Fouzia Laradi – Poètes sur tous les fronts
Fouzia Laradi, une poétesse d’or et de culture
Poètes sur tous les fronts
Par Lazhari Labter
Écrivain
Sans Fouzia Laradi, que serait l’activité culturelle à Alger ? La question semble incongrue quand tant d’autres passionnés de la culture essayent, tant bien que mal et en dépit des contraintes bureaucratiques et d’un environnement non favorable, voire hostile, de remplir de beauté les espaces algérois qui, autrement, seraient livrés à la laideur. Si la question est ainsi posée, c’est que Fouzia Laradi, attachée culturelle à l’établissement Art et Culture de la wilaya d’Alger, tient dans le paysage culturel algérois une place à part.
Cette poétesse, native d’Alger, fille de La Casbah, connait la moitié des artistes algériens et l’autre moitié la connaît, pourrait-on dire. Son temps, partagé entre son travail administratif d’attachée culturelle de l’établissement Art et Culture et l’animation culturelle de l’Espace Bachir Mentouri dépendant de cet établissement de la wilaya d’Alger, lui laisse peu de temps pour l’écriture poétique, sa passion première.
Avec ça, elle a publié plusieurs recueils de poésie en arabe littéraire, en arabe algérien et en français et même en bulgare, pays dans lequel elle a séjourné pour des études de la littérature bulgare à l’académie des sciences de Sofia.
En plus de ses nombreuses activités, elle préside depuis 2023 le bureau d’Alger de Beit Ech’ir al-Djazaïri, la Maison de la poésie algérienne, association nationale de poètes algériens créée par les poètes Achour Fenni et Slimane Djouadi en 2016.
Fouzia Laradi peut être considérée comme une poétesse sur tous les fronts. Avec la modestie qui lui est coutumière, celle qui à l’Algérie chevillée au cœur et qui considère que « la poésie est l’hymne de la vie, et le rythme de ses battements de cœur» se livre aux lecteurs Souffle inédit. À cœur ouvert.
L.L.
Rencontre
Lazhari Labter : J’aime bien commencer mes entretiens avec les poètes pour cette rubrique de « Souffle Inédit » avec la convocation d’un souvenir. Qu’évoque pour toi cette photo ?
Fouzia Laradi : Elle évoque pour moi un moment précieux, un moment figé de notre histoire culturelle. Un pan d’un tissage qui se fait de part et d’autre dans ce grand pays qui est le nôtre. Seulement cette fois-ci, l’instant était signé au féminin pluriel, dans une rencontre inoubliable dans sa beauté et ses découvertes, dans les bras de Laghouat, cette ville merveilleuse par son accueil et ses sites multiples, qui racontent des passages et des faits. Cette ville qui a enfanté le grand poète Abdallah Benkeriou (1), et tant d’autres poètes, qui ont inspiré des générations d’amoureux de la belle parole et du verbe.
L.L. : Poétesse polyglotte, écrivant en arabe littéraire, en arabe algérien et en français, attachée culturelle à l’établissement Art et Culture, de la wilaya d’Alger, organisatrice et animatrice culturelle des Mercredi du verbe, et des rencontres du lundi à l’Espace Bachir Mentouri à Alger centre, organisatrice de concours de poésie et de nouvelles, présidente du bureau d’Alger de Beit Echi’r, la Maison de la Poésie, tu es sur tous les fronts. Qu’est-ce qui te motive et te pousse à être ainsi partout où la culture te réclame ?
Fouzia Laradi : Je ne le sais pas vraiment, mais je crois que l’écrit nous met souvent sur certaines pistes, qui s’ouvrent sur le mouvement continu de la vie. Sans oublier que j’ai eu la chance d’avoir sur mon chemin et lors de mon parcours, des personnes qui m’ont encouragée, motivée et qui m’ont fait confiance. Parmi ceux-là le grand écrivain Tahar Ouettar (2), qui m’a confié le poste de responsable des activités culturelles et de l’information, au sein de l’association « El Djahidia » (3) dans ses moments phares, à une époque où aucun intellectuel de pays arabe ne pouvait être à Alger sans visiter la citadelle culturelle que représentait cet espace culturel historique. Mais aussi mes responsables à l’établissement Arts et Culture qui m’ont toujours donné et jusqu’à ce jour carte blanche dans l’organisation de toutes ces manifestations que vous venez de citer. Sans oublier tous ces écrivains et conférenciers qui répondent toujours présents à nos sollicitations. Ce sont des actes qui m’encouragent à tenir bon. Et la chose la plus importante qui me motive, c’est tous ces talents qui viennent proposer leur savoir-faire, dans les différents domaines de la culture, avec une lueur de joie dans leurs yeux, quand on arrive ensemble à réaliser certains petits rêves, qui forment par la suite, des commencements ou des confirmations de parcours de vie.
L.L. : Tu assures depuis quelques temps la présidence du bureau d’Alger de Beit Echi’r aux côtés d’autres poètes. Que t’a apporté cette nouvelle expérience jusqu’à ce jour ?
Fouzia Laradi : C’est avant tout une responsabilité. J’espère être à la hauteur et l’assumer pleinement. Mais aussi une expérience de travail en équipe, en essayant ensemble de redonner à la poésie la place qu’elle mérite sur la scène littéraire. Et dans la Cité en général. La poésie est l’hymne de la vie, et le rythme de ses battements de cœur.
L.L. :Tu as, malgré tes nombreuses activités, écris six recueils de poèmes, Baqaya Haram (Vestiges de pyramide), en arabe littéraire, Qaçaid li al-hob oua al-watan (Poèmes pour l’amour et la patrie) et Khayt Errouh (le diadème) en arabe algérien, Quand l’âme survole et Faux pas en français et le tout dernier, bilingue, Kamel, al-madhi oua al-Abad, (Kamel le passé et l’éternel) publié en 2022 dans ta propre maison d’édition en plus d’une pièce de théâtre et d’un ouvrage consacré au patrimoine culturel de la Casbah. Où trouve-tu le temps de faire tout ça ?
Fouzia Laradi : Tous ces livres ont été écrits tout au long de plusieurs années. Le premier, date de très longtemps. J’étais déjà bien présente sur la scène culturelle mais je n’avais pas pensé à éditer alors. Et là encore une fois, c’est l’ami Tahar Ouettar qui m’a mise sur les rails si je puis dire, en me reprochant de ne pas l’avoir fait, parce que l’écrit seul reste. C’est lui qui a édité mon premier recueil de poèmes, « Vestiges de pyramide », à El Djahidia. Pour les autres œuvres, chaque titre a pris le temps qu’il fallait pour voir le jour. « Kamel, le passé et l’éternel », est mon dernier, édité en 2019, à Dar El Fairouz, notre maison d’édition familiale. C’est un hommage rendu à mon défunt époux, en commémoration de la première année de sa disparition. C’est vrai que c’est difficile de trouver du temps avec tout ce que j’essaye de faire. Mais pas du tout pour l’écrit. Parce que le poème est comme un bébé, sa naissance ne pourra dépasser le terme. Mais peut-on lui consacrer le temps qu’il faut plus tard, à lui donner la forme qu’on souhaite ? C’est là toute la question. Mais je me débrouille autant que je le peux, entre deux activités, deux participations à des évènements. J’essaye à travers l’édition de laisser mes petites empreintes sur cette toile éternelle de la littérature, pour qu’un jour peut-être, l’histoire racontera notre humble passage aux générations futures.
L.L. : Dans Kamel le passé et l’éternel, ton dernier recueil de poèmes, tu fais, à titre posthume, une déclaration d’amour à ton cher époux, ravi par la mort. C’est rare une femme qui pleure l’absence de l’homme cher à son cœur comme tu le fais ! « Doucement comme un ange. De mes bras s’est ôté. Sans me faire ses adieux. Il a pris son sentier » écris-tu dans le poème « Une étoile s’est éteinte. » et l’écrivaine Djouher Amhis, dans la préface, dit : « Il n’est pas mort, il s’est seulement absenté. » Crois-tu que l’amour est plus fort que la mort ? Avais-tu en tête quand tu écrivais sur la disparition de Kamel, les élégies de la grande poétesse arabe Al-Khansa, inspirée par la perte irréparable de la vie, pleurant son frère Sakhr jusqu’à en devenir aveugle, dit-on ?
Fouzia Laradi : Jean D’Ormesson a dit : « Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants. » La grande Djouher Amhis avait raison en me disant qu’il n’est pas mort, qu’il s’est seulement absenté. Physiquement il n’est plus là, mais son âme ne m’a jamais quitté. Une femme comme un homme a le droit de pleurer l’être cher perdu. Kamel n’était pas seulement mon conjoint, il était mon ami, mon amant, mon confident et l’amour de ma vie. Et celui qui n’a jamais essayé de freiner mes pas dans mes ambitions, au contraire, il m’encourageait à les réaliser. Non, en écrivant les textes de ce recueil, je n’avais ni les élégies d’El Khansa, ni celles d’autres poètes en tête. J’avais juste les déchirements et les douleurs engendrés par cette séparation subite et cruelle, qui dessinaient les formes de nos souvenirs et de notre amour éternel les verbes de ces poèmes, dans toutes les langues que ma tête étourdie par cette perte terrible, a pu convoquer. Et qui m’ont aidé à tenir debout et à continuer.
L.L. : Tu as participé à mon ouvrage collectif Hiziya mon amour avec un texte intitulé La visiteuse de la nuit où tu ressuscite Hiziya devant les yeux ébahis de Kamel. Avais-tu Kamel l’éternel en tête en écrivant ce texte et te voyais-tu en Hiziya ?
Fouzia Laradi : Quand j’ai écrit ce texte, Kamel était encore vivant. Mais peut-être que je voulais à travers l’utilisation de son nom dans la nouvelle, suscité sa curiosité pour l’intérêt que je porte au patrimoine, et l’immortaliser au côté de l’immortelle Hiziya, sans me douter que bientôt ma peine et celle S’ayed allaient se confondre dans la même douleur de la séparation brutale.
L.L. : Très attachée à La Casbah d’Alger, ta ville de naissance et à l’Algérie, tu as écrit des poèmes qui célèbrent l’une et l’autre et au-delà de ton pays, tu défens aussi les peuples sous domination coloniale comme la Palestine. D’où te vient cet amour de la patrie et des causes justes ?
Fouzia Laradi : Je crois, que comme beaucoup d’Algériens, on a eu cet amour de la patrie dès l’enfance déjà, voire tété avec le lait maternel. Et puis l’histoire grandiose et cruelle qu’a traversée l’Algérie sous le joug de l’occupation française, a accentué cet amour. Et le lourd tribut payé par notre peuple et ses valeureux enfants pour l’indépendance de cette terre nous a appris à ne jamais courber l’échine, et à refuser toute injustice, où qu’elle soit. J’espère que la Palestine avec ce tribut qu’elle est en train de payer, arrivera un jour à briser ces chaines de l’inconscience criminelle de son oppresseur, malgré le silence honteux de ce monde de la force dominante, devant les massacres et le génocide de milliers d’enfants et de femmes sans scrupule aucun.
La Saint-Valentin
Un poème de Fouzia Laradi
Ne te fâche pas
Si c’est moi qui t’offre
Les roses cette fois
Comme tu l’as fait
Si bien si longtemps
Au parfum de ma joie
Ne te fâche pas
Si tu vois sur mes joues
Des perles scintillaient
Comme tu ne l’aimais pas
Si mes sanglots défient ce matin
Mon courage perturbé
En cette Saint-Valentin
Qui vient ignorante
Frapper à ma porte
Appelant nos deux cœurs
À chanter en faveur
Du symbole qu’elle porte
Comme on l’a toujours fait
En folie toi et moi
Ne te fâche pas
Si je sors l’accueillir
Même sans toi pour lui dire
Que l’ardeur de ton amour
Reste l’hymne de mon choix
Pour lui dire et te dire
Que je t’aime à en mourir
Et que rien ne changera.
(1) Abdallah Ben Kerriou (1871-1921), célèbre poète populaire algérien de Laghouat, dont les poèmes d’amour ont été chantés par de grands chanteurs algériens, notamment Khelifi Ahmed.
(2) Tahar Ouettar (1936-2010), homme politique et écrivain algérien, l’un des fondateurs du roman arabe moderne, auteur de nombreux romans, nouvelles, pièces de théâtre et scénarios. L’As, son roman le plus connu, a été traduit en français et en hébreux.
(3) Al Djahidia est une association culturelle fondée par Tahar Ouettar en 1989.
Légendes des photos
Photo 1 : Poétesses à Laghouat lors de la 3e rencontre « La poésie au féminin » à Laghouat, 24 et 25 mars 2018.
De gauche à droite (debout) : Oumelkheir Fellague, Aicha Bouabaci, Hadj Kaddour, Yara Rim Menia, Kaddour Bouzidi, Souad Chatta, Ghiwan Nabet, Noor Mohamad, Hassina, Lazhari Labter
De gauche à droite (assis) : Fouzia Laradi, Hamida Abdesselem, May Ghoul, Sam Siham Benniche, Amine Bouklila, Souad Hanniz.
Photo 2 : Membre du bureau d’Alger de l’association nationale Beit Echi’r.
De gauche à droite : Kamel Cherchar (membre), Khier Chouar (membre), Fouzia Laradi (présidente), Lazhari Labter (membre), Achour Fenni (membre).
Poésie