Éric Dubois invité de Souffle inédit

Poésie
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Crédit @ Jean-Baptiste Mognetti

Poète, blogueur, président de l’association « Le Capital des mots », Éric Dubois continue, avec acharnement et malgré la maladie, à déjouer le réel par l’écriture.

Éric Dubois : Le porteur de parole

Entretien conduit par Grégory Rateau

G. R. : Dans votre Journal (publié aux éditions Douro) vous écrivez : Par la Maladie, par ma Maladie, je devins créateur de ma vie, ayant volé le feu dans le lieu de l’inexprimable, Prométhée mal dégrossi, pour apporter la lumière aux cloisons sombres du Monde. Le diagnostic de votre schizophrénie a donc été l’élément déclencheur de votre processus créatif ?

Éric Dubois : J’écris depuis l’âge de 14 ans. Je publie des poèmes en revues depuis 1995 (j’avais 28 ans) et des recueils de poèmes, des récits depuis 2001 (j’avais trente-cinq ans). Je l’explique clairement dans mes deux récits autobiographiques « Journal », publié en 2024 chez Douro et « L’homme qui entendait des voix », publié en 2019 aux éditions Unicité. J’écrivais et publiais avant d’être atteint de schizophrénie. Mais comme je suis en invalidité depuis vingt-cinq ans, reconnu comme tel, j’ai consacré tout mon temps libre à l’écriture, au dessin et à la peinture et à la photo également, je réalise des œuvres plastiques depuis 1996, année où je suis tombé malade, interné plus d’un mois, en hôpital psychiatrique pour bouffée délirante et syndrome de mysticisme et filiation. J’ai été longtemps en RQTF, en recherche d’emploi, sans en trouver hélas.

Éric Dubois invité de Souffle inédit

G. R. : Vous avez beaucoup publié, recueils très courts à la limite du haiku, du vers libre à la prose fragmentée, des récits souvent autobiographiques, une forme de rumination de ce réel qui vous échappe, qui vous abîme… Pourquoi cet acharnement à le saisir malgré tout et même si c’est seulement par bribes ?

Éric Dubois : Je suis un grand lecteur de Bernard Noël, André du Bouchet, Guillevic mais aussi des Surréalistes ou proches du Surréalisme comme Eluard, Artaud, René Char. J’aime la concision et refuse autant que possible l’hermétisme, le prosaïsme abscons au bénéfice d’un lyrisme hérité de Villon, Baudelaire, Nerval, Rimbaud, Verlaine, Apollinaire, Cendrars, Vian, Prévert, Aragon, Bonnefoy, Jaccottet, Marie-Claire Bancquart, Valérie Rouzeau … dont je me sens très proche. Le réel appartient à la poésie, au poète, difficile de s’en échapper surtout avec des textes souvent autobiographiques.

G. R. : Dans cet abîme, vous semblez toujours rechercher l’amour, une forme d’osmose spirituelle, de lumière. La poésie et plus largement la littérature, ce désir insatiable aussi de reconnaissance, ne sont-ils pas des moyens pour vous d’être enfin compris (à défaut d’être aimé) ?

Éric Dubois : Je recherche toujours la reconnaissance de mes pairs et des critiques mais pas forcément du grand public. Je ne surfe pas sur les modes sociologiques, je suis intemporel et je suis dans la tradition des poètes lyriques, cités plus avant. Je suis dans l’intemporel de Novalis. J’ai retrouvé la Foi catholique récemment mais ne pratique pas un culte excessif en gardant mon libre-arbitre. Je pense avoir rencontré Dieu, il y a quelques mois, un peu de Lumière, un peu de l’Amour dans l’inspiration Christique et surtout la Fraternité, l’Empathie, la Compassion entre les êtres, sans nier l’amour amoureux et physique.

G. R. : Dans L’homme qui entendait des voix (Unicité), votre récit le plus bouleversant, vous nous racontez au début du livre que vous étiez persécuté par vos collègues de travail sans vraiment prendre conscience de la gravité de leurs actes. Pourquoi ce déni ? Votre marginalité imposée quand elle n’est pas recherchée (inconsciemment) n’est-elle pas dans le fond, indissociable de votre vocation d’écrivain et de poète ?

Éric Dubois : J’écris en ce moment un récit qui s’appellera La prescription où je reviens longuement sur ces années difficiles. J’ai toujours été un type à part, et ma schizophrénie alors était latente avant que je ne décompense violemment, brutalement, quelques années après mon licenciement économique de cette société. J’ai été longtemps dans le déni avant que je ne sois en analyse.

Je crois que mon mal-être vient de mon enfance qui pourtant fut heureuse et de mon adolescence qui fut douloureuse. J’ai toujours éprouvé de la mélancolie, mais pas nécessairement de la tristesse ou du désespoir.

G. R. : Dans le même ordre d’idée, quelle place occupe selon-vous le poète dans nos sociétés ?

Éric Dubois : La première place qui ne lui est pas assignée dans une société consumériste, à la manière du prophète ou du porteur de parole.

G. R. : Il y a précisément chez vous une volonté d’être entendu à tout prix. Vous êtes très actif sur les réseaux sociaux, dans des blogs, vous avez même plusieurs fois déposé votre candidature pour intégrer l’Académie française. Certains se moquent un peu mais j’y vois seulement un cri dans le désert. Nous en sommes tous là sans tous se l’avouer ouvertement. Pensez-vous que la poésie (sans en faire des tonnes dans le slogan ou les performances scéniques) peut encore toucher un large public

Éric Dubois : Je crois, oui, et depuis quelques années, on peut constater qu’elle touche un public de plus en plus vaste en France et dans le Monde.

G. R. : Pour nos lecteurs éventuels, un secret d’écriture à partager ici ?

Éric Dubois : Le secret c’est le Travail.

Éric Dubois invité de Souffle inédit

Deux extraits de sa poésie :

Nous sommes faits d’amour
de vent et de nuit

Je te cherche entre les
étoiles je sais c’est un
poncif

Tu éclaireras un jour
mon ombre

Ce sera au mitan du départ

***

Je ne sais rien de la nuit
qu’à part le vent qu’à part les larmes
comme des oiseaux peureux

Je ne sais que la brume
les oscillations des verres
et la fatigue des buveurs

Je ne sais rien de la nuit
que les ombres furtives
le long des rues désertes

Extraits de Nul ne sait l’ampleur, poèmes. Éditions Unicité, 2024.

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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