Île de Jeju, (en coréen : 제주도) vivre avec la mer, jusqu’au 06 septembre 2025, Centre Culturel Coréen Paris.
Île de Jeju, vivre avec la mer : mémoire d’une île et souffle des femmes
Par Djalila Dechache
On les appelle les Haenyo, « femmes de la mer »-en coréen. Ces plongeuses en apnée sont originaires de la province du Jeju-do, une île volcanique du sud de la Corée. Célèbre pour la pêche, cette pratique est inscrite depuis 2016 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité l’Unesco. Elles sont les représentantes vivantes d’une culture ancestrale. La musique et les chants sont toujours présents pendant leurs pêches, manière poétique de se libérer des épreuves de la vie et de ce difficile labeur.
Jeju, l’île aux trois abondances
Située à l’extrême sud de la péninsule coréenne, Jeju est la plus grande île de Corée du Sud. Née de l’activité volcanique autour du mont Hallasan, encore visible en son centre, l’île est célèbre pour sa biodiversité exceptionnelle et ses paysages spectaculaires. Surnommée « Samdado », ce qui signifie « l’île aux trois abondances » (pierres, vents et femmes). Ce sont sans doute les dernières femmes à plonger pour pêcher les fruits de mer pour les coréens.
L’exposition met en lumière cette terre singulière d’une part, à la fois refuge naturel, territoire de mémoire et creuset de traditions vivante et de l‘autre, met l‘accent sur le travail de ces femmes tout aussi singulières qui perpétuent cette habitude devenue tradition au fil des années. Bien plus qu‘une simple exposition, cette initiative présente vidéos, installations artistiques, photographies, archives et objets authentiques utilisés par les plongeuses.
Au début de leur activité, elles plongeaient avec des vêtements en coton.
Avec l’introduction des combinaisons de plongée, elles découvrent une autre manière de plonger, en restant beaucoup plus longtemps sous l’eau.
L’artiste Jane Jin Kaisen, originaire de Jeju et de nationalité danoise, tire son inspiration de l’île et choisit de rendre hommage à la nature, à l’histoire et au vécu de ces femmes.
Jean-Julien Pous quant à lui à travers ses photos ouvre un dialogue plein de poésie avec les plongeuses de Jeju et les éleveuses de chèvre dans les Pyrénées françaises.
Un documentaire de Koh Hee Young retrace la vie pleine de dangers des plongeuses, ces femmes de la mer.
Les sublimes photos d Kim Hyung-sun réussit à extirper l‘âme de ses femmes qui posent sans apparat ni filtre. Le résultat est sublime, on sent l’intériorité de de ces femmes, qui montre beaucoup en peu d’émotions.
Le résultat est intimidant, face à ces femmes qui triment sans se plaindre.Ni sourire ni tristesse c’est leur force qui triomphe malgré toutes les vicissitudes.
Le résultat de leur pêche est composé de fruits de mer également très présents dans l’alimentation. Elles plongent en apnée pour pêcher. Un autre aliment typique de Jeju est l’obunjagi. C’est un coquillage qui est proche de l’ormeau mais il est plus petit et légèrement plus amer.
Ce qui les lie entre elles est cette activité rarissime, dangereuse, éprouvante qu‘elles accompagnent de chants salvateurs dès qu’elles sont sur terre.Ces chants évoquent leurs difficultés, les obstacles qu‘elles ont du franchir, leurs rêves aussi , ne pas oublier que ce sont des femmes et qu‘elles on du aussi remplir leur mission d’enfantement et de mère.
Rattachées au Chamanisme, dont les enseignements mêlent confucianisme et bouddhisme, cela leur procure force, solidarité et spiritualité.
L’île de Jeju est également l’une des régions où le chamanisme est le mieux préservé. Parmi les autres religions pratiquées sur l’île figurent le bouddhisme et le christianisme.
Sans pouvoir tous les citer le visiteur trouvera de très nombreuses propositions en visitant cette exposition sans nulle autre pareille qui demandera un peu plus de temps qu‘une exposition traditionnelle.
Aussi, en plus des noms et propositions déjà citées, je vous communique un ensemble de moyens immersifs et très intéressants :
- Les œuvres du collectif visuel ikkibawiKrrr, qui réactivent la mémoire collective de l’île à travers les chants des haenyeo
- Les photographies de Joung Sang Gi, qui explorent la vitalité écologique de Jeju à travers les sources naturelles et les paysages façonnés par l’eau
- Les œuvres de Jang minseung, capturant la beauté brute des paysages de Jeju, notamment lors de ses ascensions répétées du mont Hallasan
- Ainsi qu’une sélection d’objets authentiques – combinaisons, outils de pêche, flotteurs – ayant accompagné les haenyeo dans leur pratique ancestrale ; des objets mis en avant par la photographe Kang JinJu.
Un peu d’histoire :
Peu de gens connaissent l’histoire: l’île coréenne de Jeju porte également les traces d’un passé douloureux. Entre le 3 avril 1948 et le 13 mai 1949, près de 30 000 civils innocents ont perdu la vie lors du soulèvement de Jeju, révolte contre l’autoritarisme du nouveau gouvernement sud-coréen. Longtemps enfouie dans le silence, cette tragédie n’a été officiellement reconnue par les autorités coréennes qu’en 2000.
Afin de transmettre la mémoire de cet épisode sombre de l’Histoire, la province de Jeju a organisé, en avril 2025, l’exposition « Jeju 4.3 Archives – Sur la vérité et la réconciliation » à la Maison de la Corée, située à Cité internationale universitaire de Paris.
Cette exposition a été présentée du 9 au 25 avril de cette année, elle a mis en lumière la puissance des archives en tant qu’outils de paix et invite le public à prendre conscience de l’importance de la mémoire collective.
Consacrée par le gouvernement provincial comme un symbole du caractère de l’île et de l’esprit de la population, la culture des haenyeo de Jeju contribue à l’amélioration du statut des femmes dans la communauté, à l’écologie avec ses méthodes respectueuses de l’environnement et à l’implication des communautés dans la gestion des pratiques de pêche.
Cependant cette pratique est menacée par les chalutiers aux forces décuplées qui abîment les fonds marins par leur pêche intensive, on les voit la nuit avec la frise de lumière le long des côtes, ils attendent le bon moment pour dépouiller les ressources existantes. C’est cela qui précarise et sonne le glas de l‘activité de ces femmes face à des mastodontes sans foi ni loi venus mettre en pratique des méthode de pêche très intensives, néfastes pour l‘environnement..
Cette exposition très particulière et inédite ne laisse personne indifférent, elle témoigne s’il en était besoin que les femmes sont toujours présentes et combatives dans des activités difficiles tout en présentant leur environnement devenu menacé. L’aspect artisanal de ces femmes ne pèse pas lourd face à la volonté industrielle.
Toutes les photos sont issues du Centre culturel Coréen à Paris.