Jeannine Dion-Guérin – Silence à haute voix
Jeannine Dion-Guérin – Silence à haute voix
Par Michel Bénard
Prétendre aborder un poète de l’envergure de Jeannine Dion-Guérin demande toujours de l’ humilité, du respect et beaucoup de recul. Car elle appartient à ce cercle très restreint des Princes de la Poésie et croyez bien que ce titre n’est nullement usurpé.
Le grand poète belge Auguste Marin, ne disait-il pas : – Il y a toujours péril à parler d’un poète. Certains êtres, il faut les aimer de loin, d’aussi loin que le silence. –
Voici des ans, des lunes, que je connais la poétesse Jeannine Dion-Guérin, que nous avons souvent échangé pour nous retrouver sur le même chemin, celui de la haute poésie, sur la même fréquence et pourtant dès qu’il s’agit de l’aborder au travers de son œuvre, d’effleurer donc la femme, alors je me sens le besoin de prendre de la distance, car avec Jeannine Dion-Guérin nous touchons au suprême, nous croisons un haut chant de poésie.
Elle a le don de la transcendance avec les gammes de pureté ne révélant que l’essentiel. La note juste et intime.
Une nouvelle fois, avec son dernier recueil – Silence à haute voix – nous démontre si besoin était que sa poésie s’ouvre sur un grand silence épuré, une volonté presque minimaliste.
A la lecture de la poésie de Jeannine Dion-Guérin une énigme m’aiguillonne, car elle a toujours manifesté une certaine complicité avec les corbeaux, ces grands oiseaux si intelligents, il me semble que cela remonte à une période où elle consacra beaucoup de temps et d’énergie à Vincent Van Gogh son peintre d’âme et de cœur. Le corbeau a toujours déposé son mystère sur la poésie de notre amie : – C’est l’heure aux corbeaux, l’aube des matins ambigus qui piaillent à la brume…/… –
Jeannine Dion-Guérin laisse les mots de son imaginaire se mêler aux éléments naturels, recouvrir un galet, l’écorce d’un arbre, perdre leur virginité entre les draps d’un lit nuptial et de marivauder avec l’amour. Elle joue de la métaphore possédant l’art de nous dérouter. Ces mots en goutte-à-goutte finissent par polir la pierre de vie, afin de mieux y graver les initiales de son identité. Son regard s’inspire de l’insolite, des rejets sociétaux, du drame de l’humanité.
L’univers de Jeannine Dion-Guérin s’ouvre à nous en son double sens, imprégné de l’illusion du miroir, de l’image fragile et fugitive, où tout se révèle n’être qu’illusion. J’avoue aimer la facette libertine de notre poétesse malicieuse avec ses clins d’œil là où nous ne l’attendons pas.
-Ayant du goût perdu le sens au fil du temps s’amenuisant, que me reste-t-il à sublimer sinon le parfum de la « Chose » ? –
Il faut savoir accepter avec beaucoup de patience le temps qui s’égrène et signer avec lui un pacte de vitalité. Le défi semble absurde, mais à bien y réfléchir il ne l’est pas tant que cela, c’est un acte de bon sens et de bon voisinage. À quoi bon lutter lorsque le verdict de la destinée est inéluctable, mieux vaut composer. Néanmoins la grande question avec Dieu que nous voudrions bon, reste en suspend et nous permet de douter lorsque que nous dévoilons l’image de l’homme. La vie est souvent masquée comme la nature en automne qui à son déclin nous interprète l’air de l’embellie.
Jeannine Dion-Guérin laisse pousser les vignes vierges jusqu’aux pieds de son bureau, elle humanise la nature, vois les arbres en prière face au ciel vide et indifférent, mais où est donc Dieu cet éternel absent ?
Dans ses pérégrinations oniriques elle se découvre des lieux communs avec Colette – Bourguignonne, ma sœur éprise d’amour et de verdure – Petits plaisirs fantaisistes de la vie, besoin de croire en l’âme sœur.
Le langage est parfois codé, Jeannine Dion-Guérin y brode ses images, ses métaphores étonnantes, elle fait en sorte de saisir l’éphémère pour en extraire la quintessence.
Il faut se méfier de l’habitude, du quotidien, il faut se renouveler, bien que ce ne soit pas toujours aisé.- Tant de pistes négligées demeurent à arpenter –
Notre poétesse qui malheureusement a déjà connu une guerre lui laissant des stigmates douloureux, se préoccupe de l’actualité et ne demeure pas insensible à l’incohérence et à l’absurdité criminelle des tyrans qui répandent le sang des innocents et jettent la confusion. Comment se peut-il que pour une simple volonté égocentrique et personnelle un seul homme et quelques bouffons puissent mettre en péril des nations, en semant le feu et la mort.
La question reste posée ! Qui apportera une réponse ?
Sans doute la cohorte silencieuse des cœurs et du bon sens.
Beaucoup de poèmes à double sens sont à lire entre les lignes, d’une image, Jeannine Dion-Guérin nous donne à découvrir son négatif, manière permettant de nous rapprocher du mystère créateur.
Par sa poésie notre amie reste simple et modeste tout en veillant à ne pas tomber dans le piège de consumérisme : – restons « écrivaillon » peut-être mais seul maître à rédiger. –
Jeannine Dion-Guérin a toujours été une semeuse de vie, une complice de l’amour et même avec l’âge qui avance elle porte toujours bien haut le flambeau d’une lumière d’espérance : –Pourvu que demeure en elle, le plaisir d’écrire. – Elle donne une vie à ses poèmes, ne sont-ils pas ses petits, ses peines, mais surtout ses joies. Un souffle de liberté fleurte avec le libertinage, le plaisir du corps : – Offre-lui du « jouir » les friandise qu’il mérite. – Oui notre poétesse, femme avant tout, peut bien s’octroyer ce droit : – d’en avoir en son temps croqué la pomme. –
Elle joue et jongle avec les mots, se fait bateleuse et improvise sans partition.
Jeannine Dion-Guérin se met en quête de bienveillance absolue, de pacifisme contrôlé et d’écologie mesurée, loin de toutes velléités et absurdités partisanes : – En finir avec les éclats de voix, de haine des échanges mortifères de répandre les guerres sous de fallacieux prétextes de terres vierges à ensemencer. –
Le doute parfois s’installe, peut-on encore faire confiance en l’homme aujourd’hui trop plein de dilemmes.
Elle possède ce don de magnifier le Verbe, de le transcender tout en demeurant dans la modestie et la mesure, de détourner les vocables et leurs formulations de leurs sens originels.
Jeannine Dion-Guérin est une éternelle première, sorte de Diane chasseresse inconditionnelle toujours à l’affût du beau, du bien, du bon, du charnel. Dans cet esprit, je resterai sur la marque de fabrique de notre amie, qui est nourrie d’espoir et de confiance en l’Amour et laisserais la conclusion à : – un ultime coït triomphant. –
Jeannine Dion-Guérin – Silence à haute voix – Editions Editinter – collection poésie – Illustration couverture Marie-Geneviève Simon-Ballou – nombre de pages 119 – format 14×21 – Mai 2023 –
Michel Bénard
Lauréat de l’Académie française.
Chevalier dans l’Ordre des Arts et Lettres.