Poésie

« Imprécations nocturnes », de Grégory Rateau

« Imprécations nocturnes », de Grégory Rateau par Irène Dubœuf

"Imprécations nocturnes", de Grégory Rateau par Irène Dubœuf

Présentation du recueil« Imprécations nocturnes »

Imprécations nocturnes, le deuxième recueil de poèmes de Grégory Rateau, est paru chez Conspiration Editions, dont la collection Poésie, crée en 2021, publie simultanément un auteur contemporain et une grande œuvre du patrimoine, une maison d’édition qui soigne la qualité du papier tout autant que l’esthétique de ses livres, lesquels sont également disponibles au format numérique. Bien que de petit format (10×15), le livre ne passe pas inaperçu : l’or de sa couverture et l’excellence de sa chartre graphique (lettres noires et rouge carmin) en font un objet rare et précieux.

Imprécations nocturnes s’ouvre sur une préface du critique littéraire, romancier et essayiste Jean-Louis Kuffer et une citation extraite des Vies minuscules de Pierre Michon. Le poète se présente dès le premier texte comme un poète maudit qui cherche à fuir sa propre image. Le sujet du recueil est annoncé et résumé dans les trois derniers vers de ce premier poème :

Je suis cet imposteur

dont la lucidité vengeresse

lui désigne la blessure du soleil.

Interrogations du poète 

Des vers qui ne manquent pas d’évoquer en nous ceux de René Char.[1] Suivent des poèmes tourmentés témoignant d’une impossible quête qui rend toute attente vaine. L’auteur se définit comme un être en chantier interrogeant ses origines et dont la prise de conscience d’un passé qui le dépasse (au sens propre comme au figuré) ne peut qu’entraîner une interminable souffrance. C’est un être de solitude, qui vit dans une perpétuelle inquiétude. Y aura-t-il seulement quelqu’un pour raconter son histoire ? se demande-t-il. Une histoire manifestement lourde à porter. Car tout en restant discret sur celles et ceux qui l’ont précédé, les mots de cet être de nulle part, sans cesse en errance de par le monde, témoignent en réalité d’un profond enracinement lorsque sont évoquées ces quelques gouttes de sang qui font de lui l’héritier d’une autre culture et l’on comprend que ces Imprécations nocturnes ne sont pas que les siennes mais également celles d’une femme qui n’est désignée que par « elle », une gitane gracile, chevelure nègre […] la fièvre entre les jambes et qui a un lien évident avec le poète.

elle danse jusqu’à l’extase

l’oubli de son serment

défaire par ses imprécations nocturnes

les liens empoisonnés.

Bohémien avide de sensations

Porteur d’une blessure qui ne se referme pas, Grégory Rateau, exilé volontaire qui a vécu de multiples vies, écrit comme pour échapper à une malédiction qui plane sur ses origines, qui le poursuit et l’accable. Bohémien avide de sensations, ce fils du vent, enfant de la nuit, signe là un livre intense, sensuel et bouleversant dans lequel les temps se confondent, les générations s’entremêlent :

Je plonge mes yeux de spectre dans ceux de mes ancêtres

deux mondes pour sceller le même cercueil

chacun devant le fantôme de l’autre

Où chaque épisode de sa propre vie est venu effacer le précédent, où même l’avenir pourrait être le souvenir oublié de ses vies imbriquées. Reste l’enfance, indestructible, laquelle s’exprime dans une voix meurtrie.

La Soif du poète

Imprécations nocturnes est un livre de l’absence, de l’errance et de l’aveu. Si le poète parle de lui comme d’un imposteur en début de recueil, au fil des pages se révèle sa soif de spontanéité, de vérité, de liberté. Il veut en finir avec le paraître Depuis l’enfance j’ai appris à dissimuler et Je ne veux plus feindre, écrit-il, quitte à renoncer aux chimères qu’il a lui-même imaginées :

Je me suis inventé un rêve

qui n’existe plus quand je ferme les yeux.

Un long cri 

Être lui-même, accepter un héritage empoisonné, pacifier son passé…l’écriture est sans doute la seule à lui permettre d’évacuer ses remords et ses peurs, de recevoir ce don de vie, de se révéler tel qu’il est vraiment. Et le lecteur est entraîné dans cette quête de lumière et d’apaisement dans un long cri lucide mais désenchanté car écrire est superflu/ si personne ne vient s’approprier ces quelques mots.

« On a tous un paysage douloureux en mémoire… »

Qu’il se rassure : il y aura toujours quelqu’un pour s’approprier une telle poésie ! Outre l’évidente beauté de nombreux vers, ce recueil ne peut laisser indifférent, peut-être parce que…

« On a tous un paysage douloureux en mémoire

ici une barque

au repos sur le rivage

mouvement pétrifié

dans un entonnoir de vase

vaisseau fantôme sans destination

 

On a tous un rapport douloureux au temps

qui n’attend plus

même pas le passant que nous sommes

adossé et rêveur face au lac

le soleil fatigué d’attendre lui aussi

et déjà posé sur l’autre rive »

(Imprécations nocturnes p. 24)

Irène Dubœuf, le 12 janvier 2023

Irène Dubœuf Grégory Rateau, « Conspiration du réel » par Irène Dubœuf

[1] « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil », René Char, Feuillets d’Hypnos, 169 Dans l’atelier du poète, Gallimard, 1996 p.476

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