Jean Dujardin en Zorro
Jean Dujardin en Zorro – Rire intelligemment
Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen
Zorro, en 2024
Rien à dire, Jean Dujardin a la grâce. Retrouvant le petit écran après plus de vingt ans d’absence, la série Un gars, une fille ayant été diffusée de juin 1999 à octobre 2003, il se lance corps et âme dans ce nouveau projet dédié au vengeur masqué, Zorro, le célèbre personnage créé par Johnston McCulley en 1919.
Mais, avec Jean Dujardin ― aux côtés notamment de la gracieuse Audrey Dana dans le rôle de Gabriella de la Vega, l’épouse de Don Diego alias Zorro ; d’André Dussollier dans le rôle de Don Alejandro de la Vega ; de Grégory Gadebois interprétant le sergent Garcia, ainsi que de l’acteur italien Salvatore Ficcara dans le rôle du fidèle Bernardo ―, Zorro est plus hilarant que jamais.
Cela semble être un parti pris aussi bien des réalisateurs Émilie Noblet et Jean-Baptiste Saurel que des scénaristes Benjamin Charbit et Noé Debré. Parti pris assumé, dans la mesure où Jean Dujardin, oscarisé en 2012 pour son rôle de George Valentin dans The Artist de Michel Hazanavicius, interprète à merveille ce double rôle qui, cette fois-ci, a tout d’une double performance. En effet, Zorro ne doit pas seulement cacher sa véritable identité aux méchants, en l’occurrence au vilain Don Emmanuel, incarné par Éric Elmosnino, mais surtout à sa dulcinée, Gabriella, avec qui il est marié depuis dix-sept ans, soit trois ans après avoir abandonné le rôle du justicier masqué.
Rire
Ainsi, allons-nous de quiproquos en scènes comiques où, par moments, l’absurde, inexistant dans les autres versions que nous connaissons de Zorro, fait le piment de cette nouvelle adaptation. Et nous rions à gorge déployée et nous appuyons sur pause pour revivre certaines scènes. À vrai dire, certaines sont cocasses, comme dans l’épisode cinq où dona Gabriella, qui souffre de la distance de son mari devenu alcade de Los Angeles à la mort de son père, sans oublier qu’elle est souvent malmenée par les dames de la ville du fait de ne pas avoir procréé, se trouve déchirée entre son mari, Zorro et le muet Bernardo qu’elle confond un moment avec le héros de noir vêtu.
Ce qui est sympathique dans Zorro, version 2024, c’est que nous autres spectateurs en savons des fois plus que les principaux protagonistes, si bien que nous vivons ce confort comme consécration, voire comme catharsis parce que nous rions sans arrière-pensée, sans rire nerveux, sans limites. À cela s’ajoute l’esprit familial de la série où, en fin de compte, il n’y a ni violence ni excès.
Pédagogie
Avec Zorro, nous apprenons en riant. De ce point de vue, quatre personnages nous mettent sur cette voie. D’abord, le père décédé qui, comme dans Hamlet de Shakespeare, décide de revenir ― mais de façon comique ― tourmenter l’esprit de son fils en le rabaissant sans cesse. Ensuite, le méchant de service, endossé par Éric Elmosnino, a tellement bien réussi son rôle qu’il peut sembler authentiquement désagréable. Commerçant néo-libéral avant l’heure, esclavagiste, faisant feu de tout bois au point d’engager Zorro en tant qu’acteur dans son casino, il incarne le mal moderne par excellence.
Puis, il y a le sergent Garcia, incarné par un excellent Grégory Gadebois. Là, la relation entre Zorro et son souffre-douleur de prédilection, avec tous les Z qu’il ne cesse de lui tagguer, est pourvue d’accents psychanalytiques où se mêlent l’admiration, la haine, des tentations thanatiques et d’autres plutôt érotiques. D’ailleurs, de cette ambivalence aussi légère que cocasse naît le rire, un rire propre, salutaire. Impressionnant, Grégory Gadebois l’est incontestablement, notamment lorsqu’il se lance dans des monologues réflexifs et philosophiques. À apprécier, surtout où, dans le troisième épisode, il finit son soliloque par cette lapalissade qui, peut-être, n’en est pas une : « Deux moitiés de vie, ça ne fera jamais une vie entière… » — Magistral !
Enfin, il y a le fils adoptif, Nakaï, l’autochtone dont le nom signifie « celui qui doit manger la peau du chien », incarné par le jeune et néanmoins talentueux Balthasar Espinach. Or, dans le quatrième épisode, il se trouve en présence, livresque, de son homonyme, l’éminent moraliste espagnol Baltasar Gracián (1601-1658), notamment à travers cette « pépite de sagesse », laquelle, dans sa bouche bégayante et face à ses parents adoptifs marqués par la duplicité, devient une formule comique par excellence : « Pour un seul mensonge, on y perd tout ce qu’on a de bon renom » !
C’est pour ce type de rire intelligent, qu’il faut regarder Zorro interprété par Jean Dujardin.
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