Dionys Mascolo « Tenter d’échapper à la bêtise »
Dionys Mascolo Tenter d’échapper à la bêtise
La révolution par l’amitié de Dionys Mascolo
Les jeudis d’Hyacinthe
La Fabrique éditions — et à leur tête Éric Hazan — publient La révolution par l’amitié, de Dionys Mascolo, à une semaine du 106e anniversaire du philosophe, écrivain et militant anticolonialiste, né à Saint-Gratien (Île de France) le 11 février 1916.
Nous voudrions commencer par ceci : il y a moins d’une semaine, un ami, grâce à qui nous avons découvert Mascolo, déjà en 2011, au moment des premiers élans des « Printemps arabes », nous a fait don du trop précieux, parce qu’introuvable, À la recherche d’un communisme de pensée : entêtements, paru chez Fourbis en 1993. Reçu comme un inestimable présent, nous avons tout de suite imprimé et relié les 437 pages dont se compose ledit volume où se trouvent certains textes réédités dans le présent ouvrage publié par La Fabrique, notamment deux gros morceaux, dédiés respectivement à Nietzche et à Saint-Just, eux-mêmes publiés antérieurement, chez Jean-Jacques Pauvert en 1967, en préface à une édition de L’Antéchrist, et aux Éditions de la Cité universelle, sous le pseudonyme de Jean Gratien, et réédité en mai 1968 chez Gallimard, dans la collection « Idées », en introduction à des Œuvres choisies de Saint-Just.
Si nous nous attardons sur tous ces éléments bibliographiques, c’est pour exprimer notre reconnaissance à l’égard de La Fabrique qui, une fois de plus, nous permet d’accéder à des auteurs et à des œuvres substantielles. Nous l’avons écrit il y a quelques mois à un grand éditeur parisien : la raison mercantile et la raison intellectuelle ne font pas bon ménage. À ce titre, Dionys Mascolo a des leçons à donner à ce petit monde-là, lui qui a été lecteur chez l’éditeur en question : « En serait-il différemment que la question se poserait de savoir comment Lénine et Trotsky, Ho Chi Minh et Mao Tsé-Toung, qui ne sont pas des travailleurs, ont cessé un jour d’être des intellectuels petits-bourgeois — et Marx, dont l’apparition deviendrait un mystère théologique. Pour n’avoir été ni dirigeants ni hommes d’organisation, et avoir apparemment parlé d’autre chose, Artaud, Breton, Bataille ne furent pas davantage des penseurs de petite-bourgeoisie. Il faut donc admettre que l’intelligentsia n’est pas composée seulement d’intellectuels “classiques”, ou “de gauche”, qu’une pensée libre existe déjà (un jeu de l’intelligence en quoi il n’est rien qui puisse servir les privilèges), pensée post-révolutionnaire, libérée donc de toute naïveté idéaliste comme de toute superstition de mauvaise conscience. C’est celle qui s’identifie à l’exigence communiste. C’est d’elle que l’on est en droit d’attendre aujourd’hui que la pensée participe de plein droit, et en tant que telle, au travail révolutionnaire. » (À la recherche d’un communisme de pensée : entêtements, p. 343 ; La révolution par l’amitié, pp. 194-195.)
Voilà, en quelques lignes, le génie de Dionys Mascolo, sa pertinence et, en catimini, comme obéissant à une omertà, le silence qui s’est installé autour de lui, de son nom, de son œuvre, et cela jusque dans l’adaptation de La Douleur, de Marguerite Duras, où la figure de Dionys Mascolo est reléguée en seconde zone. Comme si les amis ou compagnons de premier ordre de Mascolo — d’abord Marguerite Duras et Robert Antelme —, ensuite Maurice Blanchot, Edgar Morin et Louis-René des Forêts, pour ne citer que ceux-là, tous présents, lus et célébrés en tant qu’écrivains et intellectuels, lui étaient supérieurs. Non, tel n’est pas le cas, tel ne devrait plus être le cas, car la moindre œuvre de Dionys Mascolo, du Communisme, « gros livre de lecture difficile, vive critique du milieu intellectuel et de l’humanisme de gauche », lisons-nous dans la « Présentation de l’éditeur » à cette édition de La révolution par l’amitié, à Sur le sens et l’usage du mot “gauche” (éditions Lignes, 2011), Dionys Mascolo porte, à nos yeux, à la fois l’histoire et l’avenir d’une pensée de gauche française et universelle. Et si, aujourd’hui, celle-ci souhaite toujours exister, non seulement dans le cadre du domaine des idées et de leur histoire, mais encore politiquement, c’est-à-dire activement, dans le but de gouverner, ou pour parler comme Mascolo lui-même : « Au regard de l’idée révolutionnaire, d’où je tente ici de parler, il n’existait rien de rebutant dans le nouveau cours des choses tel qu’on vient de le dessiner sommairement ; rien même qui permît, sauf à céder à des misères de mode, de faire les difficiles ou, comme on dit, la petite bouche devant lui. Tout progrès de civilisation est en soi révolutionnaire — à la rapidité près, qui semble lui faire défaut. Le mouvement révolutionnaire lui-même n’a cependant d’autre justification et ne se donne d’autre but, pour finir, qu’un tel progrès de civilisation. » (« Encore un effort si nous voulons nous dire socialistes, in Libération du 24-25 décembre 1981, repris dans À la recherche d’un communisme de pensée : entêtements, p. 386), il lui faut relire ses classiques, à commencer par La révolution par l’amitié.
Pour cet ouvrage, l’éditeur a fait le nécessaire, en ce sens qu’il a bien médité les choses. Ainsi, pouvons-nous revisiter le parcours, voire l’aventure d’écriture et de vie de Dionys Mascolo à la lumière de cette phrase située au début du texte qui clôture le volume : « Sur ma propre bêtise et celle de quelques autres » : « Voilà donc comment, contre toute attente, j’ai été amené à m’intéresser au communisme : c’est pour tenter d’échapper à la bêtise, tout en parlant si possible. » (p. 201)
Phrase à méditer, sur laquelle il faut longuement s’attarder, surtout de nos jours où, comme l’exprime brillamment Belinda Cannone, La bête s’améliore (Stock, 2007).
Dionys Mascolo, La révolution par l’amitié, Paris, La Fabrique éditions, 232 pages, sortie le 4 février 2022, 15 euros, ISBN : 9782358721806.
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