Catherine Jarrett – Mercredi avec une artiste à multiples casquettes
Peinture
KATH -Catherine Jarrett : « le prix de l’échappée »
Par Philippe Tancelin
Toute vision échappe à son objet et le sacrifie sur l’autel des formes.
L’artiste ne saurait y manquer pour peu qu’il, elle soit poète c’est-à, dire travaille le sens fuyant des couleurs autant que celui des mots. C’est à lire ces fuites éperdues dans la peinture de Catherine Jarrett que l’on reconnaît sa langue poétique et réciproquement. Les « gouaches » exposées à vue du public ne cessent d’en appeler à cette résonance entre l’écriture poétique et la peinture de l’artiste-poète. Comment de ce fait ne pas ressentir la convocation à une écoute des couleurs dans leur festoiement des motifs célébrés : arbres explosés, terres retournées, ciels expectatifs, silhouettes anonymes, cheval d’approche…parfois simplement un chemin de nulle part qui nous confronte à notre lieu-présence…toujours des pays plus que des paysages. Entendre et voir sont les deux premiers sens sollicités par cette démarche plastique qui n’est que promesse d’étonnement sous chaque angle qu’on l’apprivoise.
L’étonnement réside principalement en l’interdépendance des traces diverses du pinceau, les interconnexions à l’infini entre les formes laissées à l’état d’appels, d’éclats, de fulgurances qui ne dessinent que le tracer de complexes langueurs de l’artiste au-devant des forces d’une nature qu’elle ne sait qu’aimer. Ici tout n’est qu’advenir d’une expérience sensible remuante, celle que nous nous autoriserons à vivre plus qu’à interpréter ou identifier. Catherine Jarrett, à corps sensible, réfléchissant, nous propulse avec elle dans l’embrasement saisonnier de sa palette.
Poésie
Des fleurs blanches naissent les fruits noirs
Des fleurs blanches naissent les fruits noirs
Claque la branche, toque le pic, la colombe se sauve un chien aboie
la cloche au loin
Les hommes vivent et l’amandier se meurt que dévore le gui
Pas un arrêt pas un palier pas un repos
Mais comment faire et où aller
Un père est mort tout se fend
Et toi tu cries tout est à commencer
Mais moi je passe des nuits blanches à compter les branches de l’amandier
leur gris cassant
et les fruits noirs qui me dévorent.
La faire s’envoler
A ma mère
La faire s’envoler
Elle pâle
Et assaillie par les ailes lui claquant au visage
Elle
Dans le tintamarre
Sur la neige lente
Et comme arrivant par mégarde
Surgie d’un ciel
Ou d’une église
Perchée
Elle
Grave légère
Inspirée en suspens
Jeune fille envoyée à la mort
À toutes les morts sur cette terre en circonvolution
Ténus son sourire
Son souffle qui embue l’écart fragile
Entre elle et moi
Et nous qui la portons
Dans le chavirement des ailes
Sous l’assaut des volontés inflexibles
Elle
Présente renaissante
En rebord d’espace intangible
Bruissant de toute l’histoire des temps de cette terre
Amour rouge
Rose et ordure
La faire s’envoler
L’immense simple
En sa beauté de reine des glaces
Femme
De par sa démesure d’attente
La faire s’envoler
Sous l’avalanche
D’entre les débris comme des plumes
Pesant mille tonnes
Mille tonnes sur elle
Mille tonnes de craie terre de racines mêlées
Mille tonnes de fleurs de fougère de bruyère de cyclamen de lierre de jonquilles
De jeunes arbres et de perce-neige
Mille tonnes de sève et de larves et de vers de bolets de prairies de silice d’humus
Mille tonnes d’éboulis
Et un ciel de nuages et un ciel haut si clair
Mille tonnes de pluie
Mille noroîts blizzards mille zéphyrs
Déjà
Et pourtant
Furtive enracinée
Elle est
Dans les pans
Les bascules
Les ardeurs de lumière
Les ondes de chaleur
Les vertiges
Le froid crispant écorces
L’assourdissant réveil des oiseaux de hasard
Elle est
Chair et feuilles éblouies
Peau mouvement des lèvres
Miroir et brume ronde tranquille
Espoir
En lent déroulement
Elle est
Dans l’entrechoquement des pierres
Larges grises aux effractions de mousses et de lichens
Dans la brisure et l’immanence
Dans le foudroiement
La syncope
Épiphanie
Elle est
La faire s’envoler
Enfin
Par quelques grammes d’air
Un homme
Qu’avez-vous fait
La vague avance
Soleil décline une pluie noire
Un homme couleur feuillage
Des crachats pleuvent
Il court sous les rafales
et pousse
une brouette pleine
d’un arbre
Il se penche
creuse un trou profond
pas loin des bombes
Il saisit l’arbre
le pose en terre
couvre racines
tasse
l’arrose
Il dit » je t’aime »
Il dit « grandis »
Et il s’éloigne
Et puis il tombe
Comme un arbre.
Sous la toison des graines
Aux émigrants
(Paru dans l’anthologie « À la dérive » de Nicole Barrière)
La course
Herbe éblouie
Poids des cris poids d’odeurs
Les ravines la course la hulotte la lune
Cœur flamme cœur dévoré
Les premiers mots et les derniers
Un mm palpité dans l’oreille
Tombe langue sanglot fumées
Parole aube saoulée
La course
Sans traces
Que la brisée des vents
Que les maelströms de l’eau
La peau brûlée comme un tambour
Et l’appel d’un noroît obstiné
Ne pas penser ma tête éclate
Mes mains de sable, doigts de sang
Et pour prix de l’appel
Ma peau dernier habit
Il y a mille ans dix mille et cent mille ans déjà
L’arbre dans la poitrine escaladant le ciel
Les coups dans le tympan
Le souffle
Matière noire, matière blanche
Les fleurs qu’on ne voit pas
La peur palpée telle un genou
La chaleur la moiteur
Les grands oiseaux leur ombre
Et au cœur une autre ombre
Tapie comme racines
Oui sur ta peau leur chevelure
D’elle ta terre
D’elle la mère
Et le tain des nuages
La course
Tissage et entrelacs
Derrière moi le rideau
Et bientôt un abîme
Jujube savanes, les hanches chavirées, un rire ancien qui perle
Et les vœux de l’oubli cécité surdité anosmie
Les vœux non prononcés
Bientôt
Le pays sous mon crâne
Pays enclos de mots
Bientôt
Le rire qui te saisit
La course
Entre les lèvres sèches, l’acide tamarin les ardeurs de thé rouge
Derrière forêt volcan les couteaux affûtés
Derrière la parole
S’abreuver
La course, cliquetis aux oreilles
Course comme une valse de laboureur perdu
Sans boussole
Bientôt
Béance des soleils
Poudre défi incertitude ivresse
À la mesure du songe
Un pigeon fend le ciel et devant creux de roche
Tournoie roucoule
Sa femelle qui couve
En face
Courbe liquide, haute muraille, brume charroi d’abysses
Toutes les démesures et suprême énergie
La constance
Le silence instant-plomb
Le viatique du Croire
Sous ta toison des graines
L’oiseau d’or du couchant a griffé les visages
D’où le noir a lentement fondu
En toi la légende à bâtir.
Catherine Jarrett
Catherine Jarrett, née à Paris, est une artiste multifacette. Médecin de formation, elle se tourne rapidement vers le théâtre, où elle joue des rôles importants dans des pièces de grands auteurs comme Racine, Marivaux et Molière. Sa carrière cinématographique est également prolifique, avec plus de 40 films à son actif, dont des collaborations avec des réalisateurs renommés comme Manoël de Oliveira et Jean-Pierre Mocky.
À la télévision, elle est apparue dans des adaptations littéraires et des rôles principaux, confirmant sa polyvalence en tant qu’actrice. En parallèle de sa carrière d’actrice, Catherine explore l’écriture et la peinture, exposant ses œuvres à Paris et ailleurs en France.
En tant qu’auteure, elle a publié plusieurs romans chez des éditeurs prestigieux et a contribué à la poésie avec des recueils notables. Ses œuvres poétiques sont régulièrement publiées dans des revues et des anthologies. Catherine est également active dans le milieu des festivals de poésie, tant en France qu’à l’étranger, et anime des événements poétiques. Elle a été récompensée par le Prix de Poésie féminine Simone Landry en 2015.
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