, pour, comme le défend encore et toujours Patrick Chamoiseau, « Crier encore » et « produire ensemble une symphonie qui conjure les enclaves nationales, religieuses, machistes, patriarcales, technicistes ou raciste. Un hymne dans lesquelles peuples se valent déjà, s’accomplissent mutuellement, châtient les crimes, désarment les monstres, accèdent aux berges relationnelles de la mondialité. Crier encore. » (p. 46)

Les mots du prix Goncourt 1992, sensibles et intelligents, lucides et courageux, expriment notre désir commun, voire notre volonté de mettre fin à ce que, déjà il y a une vingtaine d’années, Bernard Noël appelait « le permis de chasse » : « Il n’y a pas une grande différence entre un bon chasseur et un bon tueur, sauf que le premier est muni d’un permis qui légalise ses actes tandis que le second peut toujours être désavoué par ceux-là même qui l’incitent à tuer. Il serait dans l’intérêt d’Israël, dont l’économie souffre de ses dépenses guerrières, d’organiser des battues d’activistes avec dégâts collatéraux mis secrètement aux enchères. Cela pourrait lui rapporter gros, le monde ne manquant pas de Républicains et d’Évangélistes prêts à payer fort cher pour avoir le permis de chasser au nom du Bien. »

Il en va de même du texte d’Annie Ernaux, lequel a été lu par son autrice dans l’émission d’Augustin Trapenard La Grande Librairie, diffusée le 4 juin 2025 sur France 5 : « Le silence est en train de se briser. Refusant d’être intimidée par les accusations les plus abjectes, la voix qui s’élève, je la souhaite puissante et déterminée pour exiger le cessez-le-feu définitif, le retour des otages, et la libération des milliers de prisonniers palestiniens en Cisjordanie, en pesant auprès du gouvernement et des instances internationales. Cela suppose que cesse la répression des mouvements de solidarité avec la Palestine. Cela suppose aussi que soit nommé et interrogé cet imaginaire raciste à l’égard des Arabes qui est au cœur de l’acceptation du martyre de Gaza. (p. 126)

Là encore, les mots de la lauréate du prix Nobel de littérature 2022 font preuve de courage, de ce courage aussi nécessaire qu’obstiné par lequel les décisions se prennent et les choses se font. Ici, c’est dire pour faire, pour agir, pour sauver des vies et l’Humanité toute entière.

Le présent volume, avec tous ces textes, tous ces noms, tout ce courage, mérite d’être traduit en arabe, en anglais et bien sûr en hébreu, afin que les autres lisent, voient, comprennent qu’il est temps de considérer enfin que « Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie », et ce qui mérite vie s’appelait, s’appelle et s’appellera encore et toujours : Palestine.

Aymen Hacen
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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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