PhotoSensible : le musée Matisse révèle son trésor photographique

Lecture de 7 min
Eli Lotar (dit) Eliazar Lotar Teodorescu, Madrid, février 1936 - Archives Tériade

À l’occasion du bicentenaire de la photographie, le musée départemental Henri Matisse dévoile pour la première fois l’ampleur et la richesse de son fonds photographique. Du 7 mars au 13 juin 2026, l’exposition PhotoSensible réunit près de 250 œuvres et tirages originaux signés par les plus grands photographes du XXᵉ siècle, de Brassaï à Henri Cartier-Bresson, en passant par Man Ray, Eli Lotar ou André Kertész.

PhotoSensible : Au Cateau-Cambrésis, la photographie du XXᵉ siècle sort de l’ombre

Par la rédaction

Une collection longtemps discrète, aujourd’hui révélée

Fondé en 1952 par Henri Matisse dans sa ville natale du Cateau-Cambrésis, le musée départemental qui porte son nom conserve depuis ses origines un ensemble photographique demeuré en grande partie confidentiel. Lors de sa donation initiale aux habitants de la ville, Matisse inclut en effet une vingtaine de photographies, témoins directs de son environnement artistique et personnel.

Certaines de ces images portent la signature de figures majeures. Friedrich Wilhelm Murnau photographie Matisse à Tahiti lors du tournage de Tabou ; le peintre Émile Auguste Wéry, proche de l’artiste, le saisit sur les côtes bretonnes ; Dmitri Kessel documente le chantier de la chapelle de Vence ; Hélène Adant, enfin, devient l’une des observatrices les plus attentives de l’activité de Matisse dans l’après-guerre. Ces premières œuvres constituent le socle d’un fonds appelé à s’enrichir au fil des décennies.

PhotoSensible : le musée Matisse révèle son trésor photographique
Erwin Blumenfeld, Sculpture d’Aristide Maillol – Archives Tériade

La donation Tériade, un tournant décisif

L’essor du fonds photographique s’opère véritablement avec la donation Tériade, entrée dans les collections en 2000. Éditeur d’art majeur du XXᵉ siècle et figure centrale de la vie artistique parisienne, Tériade lègue au musée non seulement des œuvres de Chagall, Picasso, Giacometti ou Miró, mais également plusieurs centaines de photographies liées à ses activités éditoriales.

Ces images sont indissociables de revues devenues historiques, telles Verve, fondée en 1937, ou Minotaure, dont Tériade fut le directeur artistique entre 1933 et 1936. Brassaï, Eli Lotar, Erwin Blumenfeld, Herbert List, Bill Brandt, Henri Cartier-Bresson ou Man Ray y publient régulièrement, contribuant à inscrire la photographie au cœur de la modernité artistique et intellectuelle de l’entre-deux-guerres.

PhotoSensible : le musée Matisse révèle son trésor photographique
Henri Cartier-Bresson, Matisse et ses pigeons milanais à Vence, vers 1943-1944, Don Henri Cartier-Bresson, 1994

Trois axes pour raconter l’émancipation d’un médium

Conçue comme un parcours thématique, PhotoSensible se déploie autour de trois sections qui retracent l’évolution du statut et des usages de la photographie au XXᵉ siècle, à une époque où ce médium s’affirme progressivement comme un art à part entière.

La première section, La vie d’artiste, rassemble des photographies liées à Tériade, à la villa Natacha de Saint-Jean-Cap-Ferrat et à son cercle proche. Portraits d’artistes, scènes de vie, moments saisis dans l’intimité des ateliers ou des lieux de villégiature composent un ensemble précieux. Réalisées par Man Ray, Erwin Blumenfeld ou Brassaï, ces images documentent une époque marquée par une intense effervescence créative et constituent aujourd’hui des sources essentielles pour l’histoire de l’art.

De la commande à la démarche artistique

La deuxième partie de l’exposition s’attache à L’émancipation de la photographie. Dans l’entre-deux-guerres, de nombreux photographes mènent de front commandes pour la presse illustrée et recherches personnelles. Peu à peu, ces démarches aboutissent à des œuvres autonomes et à des publications devenues fondatrices, à l’image de Paris de nuit de Brassaï, publié en 1932.

PhotoSensible met en lumière cette transition, montrant comment la photographie cesse d’être un simple outil documentaire pour devenir un espace d’expérimentation formelle, sensible et poétique, en dialogue constant avec les autres arts.

Reportage, voyages et regard humaniste

La dernière section est consacrée à des ensembles cohérents, parmi lesquels figure un reportage complet réalisé par Eli Lotar à Zwiderzee, alors qu’il est assistant sur un film documentaire. Ce travail témoigne de la porosité entre photographie et cinéma, mais aussi de l’attention portée aux paysages, aux gestes et aux conditions de vie.

Le parcours permet également d’admirer des tirages originaux d’Henri Cartier-Bresson, dont certaines épreuves ont été reproduites dans Images à la sauvette et Les Européens, deux ouvrages édités par Tériade. Des photographies issues de ses voyages en Grèce viennent compléter cet ensemble, offrant un regard humaniste et profondément structuré sur le monde.

Un hommage à la sensibilité du regard

À travers près de 250 œuvres, PhotoSensible rend hommage aux artistes qui ont façonné le XXᵉ siècle et à la diversité des écritures photographiques qui ont accompagné les bouleversements esthétiques, sociaux et politiques de leur temps. L’exposition révèle surtout la richesse insoupçonnée du fonds photographique du musée Henri Matisse, jusqu’alors rarement montré dans son ensemble.

En inscrivant cette présentation dans le cadre du bicentenaire de la photographie, le musée affirme la place centrale de ce médium dans l’histoire de l’art moderne et rappelle combien il dialogue étroitement avec la peinture, l’édition, le cinéma et la pensée artistique du siècle dernier.

Le musée Henri Matisse, un lieu pensé par l’artiste

Seul musée créé par Henri Matisse lui-même, l’établissement du Cateau-Cambrésis conserve aujourd’hui l’une des plus importantes collections au monde consacrées à l’artiste, couvrant l’ensemble de sa carrière, des premières œuvres aux papiers gouachés découpés, jusqu’à l’aboutissement que représente la chapelle de Vence.

Installé depuis 1982 dans le Palais Fénelon, ancienne résidence des archevêques de Cambrai conçue par Théodore Brongniart, le musée s’ouvre sur un vaste parc arboré où se déploient près de 200 arbres, dont deux alignements remarquables de tilleuls tricentenaires. Un cadre propice à la contemplation, en résonance avec l’esprit de l’exposition.

Agenda

PhotoSensible
Du 7 mars au 13 juin 2026
Musée départemental Henri Matisse
Palais Fénelon, place du Commandant Richez
59360 Cateau-Cambrésis
Ouvert tous les jours sauf le mardi
10h – 12h30 / 14h – 18h
Samedi et dimanche : 10h – 18h

Lire aussi
Agenda culturel
Partager cet article
Suivre :
Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
Aucun commentaire