Poésie

Anna de Noailles – Mercredi en Poésie

Anna de Noailles

Anna de Noailles

Exaltation

Le goût de l’héroïque et du passionnel
Qui flotte autour des corps, des sons, des foules vives,
Touche avec la brûlure et la saveur du sel
Mon coeur tumultueux et mon âme excessive…

Loin des simples travaux et des soucis amers,
J’aspire hardiment la chaude violence
Qui souffle avec le bruit et l’odeur de la mer,
Je suis l’air matinal d’où s’enfuit le silence;

L’aurore qui renaît dans l’éblouissement,
La nature, le bois, les houles de la rue
M’emplissent de leurs cris et de leurs mouvements;
Je suis comme une voile où la brise se rue.

Ah! vivre ainsi les jours qui mènent au tombeau,
Avoir le coeur gonflé comme le fruit qu’on presse
Et qui laisse couler son arome et son eau,
Loger l’espoir fécond et la claire allégresse!

Serrer entre ses bras le monde et ses désirs
Comme un enfant qui tient une bête retorse,
Et qui mordu, saignant, est ivre du plaisir
De sentir contre soi sa chaleur et sa force.

Accoutumer ses yeux, son vouloir et ses mains
A tenter le bonheur que le risque accompagne;
Habiter le sommet des sentiments humains
Où l’air est âpre et vif comme sur la montagne,

Etre ainsi que la lune et le soleil levant
Les hôtes du jour d’or et de la nuit limpide;
Etre le bois touffu qui lutte dans le vent
Et les flots écumeux que l’ouragan dévide!

La joie et la douleur sont de grands compagnons,
Mon âme qui contient leurs battements farouches
Est comme une pelouse où marchent des lions…
J’ai le goût de l’azur et du vent dans la bouche.

Et c’est aussi l’extase et la pleine vigueur
Que de mourir un soir, vivace, inassouvie,
Lorsque le désir est plus large que le coeur
Et le plaisir plus rude et plus fort que la vie…

Il fera longtemps clair ce soir

Il fera longtemps clair ce soir, les jours allongent.
La rumeur du jour vif se disperse et s’enfuit,
Et les arbres surpris de ne pas voir la nuit
Demeurent éveillés dans le soir blanc, et songent…

Les marronniers, sur l’air plein d’or et de lourdeur,
Répandent leurs parfums et semblent les étendre ;
On n’ose pas marcher ni remuer l’air tendre
De peur de déranger le sommeil des odeurs.

De lointains roulements arrivent de la ville…
La poussière qu’un peu de brise soulevait,
Quittant l’arbre mouvant et las qu’elle revêt,
Redescend doucement sur les chemins tranquilles.

Nous avons tous les jours l’habitude de voir
Cette route si simple et si souvent suivie,
Et pourtant quelque chose est changé dans la vie ;
Nous n’aurons plus jamais notre âme de ce soir…

L’écrivaine

Anna de Noailles, née Anna Elisabeth de Brancovan à Paris le 15 novembre 1876, est une écrivaine et poétesse française d’origine roumaine et grecque. Issue d’une famille aristocratique, elle grandit dans un environnement privilégié, imprégné d’un amour pour les arts et la culture. Polyglotte et passionnée de poésie dès son jeune âge, elle publie son premier recueil, Le Coeur innombrable, en 1901, qui rencontre un grand succès. Au cours de sa carrière, elle écrit plusieurs recueils de poèmes et romans qui célèbrent la beauté de la nature et la complexité des émotions humaines.

Son œuvre est marquée par une sensibilité intense et une profonde réflexion sur la vie et la mort. Anna de Noailles est également la première femme à être reçue à l’Académie Royale de Langue et de Littérature de Belgique et la première femme Commandeur de la Légion d’Honneur.

En 1902, elle reçoit le prix Archon-Despérouses. En 1920, son premier recueil de poèmes (Le Cœur innombrable) est couronné par l’Académie française.  En 1921, elle en reçoit le grand prix de littérature. Plus tard, l’Académie française créera le prix Anna-de-Noailles en son honneur.

Elle est décédée à Paris le 30 avril 1933, laissant derrière elle un héritage littéraire remarquable et influent.

Photo de couverture : Bibliothèque Nationale de France

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