Fabrice Farre, Des équilibres
Mercredi en Poésie avec Fabrice Farre
Extraits du recueil Des équilibres
Lecture et choix de poèmes par Irène Dubœuf
Fabrice Farre propose dans ce nouveau recueil des poèmes elliptiques aux images intenses, surprenantes et parfois énigmatiques, des poèmes en prose, à la jonction de l’intime et d’un territoire jamais nommé, emplis de perceptions exprimées avec une extrême justesse car reposant sur une observation aigüe de sensations et d’impressions vécues dans ce qui pourrait passer pour un non-lieu hors du temps, même si parfois le poète révèle quelques indices,« le brouillard finit par trahir ce qu’il cache ». Reste que « la sincérité est le flou » écrit-il dans cette quête d’équilibre(s) peuplée de constats et de visions où parvient à filtrer la lumière. Des équilibres, nous parle de l’amour et en premier lieu, de celui de la vie.
Poèmes choisis
Il y aura des rires attrapés dans leur envol, des éclats mêlés au calme, le tambour sourd de l’été, les volets fébrilement repoussés par la pénombre, la salamandre qui résiste au feu, sous le toit ; les graves sentinelles mousseuses des pins sur la terre, le long des lignes sinueuses de demain, et le lierre qui lie le visage des façades, avec son feuillage aux petites têtes pensives, attentif au moindre signe d’abandon.
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Sais-tu boire le vent et l’oublier, sur l’humus creux faire voler les pas, au risque de ne tomber que pour un regret qui s’enracinerait. Courir jusqu’à la mère maison, oublier le chaud comme il couvre le corps bègue et lourd, efface l’effort en restituant à l’obstination d’arriver au but, l’air nécessaire au vent. Sais-tu du vent disparaître et renaître transparent, glisser furtivement d’un jour à l’autre.
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On ne voit tomber dans l’herbe haute que le blanc animé. Veuves de leur couleur qui n’en est pas une, les pies ont ainsi renoncé à la branche de l’arbre. Le vert jacasse huit fois.
Le soleil fait une révolution de plusieurs années, tenant derrière lui les piailleries devant le temps de la chambre effrayée par sa calvitie précoce. L’air chante.
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J’aurais pu revenir bien plus tôt, faire que la porte s’ouvre avant de le décider, entraîner à mon passage un tapis de feuilles vives et saluer tous ceux qui se rassemblent autour du foyer. J’aurais pu est un temps détestable, je l’ai vu dans ces bottes, que l’on chausse d’ordinaire en toute hâte lors d’une résolution, investies depuis trop longtemps par une colonie de champignons.
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Occuper une maison dans une autre, celle où l’on pense jour après jour. Les images des suivants, ancêtres ou fils passent, lestes ; il n’y a ni tableau suspendu, ni paroi. L’esprit du café refroidit dans la porcelaine du petit matin. On se résigne. La veille du lundi et du vendredi, on prépare le déjeuner pour le convive probable en retard, aperçu allant venant parmi les formes mobiles du quotidien.
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Le jour n’est pas l’héritier d’hier, il est aussi nouveau que le lendemain. Il découpe franc les bornes hourdées, la haute cheminée de brique mineure, ce qu’il reste à penser dans la caravane de souhaits à peu près borgne. À cet instant, la main reconnaît les signes, il fera clair. Paquetage ficelé, blatèrements sous la charge futile de pensées sédentaires, l’aiguille de la traversée n’indique ni le lieu ni le temps.
Fabrice Farre
Fabrice Farre est né en 1966, à Saint-Étienne, de parents d’origine sarde. Il exerce divers métiers, tout en poursuivant des études de lettres et langues étrangères jusqu’au doctorat, puis intègre la fonction publique l’État. Il a publié dans plus d’une centaine de revues en France et à l’étranger et il est l’auteur de vingt recueils de poèmes et de plusieurs livres d’artistes.
Des équilibres Bruno Guattari éditeur, 2022
Poésie