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Zoubida Belkacem « D’une rive à l’autre »

Zoubida Belkacem « Zoubeida» – les Yaouled

 

Zoubida Belgacem « D’une rive à l’autre »

 

Un chapitre de l’ouvrage « Zoubeida » où il est question des petits cireurs de chaussures, appelés aussi, les Yaouled. 

Zoubida Belgacem « D’une rive à l’autre » - les Yaouled

Je revois encore ces petits orphelins, sortir du bain fumant, tout intimidés. Ils reprenaient des couleurs devant un grand bol de soupe chaude.

Leurs corps menus et maigres dévoilaient l’extrême souffrance qu’ils avaient dû traverser pendant leur courte existence jalonnée de drames et de violences. Mais elles avaient toujours sous la main des vêtements propres et décents qui faisaient leur bonheur.

Parfois, ils arrivaient la peau ensanglantée, complètement envahie de boutons purulents. C’était la gale que la plupart des orphelins attrapaient à cause des mauvaises conditions d’hygiène et de l’extrême pauvreté dans lesquelles ils vivaient.

Ces enfants faisaient partie des nombreuses victimes collatérales de la guerre de colonisation.

Il y en avait partout. Aux abords des mosquées et des marchés, en quête d’un morceau de pain et de quelques pièces de monnaie.

Certains d’entre eux arrivaient néanmoins à s’en sortir, se frayant un chemin à la force des bras.

Les plus chanceux trouvaient du travail en tant que manutentionnaires dans les marchés de la ville, portant à longueur de journée, de lourdes charges sur leurs corps squelettiques.

D’autres, des cireurs, pas plus hauts que trois pommes, qu’on appelait les Yaouled, pullulaient aux alentours des grandes avenues, à la sortie des gares et des salles de cinéma.

Reconnaissables à leur grosse boîte noire qui pendait lourdement sur leurs épaules.

Très tôt, ces petits cireurs investissaient les lieux et sillonnaient les artères principales de la ville.

De braves petits guerriers, enduits de suies et de charbon, semblables à des corons, sortant d’une mine de charbon.

Ces va-t-en-guerre, sortaient à l’aube, le ventre vide, bravant le froid et les dangers.

Seules, leurs voix rauques tonnaient dans le froid glacial des matins brumeux et gris.

Ils traînaient leurs boîtes volumineuses comme on traîne sa misère sur un long chemin de croix.

On ne les voyait jamais taquiner le ballon, jouer aux billes, ni même partager les activités ludiques des autres gamins de leur âge.

Ils rentraient le soir. Le visage et les mains noirs de suie, les sandales en lambeaux. Fourbus d’avoir sillonné les rues, du lever au coucher du soleil.

Parfois, des jurons et des grossièretés fusaient de la bouche de ces bambins en culottes courtes, suivis de supplications répétées, interpellant des clients récalcitrants, pressés de rejoindre leur lieu de travail.

Heureusement, quelques passants leur tendaient le pied pour quelques centimes. C’était toujours ça de gagné pour acheter du lait et du café pour sa famille.

À cette époque, les yaouled étaient souvent chargés de famille, contraints de ramener un peu d’argent à la maison, après le décès du père.

Ces gamins, jetés trop tôt en pâture dans le monde impitoyable des adultes étaient dépossédés de leurs rêves et leur innocence. Mais ils seront les premiers à prendre conscience de cette vie misérable et injuste dans laquelle la colonisation les réduisait.

Des vendeurs de journaux à la criée n’étaient pas en reste et sortaient également, dès les premières lueurs de l’aube pour vendre leurs piles de journaux, portées sous leurs bras menus. De jeunes gaillards à la physionomie joviale mais si orgueilleux déjà. Même s’ils ne fréquentaient plus l’école, ils étaient fiers de pouvoir nourrir leur petits frères et sœurs à la sueur de leur front sans avoir à mendier ni voler.

L’auteure 

Zoubida Belgacem « D’une rive à l’autre »

Zoubida belkacem est une auteure issue de la région de la Mitidja Blida et Boufarik (Algérie), villes aux jardins luxuriants ainsi que par des vergers d’agrumes qui exaltent dés le printemps venu leurs effluves et senteurs de roses.

Véritable havre de paix pour développer son amour pour la nature et de l’écriture.

Sensible aux sujets qui touchent à la protection de l’environnement et de la planète, elle fait des études d’ingénieur agronome.

Elle a cinq recueils de poésies et deux romans, édités en France.

Son dernier ouvrage s’intitule ZOUBEIDA, dans ce roman biographique elle met en évidence toute la beauté du patrimoine matériel et immatériel de Blida et Constantine. Deux villes chères à son cœur dans lesquels elle a pu puiser dans les innombrables ressources et richesses qu’elles renferment.  Son vœu le plus cher est de donner une âme à cette passerelle culturelle qui les relie mais aussi qui les sépare.

L’auteure

Roman

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