Née dans la banlieue nord de Tunis au sein d’une famille multiculturelle, Sana Bennani est une artiste plasticienne, entrepreneure et activiste culturelle dont le parcours singulier allie expression artistique, engagement social et innovation.
L’art comme liberté : Rencontre avec Sana Bennani
Entretien conduit par Monia Boulila
Diplômée en droit et sciences politiques, formée à l’art-thérapie, au design et au marketing digital, elle développe depuis 2017 sa structure « Esprit Libre » et multiplie les projets culturels à dimension humaine. À travers un art épuré, intime et féministe, elle célèbre la liberté, la sensualité et la puissance des femmes, loin des clichés et des regards masculins dominants. Fondatrice d’événements et de festivals comme le LAND Art Festival ou « Café et Canvas », elle milite pour un art accessible, vecteur de paix, de lien social et d’espoir, en Tunisie comme à l’international.

Rencontre
M.B : Vous avez étudié le droit, les sciences politiques, les langues et les médecines douces. Comment cette richesse interdisciplinaire se reflète-t-elle dans votre travail ?
Sana Bennani : Cette richesse interdisciplinaire m’a permis de forger ou de puiser en moi une sorte de double culture : j’ai réuni ma force créative et ma passion pour l’art, la nature et la culture, à mon expérience, mes connaissances et mes compétences dans plusieurs domaines, pour investir dans des projets qui me ressemblent tout en conservant une taille humaine, dans une démarche de développement conceptuel rentable…
Bien que mes gouts et mes disciplines semblent divers et parfois même opposés, mais en réalité ils se rejoignent quelque part….
J’ai réussi à établir une synthèse raisonnée entre le tout : une sorte d’éclectisme, de conciliation et de fusion des compétences et des gouts divers qui se rejoignent et se complètent dans un équilibre harmonieux : la coïncidence des opposés qui se reflète même dans mon expression picturale d’ailleurs…
Entre entrepreneure engagée avec les pieds bien ancrés dans la réalité, et artiste passionnée, je concilie à la fois le développement de mon business et ma passion pour l’art, la culture et la nature, en créant une identité qui correspond à mes idéaux.
Un style de vie qui me ressemble…

M.B : Vous dites que votre art est « un style de vie ». Que signifie cette phrase pour vous au quotidien ?
Sana Bennani : J’ai trouvé mille et une manière de solliciter le couple art et vie au quotidien à travers un style de vie qui privilégie et valorise les activités créatives et l’esprit artistique en révélant le merveilleux et en cherchant à révolutionner tant l’art que la vie afin de leur permettre de coïncider.
L’art étant le résultat d’une expérience vécue et d’une joie de vivre qui se confondent pour inspirer et révéler une belle énergie au quotidien.
Pour moi, l’art n’est pas le produit d’une activité séparée de la vie, mais le fruit d’une pratique issue d’elle.
L’art est un environnement dans lequel on habite : ce que j’essaye de transmettre, que ce soit avec mon art au mes activités culturelles et sociales, c’est ce que moi-même je voudrais vivre tous les jours : du positif de l’espoir…l’émerveillement de l’enfance qui ne m’a jamais vraiment quittée…

M.B : Vos œuvres parlent de liberté et d’identité féminine. En quoi votre vécu de femme influence-t-il ce que vous créez ?
Sana Bennani : Confrontée à de nombreux obstacles par le simple fait d’être une femme, il est encore difficile pour une femme de mener ses projets, ses ambitions et même sa vie aussi loin qu’elle souhaiterait.
Trop de femmes dans de trop nombreux pays parlent la même langue : celle du silence…
Personnellement, j’ai choisi de transformer mes blessures et mes ressentis en créativité : j’ai choisi de créer pour ne pas subir ….
Je suis reconnaissante pour tous les moments difficiles que j’ai vécus et toutes les larmes que j’ai pleurées parce que cela a fait de moi la femme forte que je suis aujourd’hui.
J’ai appris à ne jamais être une victime.
Ne jamais trouver d’excuses. Ne jamais m’attendre à ce que quelqu’un d’autre me fournisse des choses que je peux me fournir moi-même…
La chose la plus sexy au monde est une femme qui a confiance en elle…
A un certain moment je me suis dise : « c’est le moment d’y aller, de le faire, fais ce pour quoi tu es née ».
Mes œuvres d’art sont comme un miroir ou je connais et reconnais quelque chose de moi-même.
Etre une femme, être une peintre, peindre des femmes avec un regard de femme, en s’inspirant de ma propre expérience : des œuvres qui m’expriment, ou j’expose tous mes états d’âme. Dans mes œuvres je m’intéresse à l’émancipation, la liberté, la sensualité et surtout la personnalité des femmes à l’état pur, dénudées de toute appartenance ethnique…
Mon œuvre est née entre autre de malaise ressenti devant des nus de femmes quasi systématiquement peints par des hommes, pour le regard masculin, c’est-à-dire érotisés…. Je fais donc plutôt l’éloge de la tendresse et de la pudeur…
« Être une femme libérée, vous savez, ce n’est pas si facile. »
Tout ce que j’ai fait dans ma vie, j’y ai mis mon cœur et mon âme.

M.B : Votre style minimaliste se distingue par sa pudeur et sa douceur. Quelles influences artistiques ou spirituelles vous ont menée vers cette épure ?
Sana Bennani La compréhension de mon art s’interprète à différents niveaux. Il possède un certain équilibre de formes et de lignes continues, des harmonies de couleur et de complémentarités ou de contrastes.
Il y’a également un message bipolaire essayant de trouver un juste équilibre entre le beau et le répugnant, entre l’individuel et le public, entre la courbe et l’angle aigu, entre l’obscur et le lumineux, entre l’audace et la pudeur, entre minimalisme et perfectionne, une sorte de Ying Yong formant un tout.
Un monde de lignes et de formes expressives au style épuré qui peut être résumé par « moins c’est plus » à l’image de mon aspiration à l’essentiel…

M.B : En quoi votre parcours d’entrepreneure et vos projets comme les centres socioculturels mobiles enrichissent-ils votre démarche artistique ?
Sana Bennani : Ma renommée, je la dois à mon art certes, mais pas seulement. Petit à petit, j’ai commencé à repenser des projets autour du collectif, d’où l’idée des centres socioculturels mobiles, un concept pour soutenir l’innovation culturelle et promouvoir la culture du vivre- ensemble.
Parce que la paix a besoin de créativité, parce que c’est la beauté et la joie qui donnent du sens à la vie, et parce que les artistes ont été de tout temps ceux qui devancent le changement des sociétés, j’ai choisi par le biais de mon art, de mes idées ou mes initiatives activistes, de créer de nouvelles passerelles, travaillant sur l’échange, la tolérance et la rencontre des cultures à une époque ou les liens autour du monde se compliquent….

M.B : Vous avez lancé plusieurs festivals autour de l’art et de la nature. Pourquoi ce lien Nature-Culture vous semble-t-il essentiel aujourd’hui ?
Sana Bennani : Mes projets pourront explorer au choix, les arts, l’artisanat d’art, les sciences de la nature ou les sciences humaines, ou croiser ces univers.
Les concepts nature-culture, l’art au plus près du public, l’art à travers la mise en valeur du patrimoine, qui reviennent dans divers contextes….me paraissent aujourd’hui fondamentales pour rapprocher l’art des citoyens et les citoyens de la nature : attractivité d’une approche plus artistique, plus culturelle, de la sensibilisation à l’environnement, à la paix et à la construction d’une culture qui reconnait la place de chacun tout en faisant de la diversité une source de vitalité et de renouvellement de notre société.

M.B : Vos initiatives culturelles veulent rapprocher l’art du public. Comment sensibiliser davantage les citoyens à la culture et à la création contemporaine ?
Sana Bennani :
- Démystifier l’art, transformer et sensibiliser la société par l’art, est l’un des objectifs essentiels que je me suis fixée.
- A travers des initiatives à l’image de mes inspirations, je m’engage pour faire de l’art contemporain un modèle du VIVRE-ENSEMBLE, et pour le soutien à l’innovation culturelle, levier essentiel d’émancipation et de développement durable.
L’art engagé pour sensibiliser, l’art pour promouvoir la culture de la paix et de la tolérance, l’art pour lutter contre la fracture numérique, l’art pour inspirer et cultiver l’espoir :
C’est l’esprit que je cherche à partager avec tout le monde…

M.B : Si vous pouviez transmettre un seul message à travers votre art, lequel serait-il ?
Sana Bennani : Si j’avais à transmettre un seul message à travers mon art, le mien serait donc un message d’espoir.
Tout le monde parle de paix, mais personne n’éduque à la paix !
On a en nous le pouvoir d’exploser notre prison mentale, ces fausses croyances qui ont marqué le début de toutes les guerres et tous les malheurs….
Arrêtons de vouloir constamment se venger ! Brulons cette haine qui ne nous rassemblera jamais !
L’univers en retour nous enverra son plus bel arc en ciel.